UN PROCES HAUTEMENT POLITIQUE POUR LES MILITANTS SAHRAOUIS DE TANTAN

Le procès en appel des 12 militants sahraouis, arrêtés plusieurs jours après une manifestation à Tant Tan organisée pour réclamer pacifiquement le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental, qui s’est tenu le 24 juin dernier a vu leur peines alourdies au cours d’un procès hautement politique.


Mériem Derkaoui, observateur mandatée par le Bureau Internation pour le Respect des Droits de l’Homme au Sahara 0ccidental, l’AFASPA, Droit Solidarité et le CORELSO a fait un rapport de sa mission qui illustre le déni de justice qu’un régime colonial accorde à ceux qui mettent en cause la légitimité même d’être jugé par son institution.

Arrivée à 8h30 devant le siège de la Cour, j’attends avec quelques familles qui sont là. A l’ouverture des grilles à 8h55, nous rentrons. Un des gardes nous demande de nous présenter à l’accueil afin d’enregistrer et de conserver notre pièce d’identité. Quelques personnes autour de moi marquent leur surprise en disant que c’était la première fois, pour ma part je refuse, leur explique ma qualité d’observateur et qu’étant donné la file d’attente qui se constituait je raterais le début de l’audience. Je n’attends pas leur réaction et me dirige à l’intérieur de la salle, pendant que les familles étaient soumises à ce qui s’apparente à un contrôle.

A l’entrée de la salle d’audience nous rencontrons avec les observateurs espagnols M. Larbi Messaoud qui nous informe que les trois prisonniers :
– Hassan Khaled.
– Ali Bouamoud.
– Elmahjoub Aillal allaient être jugés en même temps que les neuf prisonniers, aujourd’hui, au lieu du 1r juillet et ce, à la demande de l’avocat de la famille du policier décédé lors de la manifestation. Les avocats et les prisonniers n’étaient pas au courant, leurs familles non plus ; si elles sont présentes c’est par solidarité avec ceux qui devaient être jugés aujourd’hui.

Il remet aux observateurs espagnols et à moi-même un mémo du CODESA (Collectif des défenseurs Sahraouis des droits de l’Homme).
L’audience débute à 9h10. La salle est pleine. Une majorité de jeunes et de femmes.
Plusieurs affaires de droits communs marocains sont évoquées en premier.

Nous sommes installés au deuxième rang : Ennaâma Asfari vice président du Corelso, Sahil Boudjemaa traducteur pour les observateurs espagnols, Gustavo A. Garcia Martel et Gemma Arbesu Sancho, avocats ; Baghdadi Kodad et Mohamed Jaddou respectivement Président et membre du bureau de la Section de Tan Tan de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme.

Devant nous deux avocats sont là mais ce ne sont pas ceux des prisonniers sahraouis qui sont au nombre de cinq : Maîtres Abdellah Chelouk, Aântar El wafi, Taha Abdelmonaim, Hassan Beneman, El Hmdani Mohamed défendent bénévolement onze des militants sahraouis, un autre défend le douzième.

Rappel des faits

Le procès concerne les 9 militants sahraouis arrêtés le 28 février 2008, à la suite d’une manifestation dans la ville de Tan Tan, il s’agit de :

Yahya Mohamed Elhafed Iaaza, 43 ans, condamné à 15 ans de prison
Mahmoud El Berkaoui, 26 ans, condamné à 4 ans de prison
Salmi Mohamed, 34 ans, condamné à 4 ans de prison
Najem Bouba, 27 ans, condamné à 4 ans de prison
Mayara Moujahed, 33 ans, condamné à 4 ans de prison
Lhcen Lefkir, 28 ans, condamné à 4 ans de prison
Salam Charafi, 28 ans, condamné à 4 ans de prison
Abdelghani Bani, 30 ans, condamné à 4 ans de prison
Omar Lfkir, 22 ans, mis en liberté, condamné à 1 an de prison avec sursis
Hassan Khaled, condamné à 2 ans de prison
Ali Bouamoud, condamné à 2 ans de prison
Elmahjoub Aillal, condamné à 2 ans de prison

Tous sont actuellement emprisonnés, sauf Omar Lfkir.

Ils ont tous entamé une grève de la faim illimitée le 4 avril 2009 qui a duré 62 jours pour Yahya Mohamed Elhafed Iaaza, 60 jours pour Hassan Khaled, Mahmoud Berkaoui et Omar Lfkir, entre 40 et 52 jours pour les autres. Certains se sont vus dans l’obligation de suspendre cette forme de protestation pour des motifs de santé impérieux.

