Ouverture de la Semaine au siège du Parti Communiste Français

Le 15 février 2013 Patrick Farbiaz a ouvert la 8ème édition de la Semaine Anticoloniale en indiquant que l’importance qu’elle avait prise au fil des ans avait nécessité de la faire durer une quinzaine et qu’elle comptait nombre d’initiatives les plus diverses à Paris en banlieue parisienne et en province. Après que les luttes des peuples aient été évoqués par Michèle Decaster pour l’AFASPAsur l’actualité du Sahara occidental, Issa N’Diaye Professeur à l’Université de Bamako pour le Mali et Sylvie Jan pour Kurdistan-PCF, le film « EZ KURDIM » d’Antoine Laurent et Nicolas Bertrand sur la résistance kurde a été projeté en hommage aux trois militantes kurdes assassinées le 9 janvier 2013 dont nous avons retrouvé avec émotion l’une d’elle, Rojbin, sur l’écran. Pour clôturer cette soirée Sylvie Jan a transmis le micro à Nils Anderson après lui avoir rendu hommage pour son engagement au côté du peuple algérien durant la lutte d’indépendance en éditant des livres interdits, notamment « La Question » d’Henri Alleg, et sa persévérance à combattre le colonialisme et le néocolonialisme. Voici son intervention qui peut nous faire poser la question : « La France est-elle encore le pays des droits de l’Homme? »


Chers amies et amis anticolonialistes, chers camarades anticolonialistes,

Il n’est pas de jour où nous n’apprenons pas l’arrestation, la condamnation, la disparition ou l’assassinat d’une combattante ou d’un combattant pour le droit à être indépendant, pour la justice contre la dictature, pour la liberté et la démocratie. Cela témoigne de l’intensité des luttes populaires, cela témoigne aussi de l’implacabilité de ceux que nous combattons.

De tels crimes ont été commis ici même, dans Paris, nous rendons ce soir hommage à Sakin, Fidan et Leyla, elles sont là, elles sont des nôtres. « Ces femmes étaient pour la paix, et elles ont payé pour ça », disent leurs sœurs et leurs frères kurdes.

Deux mois plus tôt, Mathinthiran Nadarajah, militant et dirigeant Tamoul était exécuté dans le XXe arrondissement, dans nos pensées il est aussi parmi nous. Ces crimes soulèvent de l’émotion, l’émotion est passagère, il est une chose qui nous est interdite : l’oubli.

Nous ne les oublierons pas comme nous n’oublions pas Amokrane Ould Aoudia, membre du collectif des avocats du FLN algérien, abattu en 1959, devant la porte de son cabinet d’avocat.

Nous n’oublions pas Mehdi Ben Barka, fondateur de l’Union nationale des Forces populaire Marocaine et président de la commission préparatoire de la Tricontinentale, enlevé Boulevard Saint-Germain et assassiné en 1965.

Nous n’oublions pas Mahmoud Al Hamchari, représentant en France du Fatah et de l’Organisation de Libération Palestinienne, qui ne survécut pas à la détonation d’un dispositif installé dans sa table de nuit, en 1972.

Nous n’oublions pas Mohamed Boudia, militant du FLN qui, en internationaliste, avait rejoint la cause palestinienne et dont la voiture explosa, rue des Fossés Saint-Bernard, un matin de juin 1973.

Nous n’oublions pas Henri Curiel, autre militant internationaliste, lui aussi défenseur du peuple palestinien, comme il avait apporté son soutien au peuple Algérien, abattu par deux hommes, au bas de l’escalier de son immeuble en 1978.

Nous n’oublions pas Dulcie September, représentante de l’ANC sud-africaine en France, assassinée, en 1988, de cinq balles dans la tête, alors qu’elle sortait des bureaux de l’ANC, 28, rue des Petites-Ecuries, à quelques centaines de mètres du siège du Centre d’information du Kurdistan.

