Numéro 102 – décembre 2006

Ce numéro comporte un dossier de 17 pages sur l’Algérie. Il est le fruit d’une collaboration entre l’AFASPA (Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique) et l’ACA (Association des Combattants de la Cause Anti-coloniale).


SOMMAIRE :

Edito. Gott mit uns ! – Francis Arzalier

Un dossier AFASPA-ACA – Henri Alleg

Algérie hier, aujourd’hui, demain – Jean Louis Glory

FLA et PCA : premières rencontres et premiers accords – Sadek Hadjerès

Retour sur «la Question» d’Henri Alleg : un cri – Bernard Couret

Révisionnisme historique et recolonisation du monde – Philippe Paraire

Les hydrocarbures en Algérie – Zoheir Bessa

L’Algérie et les intégristes – interview de Reda Malek

«Nous Algériens, sommes tous des Berbères…» – Said Saadi

«Turquoise» au banc des accusés – Jean Chatain

Congo, pays géant en quête d’un état – Luc Beyer de Ryke

Ephéméride africain – Robert Lavaud

70ème anniversaire du syndicalisme malgache – Jean Claude Rabeherifara

Notes de lecture

Tournée en France d’Aminatou HaÏdar – Jean Louis Glory


Chers amis,

Voici un échantillon d’articles extraits du numéro 102. La revue Aujourd’hui l’Afrique est servie par abonnement : les informations pour s’abonner sont installées en chapeau de cette rubrique « revue Aujourd’hui l’Afrique ».


Edito

Gott mit uns !

André Malraux, qui fut un génial écrivain et un piètre prophète, prédit un jour que le vingt et unième siècle serait « un siècle religieux ». Nous en sommes bien loin ; le profit égoïste et la volonté de puissance sont toujours les motivations essentielles de tous les maux qui ensanglantent la planète. C’est pour tirer profit de ses richesses, pétrole, minerais, diamants et autres valeurs cotées en bourse, que des prédateurs blancs ou noirs, suscitent, financent et armes des guerres au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Congo : il suffit de si peu de choses pour transformer des haines à moitié oubliées en tueries, quand le continent africain est parsemé de milliers d’armes occidentales, quand une kalachnikov s’offre moins cher au miséreux de Kinshasa que le bol de riz quotidien. Le financier lointain qui fournit le champ de bataille au Darfour en guignant le pétrole, le politicien congolais qui arme ses milices en lorgnant vers les palais présidentiels le savent bien, et ne se privent pas d’en faire usage à leur profit.

Ceci étant, les pires criminels ont toujours préféré se barder de bonne conscience, se trouver des justifications, et les dieux ont toujours été sollicités au service des causes les plus douteuses. Les coloniaux européens d’il y a deux siècles prétendaient assurer le bonheur de leurs esclaves africains en les faisant profiter, par le baptême, de la vraie foi catholique et romaine. En 1914, les impérialistes allemands (et leurs homologues français) envoyaient leurs soldats au massacre, avec prétendument la volonté divine pour bouclier : « Gott mit uns ! », « Dieu avec nous ! »

Ce slogan imbécile, depuis des millénaires, sert à justifier toutes les turpitudes et se répand aujourd’hui plus qu’il y a 50 ans.

Il ne s’agit en rien de religieux au sens propre du terme, mais de manipulation du religieux : pour la majorité des croyants véritables, la foi se traduit en impératifs moraux, le service des autres, la solidarité, l’égalité entre les hommes et les peuples ; ils ont droit de ce fait au respect, dans leurs pratiques et leurs discours, comme ils sont tenus de respecter le choix de tous ceux qui, à l’inverse, regrettent le divin et se proclament athées ; ce respect mutuel, bien malmené ces temps derniers, est une des conquêtes du peuple de France : il serait aberrant de ne pas la défendre et de ne pas combattre toutes les dérives intégristes, qui parlent au nom de la divinité pour mieux cacher l’exploitation.

Pour nous, croyants ou incroyants, juifs ou chrétiens, musulmans ou bouddhistes, nous persisterons à ne pas nous tromper d’adversaire : nous verrons bien si Dieu est avec nous…

>> Francis Arzalier


Un dossier AFASPA- ACCA

Ce numéro d’Aujourd’hui l’Afrique est très largement consacré à l’Algérie. On y trouvera des contributions qui peuvent utilement éclairer certains aspects restés dans l’ombre de ses luttes passées et d’autres qui répondent à des questions d’actualité brûlante : la politique pétrolière et les orientations politiques.

Ces textes, publiés sous la signature d’auteurs qualifiés qui n’ont pas seulement été des témoins mais sont aussi, pour certains, des acteurs de l’histoire récente de l’Algérie. Ils forment un ensemble dont les lecteurs apprécieront l’intérêt. C’est là, en partie, le résultat du travail commun de militants de l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples de l’Afrique (AFASPA) et de l’Association des Combattants de la Cause Anticoloniale (ACCA) qui ont uni leurs efforts pour présenter ce dossier exceptionnel.

Entre les deux mouvements, la concordance d’idées est très ancienne. Même si leurs expériences ont souvent été diverses, celles et ceux qui les animent ont depuis des décennies été solidaires de tous les peuples de l’Afrique dans le combat contre la sujétion coloniale et ils poursuivent aujourd’hui la lutte contre ses séquelles : une oppression et une exploitation qui maintiennent et enfoncent toujours davantage des centaines de millions d’êtres humains dans la pauvreté, l’ignorance et le sous-développement pour le bénéfice de multinationales et de leurs complices locaux, lesquels, en échange des services qu’ils rendent, reçoivent d’elles une quote-part de leurs monstrueux profits.