Ils sont accusés et ont été condamnés pour :

– Appartenance à une association de malfaiteurs, appartenance à une bande armée
– Entrave à la circulation publique
– Attroupement de personnes armées sur la voie publique
– Coups et blessures
– Usage d’arme blanche à l’encontre d’un fonctionnaire de l’Etat, ayant entraîné la mort.
– Désobéissance.

Depuis l’origine ils contestent les faits qui leur sont reprochés.
La manifestation au cours de laquelle le policier a trouvé la mort était comme toutes les autres depuis le début de l’Intifada de mai 2005, une manifestation totalement pacifique, et tendait pour les participants à revendiquer le droit du peuple Sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance, conformément aux règles du droit international, tel que rappelé sans cesse par les institutions internationales.
De plus, pour certains d’entre eux ils n’étaient pas sur les lieux de la manifestation. Ainsi en est-il de Yahya Mohamed, pourtant condamné à 15 ans de prison. Tous ont été condamnés sur la seule foi de procès verbaux qu’ils contestent.
Tous ont mis en cause les tortures, viols et brutalités dont ils ont été victimes lors de leur arrestation, interrogatoire et détention.

On nous signale la présence du père de Yahia Md Iaaza, de son épouse et de ses deux enfants.
Les avocats des sahraouis commencent à arriver.

Le « groupe des trois » est appelé à 10h10mn. A la demande de regrouper les deux affaires, présentée par l’avocat de la famille du policier, le procureur du roi donne son accord et le dossier est enregistré sous le numéro 2009/257.
Un des avocats est intervenu pour rappeler que les grévistes de la faim, parmi lesquels Yahia Md Iaaza, se trouvent dans une situation difficile.
L’audience est fixée pour les douze prisonniers à 15h30.

Nous profitons de ce moment pour rencontrer le Président de la Cour d’Appel et le Procureur du roi auxquels nous remettons nos mandats ; sont présents Ennaâma Asfari, les observateurs espagnols et le traducteur. Rencontre très formelle au cours de laquelle nous leur faisons part de notre inquiétude sur les conditions de détention, l’état de santé des grévistes de la faim dont la comparution n’était pas encore assurée.
Le Président commente le fait que je totalise 4 mandats,à moi seule.
Le Procureur se montre rassurant disant qu’ils ont pris toutes les mesures pour que les grévistes ne mettent pas leur vie en péril allant jusqu’à l’hospitalisation et l’alimentation sous perfusion.

Il demande à ses services de lui apporter les documents attestant de leur présence à l’audience de l’après-midi. Il nous donne lecture de la liste de noms. Certains ne sont connus d’aucuns des observateurs.

Le Président s’étonne que « tout le monde soit du côté des coupables oubliant les victimes » en l’occurrence la veuve du policier et sa famille. Ni l’un ni l’autre ne reconnaissent le statut de prisonnier politique. Le procureur avait vivement réagi à l’identité sahraouie de M. Asfari quand celui-ci s’est présenté, ce qui n’a pas empêché ce dernier d’aller jusqu’au bout de ses arguments (historiques, politiques et juridiques).

En nous raccompagnant le procureur général tente de relativiser « la polémique » et se montre courtois après des échanges qui ont duré 30mn.Les observateurs espagnols ont peu participé à cette discussion.

Avec M. Asfari nous nous rendons ensuite au Consulat de France pour remettre un courrier à l’attention de M. le Consul Général de France à Agadir et l’informer du procès.
Nous sommes reçus par la Consule Adjointe Mme Claudine Guenego, très à l’écoute, elle prend l’engagement d’informer le Consul Général de l’entrevue et de lui remettre, sous pli fermé, la lettre adressée aux autorités françaises leur demandant d’agir pour le respect des droits de l’Homme au Sahara Occidental et de s’inquiéter, aujourd’hui, de l’état de santé des grévistes de la faim.

L’audience reprend à 15h45. Les trois prisonniers sont appelés en premier, ensuite les 9 autres. Escortés par la police : 15 policiers en uniforme encadrent la salle aux issues et entre les accusés et le public. Les prisonniers rentrent en scandant des mots d’ordre, bras levés marquant le V de la victoire « Sahara libre », « un peuple qui ne cédera pas », « Maroc dehors » « pas d’alternative à l’autodétermination » des femmes et des jeunes y font écho.Yahia Md Iaaza semble affaibli et rentre soutenu par les policiers, il prend le temps d’embrasser son père assis à côté de la porte d’entrée des prévenus. On assiste à un grand émoi dans la salle. On sent comme une ferveur, particulièrement chez les plus jeunes.

