Résumé du rapport de la commission d’investigations sur la situation dans la province d’Al Hoceima

Les autorités marocaines tentent de sauver la face,aidées une fois de plus par les autorités françaises au plus haut de l’Etat. Alors que les touristes arrivent la grande marche prévue demain est interdite. Elle aura lieu et sera accompagnée par un rassemblement de soutien à Paris.


Coalition Marocaine des Instances des Droits Humains (CMIDH) :

Résumé du rapport de la commission d’investigations sur la situation dans la province d’Al Hoceima 6-7-8 juin 2017

I. INTRODUCTION :

Dans le cadre de leur mission de promotion et de défense des droits humains, les 22 associations qui composent la Coalition Marocaine des Instances des Droits Humains (CMIDH) ont décidé de constituer une commission d’investigations sur la situation que vit la province d’Al Hoceima ;

Compte tenu de ses responsabilités de suivre les violations, de les dénoncer et d’interpeller les auteurs de violation en vue de rendre justice aux victimes et face à la situation que vit la province d’Al Hoceima depuis près de sept (7) mois (plus précisément depuis la mort du martyr MohcineFikri, relayée par des médias nationaux et internationaux que l’Etat s’est empressé de démentir en partie) et en réponse aux appels lancés par les habitants/tes et par les instances civiles locales pour venir et constater les évolutions qui ont abouti à des violations du droit à la manifestation pacifique accompagné d’arrestations et de début de jugements , et en vue de comprendre ce qui se passe dans les provinces du RIF, de délimiter les responsabilités et d’informer l’opinion publique nationale et internationale sur la vérité et d’élaborer des éléments de plaidoyer pour amener l’Etat à abandonner l’approche sécuritaire et à répondre aux revendications justes et légitimes des habitants/tes, la CMIDH a décidé de créer une commission d’investigations sur les événements qui se déroulent dans la province d’ Al Hoceima .

Après avoir délimité son cadre de travail (mandat de la commission, méthodologie de travail, moyens d’investigations, préparations des conditions de travailetc.), la commission a entamé son travail qui a débuté le 6/6/2017 pour s’achever le 8/6/2017 ; à signaler que la commission a travaillé, en moyenne, 16H/jour.

Dans ce cadre la commission a rencontré :

(i) des représentants d’institutions officielles :
 des services rattachés au ministère de la jeunesse et des sports, du ministère de la culture et la communication et du ministère de la santé

 le procureur général du roi auprès du tribunal d’appel d’Al Hoceima

 le procureur du roi auprès du tribu
nal de 1ère instance d’Al Hoceima

 le président du pôle administratif de l’hôpital régional de cancérologie d’Al Hoceima

 la commission régionale des droits de l’Homme (CNDH).

(ii) des composantes sociales non officielles :

 Quelques dirigeants du Hirak (mouvement de protestation)

 Quelques victimes des violations ainsi que leurs familles

 Des organisations politiques, syndicales et
associatives

 D’autres acteurs dans la province d’Al Hoceima.

A signaler que les autorités locales et sécuritaires, auxquelles ont été adressées des correspondances aussi bien au niveau central que locales, ont refusé de rencontrer la commission sous prétexte qu’elles n’ont pas reçu d’autorisation des instances centrales de Rabat. Il s’agit en l’occurrence du gouverneur de la province d’Al Hoceima, le chef de la préfecture de police d’Al Hoceima, le commandant régional de la gendarmerie à Al Hoceima, l’inspecteur régional des forces auxiliaires d’Al Hoceima, le commandant régional de la protection civile d’Al Hoceima.

II. CONTEXTE GENERAL :

Le « Hirak Populaire » du Rif a pris naissance dans la ville d’Al Hoceima, capitale du Moyen Rif au nord du Maroc, depuis la nuit du 28 octobre 2016 à la suite de la mort tragique du martyr MohcineFikribroyé par une benne tasseuse d’un camion poubelle.

La colère et les protestations des habitants/tes d’Al Hoceima et des régions avoisinantes ont conduit ces derniers à réclamer la levée du siège économique et militaire de la région ; les protestations ont continué sous forme de manifestations inédites contre la prévarication et pour les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux dans une région du Maroc qui a connu une marginalisation historique et délibérée par la plupart des politiques qui se sont succédées depuis l’indépendance.