Nous n’oublions pas Kandiah Perinpanathan et Kandiah Kesenthiran, responsables de l’organisation tamoule en Europe, assassinés dans le quartier de La Chapelle en 1996.

Insupportable énumération, de plus nullement exhaustive. Qu’ils aient été militants et responsables Algérien, Kurde, Marocain, Palestinien, Sud-africain, Tamoul, internationaliste, tous ont été les victimes dans Paris, d’opérations omos, du nom donné par les services aux actions visant à éliminer une personne.

Pour leur mémoire, pour la cause qu’ils et qu’elles ont défendue, l’oubli nous est interdit. Mais il est une autre exigence, celle de la vérité.

Le constat est là, accablant moralement, juridiquement et politiquement, aucun coupable de ces crimes n’a jamais été arrêté, n’a été traduit devant un tribunal, ni condamné. Jamais, malgré de forts soupçons, un commanditaire de ces actions criminelles n’a été désigné. Dans la quasi-totalité des cas, il a même été prononcé un non-lieu, classant ainsi définitivement l’affaire.

Ils sont nombreux, politiques, avocats, journalistes, citoyens à s’être engagés pour que la vérité soit connue et que les responsables, États ou officines, soient désignés. Ils se sont jusqu’ici heurtés dans leur travail à l’opacité de services étrangers ou au secret d’État.

Est-il justifiable que dans Paris dix crimes, vingt crimes politiques, plus encore, puissent être commis sans que l’on ne connaisse la vérité ?

Il faut refuser les silences de la justice, dénoncer l’inacceptable et exiger que les auteurs des crimes commis et leurs instigateurs soient connus, eux et leurs mobiles. Les assurances renouvelées lors de chaque assassinat de « la détermination des autorités à faire la lumière » ne doivent pas être que des paroles. Il est important que pour Sakin, Fidan et Leylan, que pour Mathinthiran, l’enquête ne soit pas une fois de plus enterrée ou ne se termine par un non-lieu, sans connaître la vérité.

On n’a pas le droit à l’oubli et on a le devoir d’exiger la vérité. Mais il est aussi important d’entendre que là où l’on assassine impunément, c’est la démocratie qui est en jeu, comme elle l’est aujourd’hui en Tunisie, après l’assassinat de Chokri Belaïd.

Ces crimes sont des crimes politiques, commis contre ceux qui luttent contre la misère, les maux de l’économie libérale, l’oppression sociale. Mais ils sont également des crimes colonialistes, s’opposant aux droits des peuples, à leur aspiration à pouvoir décider de leur devenir.

Impérialisme et colonialisme sont inconciliables avec la démocratie. C’est pourquoi, et c’est la raison d’être de la Semaine anticoloniale, il est impératif pour sortir du colonialisme et combattre l’impérialisme, de réaliser une solidarité anticoloniale, car nous sommes confrontés aux mêmes maîtres et à leurs valets et instruments qui ont assassiné le Tunisien Ferhat Hachet, l’Algérien Larbi ben M’hidi, le Camerounais, Ruben Um Nyobé, le Congolais Patrice Lumumba, le Mozambicain, Eduardo Mondlane, le Cap-verdien Amilcar Cabral, le Sud-Africain Steve Biko, le Jamaicain Walter Rodney, le Burkinabé Thomas Sankara.

On n’a pas le droit à l’oubli, on a le devoir d’exiger la vérité, on a le besoin de démocratie, le gouvernement par le peuple. Ce sont là les engagements et les objectifs que nous devons faire entendre tout au long de la semaine anticoloniale, mais avec une force particulière nous devons nous mobiliser sur ces objectifs, et tous ceux que nous portons les uns et les autres, lors de la marche contre le racisme et le colonialisme le 2 mars, pour témoigner notre fidélité à l’engagement et à la mémoire de Mathinthiran, de Sakin, Fidan, et Leyla. Pour porter plus avant notre lutte et renforcer notre solidarité anticoloniale et internationaliste.

Nils Andersson

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