Pour l’AFASPA comme pour l’ACCA , l’avenir de ces pays formellement libérés des chaînes coloniales, l’avenir de la France elle-même, et – en ces temps où la « globalisation » est à l’ordre du jour – l’avenir de tous les peuples, dépend de la réponse qui sera ou non donnée à l’angoissante question de la survie de l’Humanité elle-même. Car c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui pour ce monde dans l’impasse, ensanglanté par des guerres incessantes, endeuillé par des épidémies, des famines endémiques, une misère et un chômage grandissants, le tout résultant de la volonté des puissances impériales -et en premier lieu des USA- d’assurer leur domination économique, politique et militaire sur l’univers.

Aider à approfondir la connaissance des problèmes posés, à élargir encore la nécessaire solidarité de combat entre toutes les centaines de millions de victimes de cet épouvantable système, reste plus que jamais la tâche de celles et ceux qui sont conscients des immenses enjeux en cause. C’est dans cet esprit que n’ont cessé d’œuvrer les militants de l’AFASPA et de l’ACCA. Leur rapprochement pour des actions communes donnera, n’en doutons pas, un nouvel élan à leur engagement.

Souhaitons donc que ce numéro spécial qui répond à ce voeu marque le début heureux de cette future et très souhaitable collaboration.

>> Henri Alleg


Algérie hier, aujourd’hui, demain

Sur ce thème un débat public a eu lieu le 23 juin à Paris avec Aline Paillier Henri Alleg, Boualem Khalfa Francis Arzalier et Jean-Louis Glory qui représentait l’AFASPA. C’est en son nom qu’il a fait cette intervention.

L’AFASPA (Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les peuples d’Afrique) a été créée en 1972 alors que des luttes armées de libération nationale se déroulaient en Afrique. Les luttes puisaient leur espoir et leur force dans l’exemple du peuple algérien. Pour beaucoup de militants actuels de l’AFASPA, c’est dans la lutte contre la guerre d’Algérie que s’est forgée leur conscience politique. C’est dire que pour nous l’Algérie n’est pas un État africain comme les autres.

Je crois qu’à l’examen du passé de l’AFASPA, on peut dire que notre association a fait preuve de discernement et a su éviter les pièges qui ont été tendus à ceux qui s’intéressaient à la situation de l’Algérie.

Je voudrais en donner deux exemples :

* au début des années 70, l’idée s’est répandue que l’Algérie indépendante, sous la direction éclairée du FLN, construisait le socialisme. Cette idée avait même pénétré dans le PCF qui, je dirais, par définition, aurait du être plus prudent pour porter une telle appréciation. Sur ce sujet l’AFASPA a su dire toute la méfiance que devait susciter un tel jugement.

* Autre exemple, beaucoup plus près de nous : une formidable campagne de désinformation orchestrée par l’impérialisme a tenté de faire croire que des massacres perpétrés par les islamistes, l’avaient été par l’armée algérienne. Il y a même eu un appel européen pour faire arrêter un général algérien de passage à Paris. Nous n’avons pas cédé même si nous avons du mal à faire entendre notre voix.

L’AFASPA s’efforce d’élever le niveau de conscience de nos concitoyens sur les réalités politiques économiques et sociales de l’Afrique.

Or, comme l’a dit un philosophe français un peu oublié aujourd’hui, Pradines, « une conscience, c’est une mémoire tenue en main pour des tâches d’avenir ».

C’est pourquoi, nous accordons une grande importance aux questions d’histoire et nous sommes heureux de voir que nos amis d’Alger Républicain en font autant dans leurs colonnes. Supprimer la mémoire, c’est rendre impossible d’imaginer un avenir différent du présent.

C’est pourquoi aussi, je trouve le titre de cette conférence-débat particulièrement bien choisi : « l’Algérie, hier, aujourd’hui, demain ».

Pour terminer, je voudrais que dans le débat qui va suivre, nous envisagions aujourd’hui, aussi concrètement que possible, de nous engager dans une action qui puisse contribuer, même modestement à un lendemain meilleur pour le peuple algérien.

>> Jean-Louis Glory


Congo, pays géant en quête d’un état

Le 30 juillet 2006, vingt-cinq millions d’électeurs de la République Démocratique du Congo étaient appelés à choisir un président parmi 33 prétendants, et 500 députés parmi 10000 prétendants ; premières élections  » libres « , sous la protection d’observateurs de l’Europe, de l’ONU (EUFOR) etc… Enfin, la démocratie, selon la presse occidentale : voire !

Le suffrage universel proclamé suffit-il à proclamer la démocratie, dans un pays plus grand que l’Europe, divisé en centaines de cultures et de langues, longtemps ravagé par la guerre et l’occupation étrangère, rwandaise et ougandaise (l’est de la RDC a perdu de ce fait plus de 3 millions d’hommes en quelques années), mis en coupe réglée par des milices armées et financées par les prédateurs blancs et noirs avides de tirer profit des ressources minières, coltan, diamants et autres ? Les électeurs sont-ils à même de choisir entre des programmes, alors que le débat se réduit souvent entre des candidats au pouvoir pour le pouvoir, dont certains achètent la voix d’électeurs miséreux pour un vêtement ou une arme ?

Les résultats du premier tour des présidentielles ont montré un risque d’explosion du pays. Si le sortant Kabila est massivement soutenu par l’est du pays, le démagogue Bemba, chef de guerre, massacreur dont les mercenaires ont égorgé au service des occupants ougandais risque de l’emporter ailleurs, y compris à Kinshasa, si les vieux démons de la partition l’emportent au second tour fin octobre. Ce pays morcelé serait alors à la merci des convoitises impérialistes, et notamment des affairistes occidentaux, menacé de guerres internes : la RDC pourrait bien alors devenir le chaudron sanglant de l’Afrique. Où s’arrêterait l’incendie ?

Pour l’information de nos lecteurs, nous avons demandé ses impressions à un journaliste belge, Luc Beyer de Ryke, observateur au Congo pour le gouvernement belge et la fondation Carter.