L’ampleur et la profondeur de ce Hirakmontre qu’il ne s’agit pas d’un incident passager, il a plutôt des racines politiques, économiques et sociales ancrées dans la mémoire collective de la population du Rif ; cette population a connu une marginalisation délibérée alors qu’elle s’est battue pour les valeurs de la résistance à la colonisation.

Il faut souligner que la mort de MohcineFikrine constitue que le déclencheur qui a fait exploser, à travers le Hirak, les souffrances endurées par la population de la région dans tous les domaines rattachés à des droits fondamentaux des citoyens/nes, aussi bien les droits civiles et politiques que les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux.

Cette situation peut être illustrée par des chiffres démographiques et socio-économiques : selon les statistiques du Haut-Commissariat au Plan, le taux de chômage atteint 16,3% (13,6% en milieu rural et 21,4% en zone urbaine) ; le taux de chômage atteint 29,9% chez les femmes (en zone urbaine il atteint 45,4%)

Selon les informations collectées sur place, les indicateurs d’une intervention imprévue de l’Etat avec le Hiraks’est accentuée depuis mai 2017 ; surprenant l’opinion publique et tous ceux qui suivent les événements poussant les dirigeants du HIRAK à répondre avec force à la plupart des accusations. C’est ainsi que Nasser Zefzafi(un des leadeurs du HIRAK) a déclaré que : « nos revendications sont économiques et sociales et que nous n’avons jamais réclamé un ETAT indépendant ». Il a égalementdéclaré « depuis six mois nos revendications sont claires et légitimes et s’inscrivent dans le cadre de la loi : construction d’hôpitaux, d’universités et d’infrastructures ; lutte contre les lobbies de l’immobilier, et ceux qui volent la richesse halieutique » ; ajoutant que « nous les enfants des pauvres, nous disons non à l’injustice et à la prévarication ; nous ne demandons pas quelque chose d’exceptionnelmais uniquement la reconstruction de notre région totalement sinistrée aujourd’hui».

Il est clair que l’incident qu’a connu la mosquée Mohammed V dans le quartier Diour Al Malik, le vendredi 26/5/2017, et où l’Etat a recouru au prêche du vendredi pour influencer les événements d’ Al Hoceima, a envenimé la situation surtout après l’altercation entre le prêcheur de la mosquée(qui a exploité le prêche du vendredi pour mobiliser les citoyens/nes contre le Hirakdu RIF qu’il a qualifié de semeur de désordre) et entre un groupe d’activistes du HIRAK qui a protesté contre cette immixtion. L’incident a été suivi par une vague d’arrestations entachée par de graves violations des procédures légales. Les arrestations ont pris un caractère de vengeance et ont été marquées par des agressions, des poursuites et effractions de domiciles en particulier ceux des activistes et dirigeants du Hirak. Les familles des détenus ont organisé ce jour-là un sit-in pour réclamer la libération de leurs enfants.

Par la suite, et précisément le lundi 29/5/2017, le procureur général du roi a annoncé l’arrestation de Nasser Zefzafiainsi que d’autres personnes ; ils ont été remis à la brigade nationale de la police judiciaire de Casablanca. Selon certaines déclarations de ceux qui ont été libérés, c’est la brigade nationale de la police judiciaire de Casablanca qui a procédé à leur arrestation.
Il a été constaté la poursuite des arrestations qui ont concerné plus de 70 personnes ; il a été noté également des critiques d’un certain nombre de parlementaires adressées à la coalition gouvernementale du fait de la marginalisation du parlement sur la discussion des événements de la région du Rif.

III. QUELQUES VIOLATIONS DONT A PRIS CONNAISSANCE LA COMMISSION :

La commission a pris note de plusieurs violations des droits humains commises par les forces publiques et par quelques agents d’autorités locaux ; elle a pris également note de violations commises par des groupes d’hommes de mains des autorités soit par incitation des autorités soit par complaisance. Les violations peuvent être synthétisées comme suit :

 L’utilisation excessive de la violence

 Les arrestations arbitraires et les poursuites

 La torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants.

