Interventions militaires françaises en Afrique

L’indépendance des pays en Afrique n’a pas été accompagnée par les anciennes puissances coloniales d’une aide à l’industrialisation et aux infrastructures nécessaire à l’essor économique des pays leur permettant d’obtenir une véritable souveraineté économique, politique et culturelle. Ce qui était la moindre des choses après un siècle de pillage des ressources naturelles et d’exactions sur les populations. Les prétextes de ces interventions sont à peu près tous les mêmes : « respect des accords de défense », mais aussi « protection des ressortissants français » ou encore « maintien de la stabilité face au risque de chaos », quand bien même s’agissant de la « stabilité » d’une dictature prédatrice. Depuis août 2014 c’est « la lutte contre le terrorisme » qui prévaut à l’opération Barkhane qui se déploie à sa guise dans 5 pays officiellement indépendants.
La France n’a d’ailleurs pas hésité à sortir de son pré carré pour étendre son influence à d’autres pays que ses anciennes colonies (Zaïre-RDC, Burundi, Rwanda, Guinée équatoriale).


Ces interventions militaires de quelques semaines pour certaines, à plusieurs années pour d’autres, ont eu pour effets de maintenir sur leur siège des chefs d’Etats contestés ou de les en éjecter, voire de les assassiner. Ce fut aussi le moyen de porter des coups graves aux oppositions « indésirables », dont nombre de dirigeants ont été assassinés. Les grands groupes comme Bolloré, Total, Orange Bouygues, Aréva etc…ont pu poursuivre leurs affaires en Afrique. Mais tous ces déploiements guerriers n’ont apporté ni la paix ni la stabilité dans les pays concernés et le pire est arrivé avec la désastreuse aventure militaire de Sarkozy en Libye. Elle a conduit à la dissémination de l’arsenal d’armement dans les mains des groupes islamiques et de leurs alliés touaregs du MNLA, qui ont pris rapidement sous leur coupe le Nord du Mali, ce qui n’est pas pour déplaire à la France qui a toujours espoir de voir se réaliser le rêve de De Gaulle d’un « État sahélien » à sa botte.

Feuille de route de la Grande muette

Aux opérations des diverses unités de l’armée sont venues s’ajouter celles du COS (Commandement des Opérations Spéciales) placé sous l’autorité directe du Président de la République.
L’opération Barkhane est en quelque sorte la fille naturelle de cette stratégie. Mise en place officiellement « pour une meilleure réactivité face à la menace terroriste », son déclenchement n’a pas été présenté au vote du Parlement, pas plus que sa prolongation au-delà de quatre mois comme le prévoit la Constitution française. Les unités de 4500 soldats actuellement présents (bientôt renforcée de 200 hommes) se déploient à leur guise depuis août 2014 dans les 5 pays de la bande sahélienne. Barkhane est même un obstacle pour l’armée malienne qui n’a pas accès au Nord du pays ni dans à Kidal où les groupes armés du MNLA circulent comme certains groupes terroristes. Les populations des pays concernés, après avoir espéré que l’armée française les débarrasserait des bandes criminelles qui sèment la terreur, manifestent aujourd’hui pour réclamer son départ ainsi que de la MINUSMA. Un « affront » que n’a pas supporté notre Chef des armées, Emmanuel Macron. Il a immédiatement convoqué les cinq chefs d’Etat africains dans la base parachutiste de Pau afin «qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale. Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions.» (…) ils devront « apporter des réponses précises sur ces points ; leurs réponses sont aujourd’hui une condition nécessaire à notre maintien. » Quel mépris ! Quelle humiliation assumée par ces cinq indignes représentants de pays indépendants. Les manifestants africains dans les rues de Pau ont réfuté toute légitimité à ces « Préfet-godillots de la France» pour donner une réponse aux injonctions de Macron.

L’occupation militaire du Sahel et le soutien non dissimulé au MNLA (qui revendique l’indépendance du Nord Mali) ne sont pas sans rapport avec les richesses que recèle la région en matières premières (uranium, or, pétrole…).

Réponse militaire à une question de politique économique et sociale. Cherchez l’erreur.

Le chaos organisé auquel on assiste est la suite des conditions des décolonisations auxquelles se sont ajouté dix ans plus tard, les mesures d’ajustements structurels imposées par le FMI et la Banque mondiale, traduites dans les budgets des États par des coupes sombres dans les dépenses sociales et de sécurité. D’où l’affaiblissement du rôle des États, jusqu’à leur déliquescence pour certains, devenus incapables d’assumer leurs fonctions régaliennes de protection des frontières, des services d’éducation et de santé.