Le premier texte : « Congo, chaudron de l’Afrique », publié dans les « Cahiers de la Semaine » à Bruxelles, a été rédigé peu après le premier tour. Le second est un complément d’après le second tour.

Le Congo, chaudron de l’Afrique

Boma, Matadi. Pour les générations de l’ère coloniale, ces deux noms représentaient la porte du Congo.

A Boma, on fait visiter le baobab géant et creux qui abrita les premières nuits de Stanley. Le visiteur- rare aujourd’hui- s’attardera dans le cimetière des pionniers laissé à l’abandon. Quelques centaines de mètres plus loin, il aura un regard pour l’église de fer, la première cathédrale du Congo. Elle date de l’époque d’Eiffel et est grande…comme un mouchoir de poche.

Le fleuve constitue la frontière entre le Congo et l’Angola. De grands navires creusent leur écume et passent, majestueux, devant une étrave rouillée qui pointe hors de l’eau, celle d’un cargo bourré d’explosifs à destination d’un chantier. Il a sauté et coulé dans les années…1880. Le morceau de ferraille constitue une des attractions de Boma, comme cet autre tas de tôles et de boyaux tordus censés figurer la première voiture automobile au Congo.

Pour gagner Boma, la route lézardée, couturée, zébrée d’ornières traverse la luxuriante forêt de Mayombe.

Des villages s’alignent sur les bas-côtés. Les enfants aux pieds nus vagabondent, les hommes palabrent, les femmes vêtues d’étoffes bariolées, ploient sous les charges. La femme, disait un humoriste involontaire, est le tracteur de l’Afrique…

Anvers au secours de Matadi

On arrive à Matadi en franchissant un pont, gigantesque ouvrage d’art dû à Mobutu et passant au dessus du fleuve. Delà, se dévoile tout Matadi. Comme pour beaucoup de villes congolaises, les maisons semblent avoir été jetées sans souci d’urbanisme et parsèment les collines. Le port, lui, s’étale dans une large échancrure du fleuve. Nous comptons six navires ancrés le long d’un quai.

Nous avons pu visiter le port grâce à l’obligeance d’un Belge né à Matadi, Henri-Pierre De Boever. Ce qui, à première vue semble aisé, ne l’est pas. Le port est gardé aussi jalousement qu’un coffre-fort. L’argent de la corruption n’y est peut-être pas étranger. Du haut du pont de la route de Boma, nous ne nous étions pas trompés : six navires seulement se trouvaient à quai. C’est que, sur les six quais, un seul, long de 300 mètres, peut encore être utilisé.

Le port d’Anvers a entrepris la remise en œuvre du quai Venise.

Si le port est pauvre en navires, il est riche de près de 6 000 conteneurs encombrant les quais désaffectés. Pour sortir ces conteneurs, il faut jusqu’à 70 autorisations, chacune exigeant une commission. Une véritable rente pour l’administration portuaire. On les achemine vers Kinshasa où ils seront déchargés. Puis, une partie des marchandises retournera à Matadi. Ce qui entraînera une inflation des prix.

Tout cela contribue à expliquer que la vie au Congo, en particulier à Kinshasa, est plus chère qu’à Bruxelles ou à Paris.

Le trafic de marchandises se fera par train ou par la route. Très peu de trains entre Matadi et Kinshasa qui ne sont utilisés qu’à 8 % de leur capacité. Il n’est pas rare de voir les locomotives dérailler. Reste la route, très dangereuse parce qu’encombrée de camions surchargés cahotant dans les ornières, même si la majeure partie de la route est praticable, restaurée pour moitié par les Chinois et pour moitié par l’Union européenne. Il n’est pas rare de voir un camion, mastodonte ahanant, déséquilibré par sa charge, culbuter, roues en l’air, comme une grosse chenille renversée. Voilà pour le décor et l’activité économique.

Mukongo, la nostalgie d’un royaume oublié.

C’est à Matadi que nous avions été envoyés par la Fondation Carter pour observer les élections. Un lieu calme avait-on précisé. Tout est relatif. Le 30 juin, jour de la célébration de l’Indépendance, s’était produit un violent affrontement opposant des militants du Bundu-Dia Kongo à l’armée et ayant causé une dizaine de morts.

Le BDK est une secte politico-religieuse récusant le Congo unitaire et vivant dans le rêve, le mythe et la nostalgie de l’ancien royaume Mukungo. Au XVème siècle, ce royaume avait établi des relations diplomatiques avec le Portugal. Le BDK possède une milice vêtue d’uniformes bleus avec bérets rouges. Ses méthodes peuvent être musclées. Mais le fond de son idéologie est fédéraliste, voire séparatiste. Tous les candidats aux législatives, fussent-ils de partis opposés, sont, au Bas-Congo, des partisans du fédéralisme. Un fédéralisme qui, dans l’histoire du Congo, ne fédère pas nécessairement les hommes. En contrepoint du fédéralisme au Bas-Congo et du souvenir de Kasawubu, il y eut celui du Katanga qu’inspira Tshombé. Le Bas-Congo se dit et se sent négligé. Le Katanga, lui, défendait, à l’époque, ses richesses et se prévalait de l’exemple et du modèle rhodésiens.

A l’encontre de cette inspiration, il existait une exigence nationaliste et unitaire. Ce fut le cas de Lumumba et …de Mobutu. Le second contribua à faire assassiner le premier. Mais tous deux étaient unitaristes… Aussi est-il frappant aujourd’hui, au Bas-Congo, de ne trouver personne pour condamner le BDK. On se distancie du bout des lèvres de ses excès mais on relève que l’affrontement a impliqué des gens du Bas-Congo et des militaires venus de Kinshasa. Les premiers parlaient le Kikongo, les autres le Swahili. Des étrangers…

Jean-Pierre Bemba n’a fait ni une ni deux. Le principal opposant à Joseph Kabila est arrivé à Matadi, s’est rendu là où étaient tombés les militants. Il a prié, clamé, dénoncé. Puis, il s’est rendu au Stade pour y prononcer une harangue enflammée. Il a raflé la mise.