La séance est ouverte. Il s’agit de la cinquième audience de ce procès en appel.
Une femme se met à pousser des cris et se dit victime « étant de l’intérieur, n’en peut plus » supplie…Le Président demande le silence, appelle au calme et rejette toute influence extérieure qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs.

Un des avocats demande la parole, le Président répond qu’il doit avant tout préciser l’identité de chacun. Ils sont sur le banc du centre, deux se tiennent debout, un est assis par terre à côté de Yahia Md Iaaza.

La défense fait référence aux problèmes de procédures :
– Les PV de la PJ doivent comporter des paraphes à chaque page, or ce n’était pas le cas d’après lui.
– Lors de l’arrestation, qui a eu lieu plusieurs jours après les faits, les familles n’ont pas été prévenues.
– Partialité de la police du fait que la victime est l’un des leurs. Violation du principe de neutralité

Un des détenus dit qu’il a été torturé et qu’il n’a obtenu aucun accord à sa demande d’examen médical. (Tous, par la suite affirmeront avoir été torturés par la police et en prison, notamment par des brûlures de cigarettes).
Le Procureur demande à voir les traces de torture, le détenu soulève ses vêtements, il déclare que les cicatrices sont anciennes et qu’il ne peut pas juger.

S’ensuit une confrontation entre les détenus et le Président de la Cour :
L’un d’entre eux remet en cause la compétence de la juridiction en tant qu’entité au service de la colonisation. Le magistrat l’exhorte de répondre de ne pas s’éloigner du sujet et finit par passer au suivant.

La même scène se répète, le magistrat dit vouloir s’en tenir à l’affaire, demande au détenu de répondre sans recourir aux arguments politiques. Il pose la question de savoir s’ils se connaissent la réponse est oui, certains sont du même quartier.

Un des détenus jure ne pas avoir pris connaissance du PV ni l’avoir signé, un autre nie avoir été présent lors de la manifestation, à ce moment un jeune homme demande la parole et de sa place qui se situe plusieurs rangs derrière les avocats témoigne qu’il était avec lui, loin du lieu de la manifestation.

Tous les prisonniers rejettent les accusations portées contre eux.

Le 4ème détenu dit qu’il n’était pas là non plus et que les PV étaient fabriqués.
A ce moment-là Yahia Md Iaazza de sa place « dénonce la colonisation marocaine, revendique la liberté d’expression » et pose la question « quelles sont les raisons qui nous conduisent à tout cela » « une condamnation de 15 ans c’est un complot ».

Le procureur indique qu’il aurait payé certains pour manifester. Le juge annonce que quelques uns l’ont affirmé et que c’est consigné dans les PV.
Lors de la plaidoirie les avocats soulèvent les questions suivantes :

1) Une référence à la jurisprudence est signalée : d’après un arrêt de la Cour Suprême, un suspect ne peut pas témoigner contre un autre suspect, procédé utilisé lors des interrogatoires. Le texte cité, est remis au Président.
2) Les PV sont d’une étonnante similitude c’est comme si on avait imprimé préalablement les documents et ajouté les noms ensuite.
3) Des éléments de la police de Laayoune se sont déplacés en nombre à Tan Tan pour instruire à charge parce qu’il s’agit de la mort de leur collègue. L’avocat utilise le terme d’ « armée » de policiers.
4) Les PV ont signalé qu’il s’agissait de « séparatistes », donc c’est bien un procès politique, malgré le refus du juge, la preuve : la présence d’observateurs internationaux et des ONG des Droits de l’Homme. Il s’agissait d’une manifestation pacifique autorisée par la loi marocaine. C’est la répression de celle-ci qui a eu pour conséquence la mort d’un policier. Exemple est avancé qu’un membre de l’AMDH, jugé pour sa participation à une manifestation, vient d’être acquitté en appel par une autre juridiction.
5) Ni les forces de sécurité, ni les policiers n’ont pu identifier les prévenus. Aucune preuve de leur présence sur les lieux, d’après le témoin spontané, un des détenus se trouvait avec lui, à 25 km de Tan Tan .
6) Tous les avocats ont pointé l’absence de preuve, aucune identification formelle de la part des policiers cités comme témoins, et le manque de recherche de la vérité par le juge qui n’interrogeait pas sur les faits. Les circonstances de la mort du policier sont très peu évoquées.
7) Ils insistent sur la démonstration du caractère politique du procès du fait qu’on a obligé les prisonniers à dire « Sahara marocain » sous la torture, et les peines maximales requises par le Procureur.