Dans une présentation de leur livre Nouvelles guerres , Bertrand Baddie, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris et Dominique Vidal, journaliste et historien, évoquent ce nouveau type de guerres qui se développe, particulièrement en Afrique, et l’évolution de la société vers une société guerrière. « La guerre n’est plus une compétition entre puissances mais un phénomène lié à la précarité, à la pauvreté, à la faiblesse sociale. (…) La guerre devient le principal tissu social, là où ont échoué les institutions, l’État, le contrat social, la construction nationale. La guerre produit une économie qui se révèle florissante pour beaucoup d’acteurs, beaucoup d’agents ; la guerre devient également un espace de mobilisation, mais pire encore, la guerre devient une protection sociale. (…) La faillite économique et sociale des États permet et nourrit cette dérive pour une population désœuvrée. En Afrique, sur 200 millions de jeunes 75 millions sont au chômage. En enrôlant des combattants et en créant tout un tas d’emplois connexes, la guerre devient un moyen d’effacer la pression du chômage, donne la possibilité de se vêtir, de se nourrir, de se loger, de porter un uniforme, d’être respecté, d’avoir l’impression dérisoire d’exister. »
« Penser qu’une armée puisse remettre de l’ordre là où le désordre provient de la décomposition sociale est un non sens. Et penser que l’instrument militaire puisse être un rempart à la faiblesse, à la pauvreté, à la précarité, c’est-à- dire aux principaux facteurs de guerre aujourd’hui, est totalement absurde.(…) le grand danger de ces interventions militaires dans les pays du Sud, c’est qu’elles nourrissent la violence davantage qu’elles ne la suppriment. »

La sortie de l’enlisement de cette situation de chaos organisé ne peut s’entrevoir en dehors de décisions politiques qui touchent à :

-une réforme du fonctionnement de l’ONU et en particulier du Conseil de sécurité avec la prééminence des cinq membres permanents déterminée à la fin de la 2ème guerre mondiale ; l’arrivée depuis les indépendances d’une cinquantaine de pays d’Afrique doit y trouver sa place. Le droit de véto n’a plus lieu d’exister, il est source de blocage dans les conflits anciens comme la Palestine, le Sahara occidental et la Syrie.

-L’Union Africaine doit pour sa part jouer tout son rôle dans la prévention et l’apaisement des conflits sur le continent où le dernier conflit de décolonisation au Sahara occidental doit aboutir au référendum d’autodétermination du peuple sahraoui.

-L’insécurité sociale vécue par les populations du continent ne peut être éradiquée sans le fonctionnement des institutions des Etats aujourd’hui défaillants, qui devront remettre en place de véritables services publics dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la défense nationale et de la sécurité publique. C’est une nécessité universelle au Sud comme au Nord. La Paix du monde en dépend.

En 1960, quand la France concède l’indépendance à 17 de ses colonies, elle mène, depuis cinq ans, la guerre contre les mouvements indépendantistes du Cameroun et d’Algérie.

Présidence Charles De Gaulle 1958/1969

– 1955-1962 – guerre coloniale en Algérie. Officiellement « opération de pacification » mobilisation de la légion étrangère et de 1 300 000 jeunes appelés et rappelés

– 1955-1970 – guerre coloniale au Cameroun pour, installer un régime fantoche et anéantir l’UPC (Union des Populations du Cameroun) qui prônait la souveraineté du peuple.

– 1960-1962 – interventions antiémeutes au Gabon, Congo, Tchad, Mauritanie contre les pouvoir mis en place

– 1961/1963 – opération Bouledogue en Tunisie pour maintenir la base militaire navale française de Bizerte. (transformée en opération Charrue longue)

– 1962 – opération de maintien de l’ordre au Sénégal maintenir à la présidence de Senghor

– 1963 – répression au Niger suite à la tentative du parti Sawaba de renverser le président Hamani Diori

– 1964 – rétablissement de Léon M’Ba au Gabon après le putsch d’une partie de l’armée

– 1967 – soutien à Bokassa tout juste arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en Centrafrique


Présidence Georges Pompidou -1969/1974

– 1969-1972 – opération Limousin au Tchad (opérations Moquette 1.7.70, Ephémère mars.70, Bison janvier71, Languedoc février 72) contre l’insurrection du FROLINAT mouvement progressiste qui combat Tombalbaye.