Kabila, lui, a snobé le Bas-Congo durant la campagne. Il y a dépêché Yerodia, son vice-président, et le gouverneur de la province, chassés à coups de pierres.

Dans le bureau de vote où nous avons observé le dépouillement, Bemba avait obtenu 302 voix contre 88 à Kabila. Et encore, les autres bureaux donnaient beaucoup moins de voix au chef de l’Etat.

Quant au BDK, l’évêque de Matadi, lors d’une longue audience qu’il nous avait accordée, eut ce mot : Le BDK dit tout haut ce que tous nous pensons tout bas.

L’héritage de Simon Kimbangu

Il n’est pas sûr que les analystes aient tout à fait mesuré cette influence. On s’attache à évoquer celle, indéniable, du kimbanguisme qui a, nous semble-t-il, infiniment poins pesé sur le comportement électoral au Bas-Congo. Simon Kimbangu était un illuminé qui, au début du XXème siècle, se croyait choisi par Jésus-Christ et être l’Héritier spirituel d’une prophétesse du XVIème siècle. Lui aussi se référait au royaume du Kongo qui s’étendait jusqu’en Angola et au Congo Brazzaville.

La secte kimbanguiste fut durement réprimée par l’autorité coloniale. Le prophète fut arrêté en 1921 et mourut en prison, à Elisabethville, en 1951.

A sa parole, les églises se vidaient. Et les hôpitaux… les malades le suivaient car il assurait ressusciter les morts.

Les missions de l’administration s’effrayèrent des conséquences. Ce qui explique la réaction.

Aujourd’hui, le petit fils du prophète assure sa succession. Mais lors de ces élections, la secte se contente de presser les candidats à épouser la pensée de Simon Kimbangu et d’y prêter allégeance. Promesse faite… pour être oubliée.

Voilà pourquoi entre l’action du BDK et les adjurations du Kimbanguisme, la première pèse davantage que les secondes.

2e tour ou 2e round ?

Le vote du Bas-Congo offre un intérêt particulier. Il a largement contribué à faire rater à Joseph Kabila la marche d’un pouvoir acquis au premier tour. Ainsi, Olivier Kamitatu, au rôle si influent dans l’entourage du chef de l’Etat, s’est dit surpris de l’ampleur de la victoire bembiste au Bas-Congo. Une victoire confirmée dans la capitale. Lorsque nous y sommes revenus après le séjour à Matadi et les élections, la cité bruissait fiévreusement. Elle annonçait les violences. La communauté internationale était accusée de vouloir imposer Kabila…

Dans ce pays exsangue, sans Etat, sans infrastructure, sans unité mais avec une population de miséreux, dans ce pays si riche en matières premières, en proie aux convoitises et à la corruption, la braise risque de devenir embrasement. C’est l’Afrique entière qui pourrait être illuminée tragiquement par son rougeoiement.

Luc Beyer de Ryke


FLASHES D’ACTUALITES AFRICAINES

Robert Lavaud

ALGERIE

Pas de visa pour Jamel Debbouze producteur associé et acteur du film  » Indigènes « .

Jamel Debbouze voulait accompagner Rachid Bouchareb, réalisateur du film  » Indigènes « , pour présenter dans le plus grand cinéma d’Alger, cet intéressant long métrage sur la participation des tirailleurs issus des ex-colonies françaises à la Seconde Guerre Mondiale. Il en a été empêché car le gouvernement algérien ne lui pas accordé de visa d’entrée. Aucun motif n’a été avancé par les autorités algériennes pour justifier ce refus. Est-ce parce qu’il est d’origine marocaine ? Ou bien parce que son franc-parler risquait de déranger ? Ou bien encore parce qu’il faisait la couverture du  » Nouvel Observateur  » la semaine précédente, sur fond tricolore, avec en titre  » Pourquoi j’aime la France  » ? Nul ne le sait.
Quelques jours plus tard, quatre dessinateurs humoristes français, René Pétillon, Nicolas Vial, Georges Wolinski et Nono se voyaient à leur tour refuser un visa pour Alger où, le 12 octobre 2006 ils devaient participer au Centre Culturel Français à l’inauguration d’une exposition de dessins humoristiques d’auteurs français et algériens parmi lesquels Ayyoub, Dilem et Mellouah. En Algérie de nos jours, l’humour a des limites.

ANGOLA

Des élections en septembre 2007 ?

Le feuilleton continue, les élections générales promises pour 2006 auront peut-être lieu en septembre 2007, sous réserve que les listes électorales soient prêtes. Notons qu’il est prévu qu’elles se tiennent pendant la saison des pluies. La saison est-elle bien choisie pour assurer un bon déroulement d’un scrutin ?

BOTSWANA

Accords de coopération avec la Chine.

Après beaucoup d’autres Etats africains, le Botswana a signé des accords avec la Chine. Certains commentateurs commencent à se demander si la République Populaire de Chine, bien qu’elle s’en défende, ne chausse pas les bottes des anciennes puissances coloniales en Afrique.

Cherchant à s’assurer des sources d’approvisionnement en pétrole, en matières premières, voire en certaines denrées qu’exportent les pays africains, elle pratique en effet une politique proche de celles des anciennes puissances coloniales. Elle inonde ses cocontractants de biens de consommation à bas prix, ruinant l’économie productive artisanale et manufacturière locale ; elle leur propose de participer à des investissements payables en produits d’exportation ; elle leur consent des prêts à faible taux et alourdit la charge de leur dette, en accroissant leur surendettement, au grand dam des autres créanciers.

