Relations France-Centrafrique – Lettre au Ministre de Affaires Etrangères

Lors de l’Assemblée générale de l’AFASPA la situation en Centrafrique a été discutée et décision a été prise d’adresser un courrier à Laurent Fabius Ministre des Affaires Etrangères. Nous la publions ci-dessous.


Monsieur le Ministre,

La République Centrafricaine, ancienne colonie française, pays exsangue malgré ses richesses en terres arables et en ressources naturelles (bois, diamant), reste un pays fragile sur le plan sécuritaire. La situation dramatique actuelle est en grande partie l’aboutissement de l’ingérence de la France, ici comme ailleurs, mettant en place des organes politiques à la solde des intérêts économiques des multinationales qu’elle soutient. L’avant-dernier épisode remonte à mars 2003, dans la prise en force (avec l’aide de la France et du Tchad d’Idris Déby) du pouvoir par M. Bozizé qui a ensuite exercé de façon solitaire, absolutiste et clanique le pouvoir sans répondre aux besoins de la population, délaissant des régions entières de l’intervention de l’Etat.

En décembre 2012, le conflit civil inter-centrafricain s’est intensifié au point que le trio de sous-traitants régionaux de la Françafrique Déby-Sassou N’Guesso-Biya s’est cru devoir s’en mêler pour essayer de contenir les opposants au président Bozizé. Les accords de paix (« Accords politiques sur la résolution de la crise politico-sécuritaire en République centrafricaine ») signés à Libreville (Gabon) le 11 janvier 2013 avaient ainsi débouché sur la formation d’un gouvernement d’union nationale composé du camp du président en exercice, de l’opposition et de la rébellion : M. Bozizé n’a eu de cesse de ne pas appliquer ces accords, radicalisant ainsi ses opposants politiques irréductibles.
Il y a plus d’un mois, le 24 mars 2013 dernier, les rebelles centrafricains de la coalition Seleka (rassemblant les combattants de plusieurs organisations d’opposition) prenaient le palais présidentiel de Bangui, au terme d’une offensive-éclair lancée pour renverser le président Bozizé qu’aucun patriote, aucun défenseur des droits humains ne regrette ni ne pleure : ce dernier n’a jamais créé les conditions de la paix ni voulu la concorde et, encore moins, chercher à engager le moindre processus crédible de développement pour le pays. D’emblée, le pouvoir putschiste Seleka suspendait la Constitution et dissolvait l’Assemblée nationale. Originaire du Nord-Est, région isolée, historiquement marginalisée et à majorité musulmane, Michel Djotodia, s’est autoproclamé président après le coup d’État : il « prévoit de remettre le pouvoir à un président élu » après une période de transition d’une durée de trois ans.

Depuis la prise du pouvoir par la Seleka, c’est un calvaire qu’imposent ses partisans aux populations : enrôlement d’enfants-soldats, viols des filles, des adolescentes et des femmes, destructions des biens, pillages à grande échelle… Ce ne sont qu’exactions, représailles voire exécutions sommaires pour la population exaspérée par les pillages et viols commis par les soldatesques opposées.

L’insécurité faisait partie du quotidien des habitants avant le coup d’État. Elle s’est accrue depuis décembre et impacte sur les activités agricoles et commerciales, ce qui suscite des inquiétudes concernant la sécurité alimentaire.
Aujourd’hui, des centaines de milliers de personnes n’ont pas accès à l’aide humanitaire et aux services de base. L’insécurité persiste aujourd’hui en raison de la circulation des armes et l’indiscipline des troupes de la Seleka. Les Centrafricaines et les Centrafricains sont dans une situation désespérée : leur calvaire tourne au drame absolu.

Cette fois-ci, le président Hollande refusera début 2013 son soutien à François Bozizé après avoir expliqué le 27 décembre 2012 à Rungis qu’il s’agissait d’un problème interne et que « Les forces françaises sur place ne sont là que pour protéger les ressortissants et les intérêts de la France… ». Intérêts français pour contrôler le pétrole et le ciment centrafricain confiés par M. Bozizé aux Sud-Africains et aux Chinois ? Quid alors de cette guerre en RCA ? Une guerre économique néocoloniale, sous-traitée au régime tchadien pour changer de marionnette ?

Démarche à géométrie variable, en tout cas, mais toujours pour des raisons économiques : on « combat » au Mali les mêmes mouvances que celles qu’on aide à s’installer en Centrafrique, M. Djotodia et son projet de création d’un état islamiste. La France joue encore le rôle de pyromane-pompier dans son pré carré. Les populations déplacées, martyrisées et terrorisées ne sont plus à même d’exercer leurs droits démocratiques : alors le pillage peut continuer avec la complicité des « élites » locales.

C’est pour quand, Monsieur le Ministre, le changement des relations entre la France et les Etats indépendants d’Afrique comme la République Centrafricaine ?

Recevez, Monsieur le Ministre, nos salutations distinguées.

Le Président de l’AFASPA

Jean Paul ESCOFFIER