 La violation du droit à la manifestation pacifique et aux réunions

 La violation du droit à la liberté d’information et d’expression

 Les arrestations et poursuites aléatoires accompagnées de violence

 L’absence de protection des données privées

 Les violations des conditions et garanties de jugements équitables du fait de violations des lois et d’atteintes
flagrantes aux droits de la défense
 La violation de l’indépendance des espaces scolaires

 Les violations qui ont concerné les droits spécifiques des femmes et des enfants


IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS :

A. CONCLUSIONS :

Sur la base du travail de la commission d’investigations (formée par la CMIDH) sur la situation dans la province d’Al Hoceima, les conclusions suivantes peuvent être avancées :

a. la situation que connait la province d’Al Hoceima découle principalement des violations qui ont concerné les droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Ceci est illustré par la marginalisation qu’a connue la province d’Al Hoceima depuis les années 1920 du siècle précédent ; à cela se sont ajoutées les blessures successives qu’a connues la région pendant les années de plomb ainsi que les violations graves et systématiques à la suite des événements de 1958, 1959 et 1984. Suite à cela, l’Etat a persisté à poursuivre sa politique de marginalisation et de discrimination entre le Maroc utile et le Maroc inutile tout en s’abstenant de mettre en œuvre les recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation en rapport avec le Rif.

b. La disproportion entre l’intervention sécuritaire, le recours excessif à la force contre le mouvement de protestation et revendicatif qui a eu recours à des formes pacifiques pour exprimer ses doléances justes et légitimes.

c. le recours des forces sécuritaires à la force excessive et disproportionnée pose de multiples interrogations chez l’opinion publique nationale et locale comme chez les observateurs des droits humains sur les intentions de l’Etat de respecter ses obligations internationales et nationales dans le domaine des droits humains.

d. le non aboutissement de l’enquête sécuritaire et judiciaire sur la mort de 5 adolescents brulés vifs lors des événements du 20 février 2011 à l’intérieur d’une agence bancaire à Al Hoceima, ce qui a eu pour conséquence la perpétuation de la tension et la défiance entre la société et les autorités et entraine in fine plus de tension

e. le recours à la violence pour disperser les manifestations et les sit-in, les poursuites contre les protestants, les violations de domiciles en contradiction avec la règlementation

f. les attaques provocatrices des forces publiques contre les manifestants ont poussé parfois quelques manifestants à répliquer de la même manière.

g. les versions contradictoires des forces de l’ordre et des activistes du Hirakquant à la responsabilité de l’incendie qui s’est déclaré dans l’immeuble qui abritait des forces sécuritaires dans la ville d’Imzouren ; ce sujet suscite interrogations et nécessite l’ouverture d’une enquête.

h. l’importance et l’amplification des violations commises à l’encontre des habitants/tes de la province d’Al Hoceima (arrestations arbitraires, militarisation de la région, interdiction de circuler, terrorisassions de la populationetc.) appelle à s’inquiéter sur d’ultérieures violations qui pourraient revêtir le caractère de violations graves des droits humains
i. le refus des institutions gouvernementales d’ouvrir directement un dialogue avec les activistes entraine l’accentuation de la tension

B. RECOMMANDATIONS :Sur la base des conclusions ci-dessus et compte tenu du travail d’écoute, de constat et de comparaison, la commission recommande ce qui suit :

1. Recommandations urgentes :
 S’activer pour mettre fin à la situation de tension que connait encore la province d’Al Hoceima et mettre en œuvre des mesures et procédures urgentes dontla priorité serait la libération de tous les détenus du Hirak, dans le but de reconstruire des ponts de confiance et de dialogue.

 Arrêter et abolir toutes les poursuites en relation avec le dossier du Hirak du Rif et contre ceux et celles qui ont soutenu ce Hirak aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Maroc

 Ouvrir un dialogue responsable avec les dirigeants du Hirak pour couper court avec l’approche sécuritaire et mettre en œuvre une approche participative pour rechercher des solutions aux problèmes posés et répondre aux revendications légitimes et justes de la population

 Ouvrir une enquête judiciaire sur ce qu’a rapporté ce rapport comme violations à l’encontre de la population de la province d’Al Hoceima et prendre toutes les mesures judiciaires nécessaires pour éviter la reproduction de ce qui s’est passé

 Indemniser la population de la ville contre les dégâts matériels et moraux subis

 Promulguer rapidement un dahir qui abolit celui de la militarisation qui concerne la province d’Al Hoceima, Meknèset Benslimane.