BURKINA FASO

Vingt ans après : les suites de l’assassinat du président Thomas Sankara

Assassiné le 15 octobre 1987, Thomas Sankara embarrasse toujours son successeur, Blaise Camparoé. L’ONU avait demandé que l’Etat burkinabé établisse les circonstances réelles de sa disparition. Rappelons que le médecin-commandant Alidou Diébré, toujours en vie, avait signé, à l’époque, un certificat selon lequel le Président Sankara était décédé de mort naturelle. La famille Sankara aimerait que ce témoin essentiel soit enfin entendu par la justice.

L’Etat burkinabé a bien proposé que soit construit un mausolée à la mémoire de l’ancien Président, qu’une rue de Ouagadougou porte son nom et même que sa famille soit indemnisée. On a parlé d’une somme de 43 millions de francs CFA qui serait versée à sa veuve et à ses deux enfants. La famille représentée par Paul Sankara, frère cadet de l’ancien président, aimerait surtout que toute la lumière soit faite sur ce moment de l’histoire du pays. Les actuelles autorités de l’Etat burkinabé sont-elles prêtes à répondre véritablement à cette demande ?

COTE D’IVOIRE

Déchets mortels venus d’ailleurs.

Alors que les hommes politiques ivoiriens continuaient leurs palabres armées pour décider de l’avenir du pays, désespérant, tour à tour, l’ONU, l’Union Africaine, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest et la France qui maintient dans le pays 4000 soldats dans le cadre de  » l’Opération Licorne  » et surtout une grande majorité d’Ivoiriens qui aspirent à vivre dans un pays en paix, on dénombrait 8 morts et de nombreuses personnes intoxiquées, à la suite de dépôts sauvages de produits très toxiques dans plusieurs décharges des environs d’Abidjan.

Ces produits étaient arrivés dans le port d’Abidjan, le 19 août 2006, à bord d’un vraquier polyvalent, le  » Probo-Koala « , pouvant transporter des cargaisons liquides et solides, venant d’Estonie, battant pavillon panaméen, loué à une compagnie grecque, mené par un équipage russe, armé par Trafigura, une société de négoce en matières premières fiscalement domiciliée à Amsterdam au Pays-Bas, dont le siège est à Lucerne en Suisse. Ils avaient été illégalement et subrepticement déposés dans plusieurs décharges, par des camions appartenant à une société ivoirienne qui affirme ignorer tout de ce que faisaient les chauffeurs, rémunérés de la main à la main par des représentants de  » Trafigura « .

Cette affaire dont on a fini par parler avec beaucoup de retard dans la presse française, parce qu’il devenait difficile de la taire du fait du nombre des victimes, est représentative de ce qui se passe en Afrique. Beaucoup de pays africains, à l’instar de certains pays asiatiques, deviennent des  » poubelles industrielles  » de l’Europe et des Etats-Unis qui y expédient leurs déchets, sans les avoir préalablement traités, moyennant quelques rétributions occultes de certains responsables locaux. Le silence bienveillant de la presse occidentale (le plus souvent contrôlée par des grands groupes capitalistes) à l’égard de ces pratiques est inadmissible.

En Côte d’Ivoire, l’indignation est vite retombée et le duumvirat Laurent Gbagbo – Charles Konan Banny a été reconduit au pouvoir pour un an, non par les Ivoiriens privés d’élections mais par les différents acteurs de la Communauté internationale.

EGYPTE

Pharaon de père en fils.

La récente révision de la Constitution rend difficile aux autres partis que le  » Parti National Démocratique « , parti du Président Hosni Moubarak, de présenter un candidat à la Présidence, le moment venu (en 2011 si le mandat présidentiel en cours va à son terme, avant si l’actuel Président aujourd’hui âgé de 78 ans ne peut l’achever pour quelque raison que ce soit). Or, le PND est sous le contrôle de Gamal Moubarak, fils cadet d’Hosni. Gamal est de plus en plus souvent en mission à l’étranger et le gouvernement des Etats-Unis, au début réticent à son égard, semble se faire à l’idée qu’il succède à son père. Les progrès des Islamistes et des Frères Musulmans dans l’opinion publique égyptienne ne permettent cependant pas de considérer comme acquise cette succession dynastique…

GABON

La rentrée scolaire a été agitée en 2006

Le gouvernement, contestant leur aptitude à assurer un enseignement de qualité suffisante, avait décidé, dès 2004, de fermer les établissements privés qui ne se seraient pas conformés aux nouvelles normes imposées à la rentrée 2006. La mesure était peut-être justifiée mais rien ne fut réellement mis en œuvre, dans l’enseignement public, pour accueillir les élèves qui allaient être touchés par cette éventuelle fermeture.

Aussi, quand il fut annoncé à la veille de la rentrée des classes, que plus de 150 établissements ne seraient pas de nouveau agréés pour l’année 2006/2007, l’émoi fut grand dans les familles. D’après certains spécialistes, dans les seuls établissements publics, il manquerait 7000 places en classe de sixième.

En fait, certains établissements privés avaient joué la montre, n’entreprenant pas de se mettre aux normes imposées, estimant que la mesure annoncée en 2004 ne serait jamais appliquée. La rentrée s’est finalement faite après une période de confusion intense. Certaines écoles privées ont obtenu des délais, d’autres ont pu accueillir les enfants  » mis à la rue  » mais souvent, les parents ont dû s’acquitter d’un petit bakchich pour faire prendre leur progéniture en charge, d’autres enfants rejoignant l’enseignement public. Espérons que cela n’aura pas pour effet de faire régresser au Gabon le taux de scolarisation qui est, il faut le reconnaître, l’un des plus élevés d’Afrique.

GHANA

Kofi Annan sera-t-il candidat à la Présidence du pays ?

Kofi Annan a quitté ses fonctions de Secrétaire Général de l’ONU à la fin de l’année 2006. Certains Ghanéens le pressent déjà de poser sa candidature à l’élection présidentielle de 2008.