Présidence Valéry Giscard d’Estaing 1974/1981

– 1976-1977 – opération Lavado et Saphir à Djibouti : contre les convoitises des états voisins

– 1977 au Zaïre – opération Verveine : soutien au Général Mobutu, contre la rébellion au Shaba

– 1977 Janvier – opération crevette au Bénin par les mercenaires commandés par Bob Denard

– 1977-1978 – opération Lamentin au Sahara occidental et en Mauritanie : une dizaine d’avions chasseurs ont attaqué à cinq reprises les colonnes motorisées du Front Polisario

– 1978 – opération Bonite et Léopard au Zaïre : 600 parachutistes sautent sur Kolwezi

– 1978-1980 – opération Tacaud au Tchad : 2000 hommes et des avions Jaguar contre le FROLIMAT pour sauver la présidence de Félix Malloum

– 1979-1981 – opération secrète Caban, puis opération Barracuda en Centrafrique : l’Empereur Bokassa est déposé par les parachutistes français

– 1980 – opération Scorpion en Tunisie : soutien au régime tunisien contre une tentative d’insurrection populaire


Présidence François Mitterrand 1981/2002

– 1983/1984 – opération Manta au Tchad : pour sauver le régime Hissen Habré face à la rébellion des partisans de Goukoumi Oueddaye. Envoi de 4000 hommes et d’un arsenal militaire aérien considérable

– Février 1986/2014 – opération Epervier Tchad :bombardement en Libye de la base aérienne de Ouadi-Doum

– Septembre 1986 au Togo : Intervention de 200 parachutistes et quatre avions Jaguar suite à une tentative de renversement du dictateur GNassinghi Eyadéma

– 1986 – l’opération Epervier succède à l’opération Manta au Tchad

– 1989 – opération Oside aux Comores : suite à l’assassinat du Président Ahmed Abdallah et la prise de contrôle du pays par Bob Denard, chef de la garde présidentielle

– 1990 – opération Requin au Gabon : pour préserver le régime d’Omar Bongo

– 1990-1993 – opération Noroit au Rwanda : pour stopper le Front Patriotique Rwandais (FPR)

– 1990 /toujours en place en 2020 – Mission Corymbe, dispositif naval mis en place en 1990 par la Marine nationale française : présence permanente minimum d’un bâtiment dans le Golfe de Guinée.

– 1991- opération Baumier au Zaïre : 1000 soldats sont envoyés à Kinshassa pour préserver le régime Mobutu

– 1991 – opération Godaria à Djibouti : pour renforcer le dispositif militaire djiboutien suite à la chute du régime de Mengistu en Ethiopie

– 1991- opération Verdier au Bénin et au Togo : 450 hommes envoyés à Cotonou pour évacuer des ressortissants et préserver le premier ministre togolais de transition Joseph Kakou Koffigoh

– 1992-1993 – opération Oryx en Somalie, sous direction US et puis participation à l’opération Restore Hofre et aux combats de Mogadiscio en 1993 toujours sous couvert d’humanitaire.

– 1992 – opération Dkoutir à Djibouti : Protéger le dictateur Hassa Gouled de la rébellion Afar

– 1993 – opération Yambo au Burundi : suite à l’élection présidentielle et au coup d’Etat

– 1993 – opération Bajoyer au Zaïre : évacuation de ressortissants français

– 1993 – opération Chimère et Volcan au Rwanda : soutien et formation de l’armée gouvernementale ….

– 1994 – opération Maryllis au Rwanda : évacuation des ressortissants européens alors que commence le génocide des Tutsis. Approvisionnent en munitions et l’entrainement des forces génocidaires.

– 1994 – opération Turquoise au Rwanda : sous couvert d’opération humanitaire, les forces françaises bloquent la progression du FPR et organisent l’exfiltration des forces génocidaires vers le Zaïre.

– 1994-1995 -opération Croix du Sud I et II au Tchad : s’opposer à l’arrivée de combattants de l’Union des forces de la résistance (UFR) qui s’opposent à Idriss Debby


Présidence Jacques Chirac 2002/2007

– 1995 – opération Azalée 1 et 2 aux Comores : un millier d’hommes des forces spéciales récupèrent Bob Denard et ses mercenaires qui viennent de destituer Saïd Mohamed Djohot

– 1996-2008 – opération Aramis au Cameroun : intervention de soutien au régime dans le cadre du contentieux territorial avec le Nigéria concernant la presqu’île pétrolière de Bakassi

– 1996 – opération Almandin
1 en Centrafrique : intervention à Bangui de 1400 hommes pour une assistance opérationnelle, suite à la mutinerie d’une partie de l’armée centrafricaine. Un général français sans représentant du gouvernement centrafricain négociera avec les mutins.