2. Recommandations à moyen terme :

(i) Concernant les droits civils et politiques :

Mettre à jour le mécanisme de protection contre la torture en veillant à prévoir toutes les garanties pour qu’il puisse remplir son rôle en toute indépendance

 Mettre en œuvre l’article 71 de la constitution en promulguant une loi organisationnelle qui permet au parlement de recouvrer ses prérogatives en matière d’amnistie

 Revoir la loi organisationnelle relative aux libertés publiques et surtout la loi relative à la liberté de rassemblement

 Revaloriser les champs politique et social, en levant toutes les formes de restriction et de tutelle pour qu’ils puissent jouer leurs rôles d’encadrement des citoyens/nes et de gestion de la chose publique de manière démocratique

 Réviser les lois qui organisent la profession des journalistes pour garantir son professionnalisme et sa neutralité comme quatrième pouvoir d’investigations et de contrôle des responsables lors de leur gestion des services publics et de l’intérêt public

 Mettre fin au monopole de l’Etat sur les médias publics afin de les rendre au service de la société ; et d’accomplir leurs rôles d’information de manière neutre et honnête

 Rendre effectives les recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation en liaison avec l’indemnisation collective de la population du Rif et présenter des excuses officielles et publiques par l’Etat relatives aux violations graves des droits humains dans la région du Rif

 Sauvegarder la mémoire du Rif en construisant un musée de la mémoire du Rif

 Mettre fin à la politique de l’impunité en promouvant une stratégie nationale de lutte contre l’impunité

 Promulguer une loi relative à la médecine légale en harmonie avec les critères des droits humains (convention d’Istanbul)

 Réformer le code pénal afin qu’il respecte et préserveles droits humains

(ii) Concernant les droits économiques, sociaux et culturels :
 Evaluer le bilan des politiques de l’Etat au regard de ses obligations envers le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ratifié depuis 38ans

 Mettre en œuvre un programme de développement qui prend en considération les spécificités géographiques, historiques et culturelles de la région

 Doter la région d’une infrastructure, et encourager les investissements industriels (il existait 53 unités industrielles durant la période coloniale et aujourd’hui il n’en existe aucune)

 Promouvoir un programme de mise à niveau des jeunes pour qu’ils puissent s’insérer dans les projets de développement et les projets industriels

 Réviser le programme « Al Hoceima Phare de l’Atlantique » afin de permettre à la population de participer à l’élaboration de ses grandes lignes

 Lancer les programmes de développement qui se sont arrêtés depuis 2011, déterminer les causes de cet arrêt volontaire ou involontaire et en demander des comptes aux responsables qui ont causé cet arrêt

 Réhabiliter les 2 secteurs vitaux (l’éducation et la santé) en prodiguant l’infrastructure et les ressources humaines à même de répondre aux besoins des habitants/tes

 Sécuriser les institutions et complexes culturels, artistiques et sportifs pour répondre aux besoins des citoyens/nes en matière de culture et de divertissement

(iii) Concernant la société civile :

 Agir pour l’unification des efforts et du travail des associations et organisations des droits humains, dans le sens du renforcement de l’action de défense des droits humains et de la participation à la construction d’une société démocratique

 Elaborer des programmes pour la mise en œuvre de « La Charte Nationale des Droits Humains », et veiller à son amélioration dans l’objectif d’en faire une plateforme pour la constitution de réseaux entre les associations à l’échelle régionale et locale

 Renforcer les réseaux et les forums locaux, régionaux et nationaux afin qu’ils constituent des espaces de dialogue et de rencontre des luttes des mouvements sociaux et des mouvements civils

 Promouvoir un travail de proximité avec les citoyens/nes et les accompagner dans leurs luttes pour leurs droits légitimes

 Renforcer les réseaux de défense des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux au niveau local, régional et national

 Développer le travail des associations pour créer des alternatives qui répondent aux aspirations des citoyens/nes pour une vie digne.