On met l’accent sur le prestige que l’homme a acquis dans ses fonctions onusiennes, mais on oublie qu’il a été indirectement compromis dans le scandale du programme  » pétrole contre nourriture  » qui avait été monté sous l’impulsion des Etats-Unis, pour contrer le régime irakien de Saddam Hussein et dans lequel l’un de ses fils était directement compromis.

Rappelons qu’une loi contestée par le principal parti d’opposition, le Congrès National Démocratique (CND) a été adoptée au parlement par le Nouveau Parti Patriotique (NPP), le parti de l’actuel Président, John Kufuor, permettant aux Ghanéens établis à l’Etranger de participer aux élections nationales. Le vote des Ghanéens de l’extérieur pourrait encore accroître les chances de Kofi Annan, s’il se décidait à se présenter, compte tenu de son aura de personnalité internationale.

NIGERIA

L’insécurité s’accroît.

La manne pétrolière excite les rivalités dans ce pays qui connaît périodiquement des affrontements entre Musulmans du Nord et Chrétiens et Animistes du Sud. Depuis plusieurs mois, alors qu’une élection présidentielle doit être prochainement organisée pour reconduire ou remplacer Olusegun Obasanjo actuellement au pouvoir, des bandes armées attaquent des convois de matériels des grandes compagnies pétrolières occidentales (Agip, Exxon, Mobil, Shell) et enlèvent des techniciens qu’ils relâchent moyennant rançon. Il faut admettre que le sud, autrement dit le delta du Niger où sont concentrés les gisements de pétrole, est l’une des parties les plus pauvres du pays comment le constatait récemment un rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

TUNISIE

Les femmes tunisiennes de plus en plus nombreuses à porter le voile.

Malgré les représailles dont sont l’objet les Islamistes de la part du gouvernement du Président Ben Ali, les idées qu’ils défendent gagnent lentement mais sûrement les esprits en Tunisie. A Tunis, on considère que 25 % des femmes portent désormais le voile. Dans le reste du pays, la proportion de femmes voilées qui avait toujours été beaucoup plus élevée que dans la capitale, atteindrait 75 %. La pression des Islamistes, au travers de prêches qui circulent sur des vidéocassettes, s’accentue sur les femmes tunisiennes, sous prétexte de respect de la Tradition.

Rappelons qu’il y a cinquante ans, en août 1956, dans la foulée de l’Indépendance, le Président Habib Bourguiba avait promulgué un code de la famille révolutionnaire dans un pays de tradition et de religion musulmanes : la polygamie était abolie, la répudiation était interdite et le divorce institué, un âge minimum était fixé pour le mariage, et la femme majeure n’avait plus besoin de tuteur pour se marier. Pour le moment, le droit résiste. Pour combien de temps encore ?


70 ans du syndicalisme malgache : parcours et héritage de luttes…

Jean-Claude Rabeherifara

Le syndicalisme malgache a vu le jour dans la clandestinité en 1936, lors d’une grève héroïque menée par des ouvriers d’une entreprise coloniale de conserverie, grève qui avait duré deux ans pour revendiquer principalement des augmentations salariales, la suppression des amendes au titre de pénalités professionnelles et surtout le droit de se syndiquer. La légalisation du premier syndicat malgache fut gagnée en 1938. Face à moultes épreuves, les luttes ont toujours continué pour d’autres conquêtes.

À Madagascar, les montées les plus significatives de la combativité des travailleurs – même quand elles ont permis des tentatives de structuration – n’ont que passablement contribué, jusqu’ici, à dégager un groupe homogène ayant conscience de son identité de prolétaire et s’assumant comme tel pour prendre en charge à son compte la révolution sociale. La  » rupture dans l’appréhension du colonialisme autant que dans les formes de lutte (apparition de la grève, par exemple)  » dans les années 1920 et 1930 permet, entre autres, la naissance en 1936 – à partir d’une scission du mouvement nationaliste, d’un parti communiste très structuré et très activiste (1) mais qui a été  » sabordé  » deux ans après sa constitution.

Les difficultés économiques, qui suivent la première guerre mondiale et qui frappent jusqu’aux petits fonctionnaires et auxiliaires européens locaux, et l’institution – en 1926 – du SMOTIG (Service de la main-d’œuvre des travaux d’intérêt général que d’aucuns compareront plus tard à l’Arbeitdienst hitlérien) vont déterminer une montée des luttes des salariés. Celles-ci [ aussi bien à travers les grèves des travailleurs des distilleries de parfum de l’Île Sainte-Marie et des dockers du port de Toamasina, en 1925, qu’à travers la grève (qui a duré de 1936 à 1938) des travailleurs de l’usine de viande de la SICE d’Antananarivo, par exemple ] s’articulent autour de revendications de hausses de salaires pour se radicaliser dans l’exigence du droit de se syndiquer.

Le mouvement pour l’obtention du droit syndical s’exprimera par la constitution d’associations et de syndicats illégaux et s’implantera plus significativement dans le secteur public (Chemins de fer, Travaux publics, Postes, Santé etc.) rendu plus sensible par l’application du prélèvement obligatoire de 10 à 20% établi par le gouvernement Laval en 1934. Il est cependant largement marqué par l’exclusive qu’entretiennent alors la plupart des syndiqués français et créoles à l’encontre des syndiqués malgaches (2). Cette exclusive va d’ailleurs dans le sens de la tactique des fronts populaires (3) qui reléguent au second plan la question coloniale (4) au nom du principe de la défense de l’intérêt national. Avec l’octroi du droit syndical par le Front populaire en 1938, l’exclusive devient un véritable régime de tutelle de la CGT métropolitaine sur les syndicalistes malgaches et leurs organisations. Les syndicats d’obédience catholique et Force ouvrière qui se créent par la suite (respectivement en 1945 et 1948) vivront le même régime dans leurs rapports à leur centrale métropolitaine respective.

Le déclenchement de la seconde guerre mondiale et les contrecoups de l’insurrection nationaliste réprimée de 1947 (5) décapiteront le syndicalisme (6) et vont faire fondre les effectifs et ralentir le mouvement revendicatif (7).