– 1997 – opération Almandin 2 en Centrafrique : 14 unités engagées (8300 hommes), représailles sur des civils occasionnant des dizaines de morts. La présidence Bozisé est rétablie.

– 1997 – opération Pélican1 au Congo Brazzaville : évacuation de 6000 ressortissants dans un contexte de guerre civile

– 1997 – opération Pélican2 au Congo Brazzaville : officiellement évacuation de 80 ressortissant
s
– 1997 – opération Espadon en Sierra Leone : officiellement évacuation de ressortissants de différentes nationalités

– 1998 – opération Iroko en Guinée-Bissau : pour sécuriser l’ambassade de France, évacuer des ressortissants pendant la guerre civile, mais surtout prêter main-forte au dictateur déchu Nino Viéra

– 1998 – opération Malachite en RDC, officiellement : mise ne place à Brazzaville d’un dispositif français pour faciliter le départ de 2500 ressortissants étrangers de Kinshasa

– 1998 – opération Khor Angar à Djibouti : renforcement des défenses aériennes et maritimes à Djibouti en raison du conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée

– 1999 – opération Khaya en Côte d’Ivoire : pour protéger les intérêts de firmes françaises éventuellement menacées par les troubles liés au coup d’Etat du Général Guei

– 2002 – opération Licorne en Côte d’Ivoire : 4000 soldats envoyés pour s’interposer et interposition entre les forces rebelles et loyalistes

– 2002 – opération Boali en Centrafrique : pour « sécuriser les ressortissants et former les forces armées » centrafricaines


Présidence Nicolas Sarkozy 2007/2012

– 2003 – opération Artémis en RDC : pour « sécuriser » le processus électoral

– 2004 – opération Dorca auTchad : vient se greffer sur opération Epervier

– 2008 (janvier) à 2009 (décembre) au Tchad et Centrafrique : opération EUFOR-Tchad/RCA – 18 pays d’Europe dépêchent 3700 hommes (dont 1700 Français) protection des réfugiés du Darfour. Au passage la France sauve I. Deby lors de l’avance aux portes de Ndjamna des troupes rebelles : intervention aux abords de l’aéroport.

– 2008 à Djibouti : positionnement d’une base logistique de 200 légionnaires à la frontière avec l’Erythrée après la défaite de l’armée djiboutienne

– 2008 – opération Atalante dans le Golfe d’Aden : contre la piraterie maritime

– 2009 (novembre) – opération Sabre déploiement au Sahel de soldats du COS (Commandement des Opérations Spéciales) à Atar en Mauritanie puis à Mopti au Mali. Mise en application de la stratégie du Livre Blanc de la Défense( 2008)

– 2011 – Libye opération Aube de l’Odyssée défense de la population civile

– 2011 – opération Licorne Côte d’Ivoire soutien à Alassane Ouattara dans le cadre d’un scrutin présidentiel contesté.

– 2012 : opération l’Harmattan : attaque de la Libye, pour faire tomber Mouammar Kadhafi


Présidence François Hollande 2012/2017

– 2013 opération Serval : intervention au Mali « pour sauver les Maliens des islamistes »

– 2013 – opération Sangaris Novembre: intervention en Centrafrique « pour sauver les Centrafricains des massacres » 1200 hommes + 600 hommes de la force Bouali

– 1 août 2014 – opération Barkhane (fusion avec les opérations Epervier et Sabre août) : création d’une base militaire permanente à Gao au Mali. 4500 soldats interviennent dans 5 pays de la région sahélienne : Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso, Mauritanie. Une opération qui s’enlise alors que les groupes djihadistes ont proliféré et se sont enracinés dans la région, d’où le rejet des populations pour les forces militaires étrangères en présence.


– Présidence Emmanuel Macron 2017

– 3 février 2019 : bombardement par la force aérienne basée au Tchad, appuyée la force Barkhane, de la rébellion de l’UFR (Union des forces de la résistance) en route pour Ndjamena suite à l’appel du président Déby.

– Février 2020 – Mise en place de Takouba une unité de commandos européens annoncée par la ministre française des armées en novembre 2019. Annonce de l’envoi de 600 hommes pour renforcer Barkhane ainsi qu’une centaine de véhicules (blindés lourds, blindés légers.

Les pays aux ressources naturelles les plus riches, mais aussi les pays les plus déstabilisés, sont aussi ceux qui ont « bénéficié » le plus des interventions militaires françaises : Le Tchad, la RDC, la Centrafrique, le Mali…