Le réquisitoire est lapidaire, relève que les prisonniers n’ont rien à dire à part répéter sans arrêt « labadil… » (pas d’alternative…) il ne prononce pas le mot qui suit « autodétermination », et qu’il n’a entendu que des mots creux.

Tout au long des débats le procureur semblait peu intéressé, s’éventait avec un document (il faisait chaud), faisait mine de ranger des dossiers, sans se soucier du bruit qu’il faisait, d’autant que les magistrats parlent très bas et que les débats ne sont pas sonorisés.
Les magistrats autour du Président, tête sur les bras croisés, ne prenaient aucune note.

L’audience prend fin à 18h30, les magistrats se retirent pour délibérer.
Des slogans accompagnent leur sortie, la fille (10/12 ans) de Yahia Md Iaaza arrive à se frayer un chemin et saute au cou de son père.

L’audience reprend à 22h25 avec l’appel de 13 prisonniers marocains de droit commun assis à la place réservée aux avocats et observateurs, et qui sera celle des prisonniers sahraouis par la suite. La salle est pleine. Nous assistons à l’énoncé du verdict les concernant qui semble favorable aux prisonniers, des marques de satisfaction traversent leurs rangs. Cela dure cinq minutes.

J’étais assise au cinquième rang, ayant refusé de m’asseoir du côté du public comme me l’ordonnait certains policiers qui constituaient un cordon de sécurité autour des trois premiers rangs ; l’un d’entre eux se ravise et accepte que je reste de ce côté-là, les observateurs espagnols nous avaient prévenus qu’ils ne seraient pas présents à la reprise. Je leur ai communiqué le verdict à l’hôtel ce soir-là.

On note la présence de 20 policiers en tenue, les prisonniers sahraouis sont amenés dans la salle alors que les magistrats ne sont pas encore là.
Ils rentrent en scandant « le peuple sahraoui marche vers la victoire et la liberté », poing levé ou signe de la victoire. Le public, debout, y participe.
Une fois installés, on assiste à des échanges de saluts, de sourires, certains tentent d’approcher les prisonniers, arrivent à leur toucher la main entre deux policiers. Bien qu’encadrés les accusés continuent à se retourner saluant les membres de leurs familles et souriant à leurs connaissances en levant le poing du combat.
Quand la Cour fait son entrée, il y a un silence attentif car beaucoup s’attendent à l’allègement de peines voire, des acquittements.

Le verdict tombe en cinq minutes : Confirmation de la « dureté des peines » comme le soulignait un de leurs avocats : 15 ans pour Yahia Md Iaaza et de 4 ans pour les 7 autres « du groupe des 9 », confirmation d’un an avec sursis et aggravation pour le « groupe des trois » dont la condamnation passe de deux à quatre ans de prison. Les amendes sont alourdies pour tous.

A l’énoncé du verdict alors que le Président n’a pas terminé, une jeune femme se lève, la sœur d’El Berkaoui me dit-on, pointe un doigt accusateur en lançant « c’est une injustice, c’est le pouvoir personnel », toute la salle est en effervescence. Nous assistons, assis, à une salle debout, on aurait dit un meeting politique, poing levé,V de la victoire et les slogans scandés dans la journée. Les policiers essaient de ramener les prisonniers certains tentent de se dégager, des jeunes refusent qu’ils touchent à Yahia Md Iaaza disant « celui-là c’est un homme digne tu ne mérites pas de l’approcher » ce sont d’autres détenus qui vont l’aider à sortir.

Une manifestation faite de slogans et d’affrontement physique a lieu dans le hall une fois la salle évacuée, les femmes encadrées par la police, résistent à quitter les lieux. La manifestation se poursuit devant les grilles jusqu’à 23h. Il y avait aussi des larmes et de l’abattement chez certains. On me signale la présence d’anciens disparus parmi les manifestants, dont Brahim Sabbar, Soukeina ment Jed Ahlou, et de nombreux anciens prisonniers politiques. L’un d’eux, Braham Bara libéré depuis quelques semaines, m’a indiqué avoir subi durant son incarcération en début d’année 2009, l’ablation d’un rein sans qu’il ait donné son accord.

Tout au long de cette journée d’attente j’ai pu constater une grande solidarité entre les familles.

L’important dispositif policier déployé, 12 camions de police et des forces auxiliaires ainsi que des voitures de police, confirme qu’il ne s’agit pas d’un procès ordinaire.

Paris le 5 juillet 2009