Un long reflux

L’application du Code du travail de 1952, rapproché le plus possible du Code du travail métropolitain, favorisera, vers le milieu des années 1950, un regain d’activité des syndicats lié au processus de leur  » malgachisation « . Les centrales métropolitaines accordent l’une après l’autre leur autonomie à leurs syndicats malgaches. Mais en s’arrogeant des fonctions de  » conseillers techniques « , elles confinent les centrales malgaches nouvellement créées dans une dépendance indirecte et discrète à leur égard.

Une telle démarche, justifiée par la nécessité et l’urgence de la formation des cadres, n’est pas innocente. En fait, en plus de ne pas être vraiment internationaliste, le calcul des directions métropolitaines est plus politique que proprement syndical et vise à la création d’un rapport de forces dans l’éventualité d’une évolution vers l’indépendance de Madagascar.

Devant le vide politique organisationnel consécutif à la répression de 1947-1949, les syndicats deviennent très vite des quasi-partis. Les centrales jouent, d’abord, directement un rôle politique en allant jusqu’à présenter et faire élire leurs candidats dans les élections municipales, provinciales et législatives. Mais, de proche en proche, des dirigeants syndicaux vont impulser la création de multiples groupements politiques qui, à leur tour, constitueront, entre 1956 et 1958, les noyaux des partis nationaux [PSD (parti social-démocrate), AKFM (parti du Congrès pour l’Indépendance), MONIMA (mouvement national pour l’Indépendance de Madagascar etc.], lesquels seront, par la suite, les protagonistes d’une course au pouvoir qui va se solder par l’indépendance néo-coloniale avec le triomphe du  » oui  » au maintien dans la Communauté (préconisé par le PSD) au référendum de 1958.

Dès lors, le mouvement syndical, qui pourtant est loin de perdre de l’ampleur, n’existe plus que pour se subordonner aux enjeux et intérêts politiciens centraux : la segmentation des salariés et les pratiques clientélistes ne pourront qu’en être accentués.

L’effectif des syndiqués triple de 1958 à 1964 : il passe de 33 000 à 100 000. En fait, le mouvement syndical capitalise alors à son compte les acquis du Code du travail de 1952 et celui de 1960 et les effets des trois conflits majeurs qui marquent la période du transfert et de l’installation du pouvoir :
– fin 1957 : 13 000 ouvriers et employés en grève en plusieurs points de l’île contre la dégradation de leur pouvoir d’achat ;
– fin 1962 : grève brutalement réprimée des dockers du port de Toamasina ;
– novembre 1962 à mars 1963 : grève nationale des employés des banques.

Le syndicalisme malgache perd l’essentiel de sa crédibilité vers le milieu des années 1960 dans la foulée de la stabilisation de l’échiquier politique néo-colonial qui, d’une part, marginalise les tendances centrifuges représentées par les partis ultra-nationalistes comme le MONIMA et le FIPIMA et, d’autre part, consacre une sorte de  » gentlemen agreement  » entre le PSD, parti gouvernemental pro-occidental largement hégémonique, et l’AKFM, opposition parlementaire de gauche, réformiste, pro-soviétique et appuyée sur des couches petites-bourgeoises urbaines réclamant une prise de distance partielle par rapport à l’ancienne métropole. Les centrales FMM (Confédération des travailleurs malgaches) et FISEMA (Confédération générale des syndicats des travailleurs de Madagascar) ne sont plus alors que de simples courroies de transmission des partis PSD et AKFM. Paradoxalement, cette évolution ne provoque pas une désyndicalisation notable, comme si les salariés acceptaient de s’adapter au clientélisme devenu pratique principale des appareils syndicaux.

Cette perte de crédibilité des syndicats culmine particulièrement avec le mouvement populaire de mai 1972, où le moteur de la grève générale est essentiellement la coordination des comités de jeunes chômeurs ZOAM des faubourgs des grandes villes et des comités lycéens et étudiants : une grand masse de travailleurs, dont les syndiqués qui se démarquent de l’attentisme de leurs directions (regroupées en intersyndicale), se joignent alors aux ZOAM et aux scolaires et universitaires pour former des KIM (comités commun de lutte) dans chaque ville. Le développement des KIM permet par la suite, et avec l’appui de l’extrême-gauche (MFM : mouvement pour le pouvoir prolétarien), une montée des luttes ouvrières entre 1973 et 1975. On assiste, dans cette période, à des tentatives de radicalisation aussi bien au niveau des revendications (nationalisation des entreprises coloniales,  » contrôle ouvrier « , coopérativisation, alliance ouvriers-paysans etc.) que dans le sens de la structuration d’un mouvement unifié et indépendant (le plus souvent anti-appareils).

La radicalisation ouvrière des années soixante-dix fit long feu devant le recentrage opéré par nombre de comités, mouvements et partis issus du  » mai malgache « , recentrage sous la pression du processus de normalisation politique et marqué, en 1975, par l’instauration d’un pouvoir  » révolutionnaire  » et la création d’une République démocratique et, en 1977, par la constitution de la coalition unique FNDR (Front national de défense de la révolution).

Grâce à la normalisation politique, l’échiquier syndical réussit à survivre à la radicalisation ouvrière qui s’est fait, entre autres, contre lui. Mais il se complexifia :

– avec la création de nouvelles centrales par les nouveaux partis ou par les anciens partis qui n’en avaient pas encore ;

– avec la scission de certaines centrales suite à des compétitions entre fractions politiques ou à des désaccords sur les principes (de l’indépendance syndicale, par exemple) ;

– avec des signatures de protocoles d’accord entre certaines centrales ;

– avec la quasi-disparition de certaines organisations.

L’approfondissement de l’émiettement syndical et de la dépendance des syndicats à l’égard des partis et de l’État est ainsi une donnée incontournable de la politique malgache à partir de 1975. En effet, le consensus institutionnel qui a pu alors se mettre en place constitue une tentative d’unification des classes dirigeantes et de verrouillage du champ politique par l’intégration au nouveau régime de tous les partis et syndicats légalement constitués et se prononcant pour la  » révolution socialiste « .

Renouveau syndical

Sources des crises politiques de 1991-1992 et de 2002, les impasses de ce  » socialisme administratif  » puis du tournant libéral commencé en 1982 – avec son cortège de plans d’ajustement structurel – ont contribué à plonger le syndicalisme malgache dans une longue crise, en réduisant notablement sa base sociale happée par les logiques de survie immédiate. Ceci dit, les difficultés du syndicalisme malgache sont aussi plus structurelles : la population active de Madagascar reste très majoritairement employée dans l’agriculture (76,5% de la population active en 1999), bien peu dans l’industrie (4,7%) ou le secteur tertiaire (11,3%). Selon le Bureau international du travail, l’emploi dans le secteur informel – où la syndicalisation est particulièrement difficile – constitue près de 57% de l’emploi urbain total. Les zones franches, avec 115 000 emplois officiellement recensés en 2004, pourvoient près de 39% de l’emploi du secteur secondaire ; mais le personnel de ces entreprises franches, souvent très jeune et très
féminisé, est faiblement syndiqué, du fait notamment de pratiques patronales dissuasives qui y ont cours.

Aujourd’hui pourtant s’affiche un vrai « renouveau » syndical, fruit de patientes reconstructions d’organisations, avec une autonomisation de plus en plus partagée vis-à-vis du politique, une féminisation et un renouvellement important des responsables syndicaux, moins marqués par les conflits du passé. Les tenues, en août dernier, du  » colloque international du 70ème anniversaire du syndicalisme malgache  » et, dans sa foulée, de la  » Conférence syndicale internationale sur le secteur minier, pour le travail décent  » attestent de ce renouveau. Sur le terrain surtout s’engagent résolument des batailles, unitaires au possible, pour reconquérir des droits dont  » certains ont reculé jusqu’à leur niveau des années soixante voire en dessous « , précisent les mémoires encore bien vives.


1. RANDRIANJA Solofo (1990), Le Parti Communiste (Section Française de l’Internationale Communiste) de la Région de Madagascar, Ambozontany, éd. Foi et Justice, 179 p.

2. Ce que les autorités coloniales récupèrent très bien dans leur décret du 19 mars 1937 limitant le droit syndical aux personnes  » sachant lire et écrire le français « .  » Rares furent les syndicats mixtes qui se constituèrent. (Il n’en existait que trois à la veille de guerre, tous affiliés à la CGT). Ainsi, au sein même de la CGT, on pouvait distinguer des syndicats de fonctionnaires français, d’autres de fonctionnaires malgaches et, enfin, les syndicats d’ouvriers et de paysans malgaches  » [ BOITEAU P. (1958/1982) : Contribution à l’histoire de la nation malgache, Paris-Antananarivo, Éditions sociales-MCAR, p.358 ].

3. VIIème Congrès de l’Internationale communiste en 1935.

4. En 1937, les députés communistes français ont voté le budget colonial.

5. 90 000 victimes malgaches de la répression.

6. Les responsables syndicaux étaient souvent des chefs nationalistes.

7. « (…) De la part des Malgaches rendus méfiants, un sentiment de suspicion à l’égard de tout groupement tant politique que professionnel et, plus spécialement, à l’égard des formations syndicales dont ils devinaient plus ou moins les attaches politiques ; ils craignaient d’être entraînés vers de nouvelles aventures.  » [ DELVAL. R. (1965) :  » Le syndicalisme à Madagascar « , Penant, 75, 708-709, p. 566


SAHARA OCCIDENTAL

Jean-Louis Glory

La militante sahraouie Aminatou Haïdar est venue en France au mois d’octobre à l’invitation d’Amnesty International et des organisations de solidarité avec le peuple sahraoui. Cette héroïne de la cause des droits de son peuple n’est pas une inconnue pour nous, puisque son portrait figure en bonne place dans l’ouvrage collectif de l’AFASPA de 2005,  » Elles font bouger l’Afrique  » (Editions Tirésias 2005). C’est dire que l’AFASPA a tout fait pour donner à son séjour en France le plus large écho.

Âgée de 39 ans aujourd’hui, elle a connu de 1987 à 1991, l’enfer des bagnes secrets marocains. En juin 2005, elle a été à nouveau arrêtée, tabassée (9 points de suture sur le crâne et quatre côtes fracturées), et condamnée à 7 mois de prison fermes après une parodie de procès obtenu pourtant après 51 jours de grève de la faim. Il y a aujourd’hui toujours plus de 500 disparus, des dizaines de prisonniers politiques et un  » mur de la honte  » de plus de 2700 km sépare la zone occupée par le Maroc de la zone contrôlée par la République Arabe sahraoui Démocratique et des camps de réfugiés (voir ci-contre). Á l’Intifada pacifique qui s’est déclenchée en 2005 sur l’ensemble du territoire sahraoui, le pouvoir royal ne répond que par la violence, les arrestations suivies de tortures, le saccage des maisons des habitants, le vol de leurs effets personnels (ordinateurs, voitures, papiers), les licenciements et l’arrêt des salaires de ceux qui osent manifester. Pourtant, dit Aminatou Haïdar,  » croit-on nous intimider, nous faire renoncer à nos droits légitimes ? Après avoir connu le pire, que risquons-nous de plus ? La parole, trente ans confisquée s’est libérée. La résistance a pris le visage d’une Intifada pacifique qui se poursuivra inlassablement « .

Le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui est toujours bafoué car dans un éventuel referendum le Maroc n’entend donner le choix qu’entre l’intégration et l’autonomie, alors que le Front Polisario qui accepte l’option autonomie entend, bien légitimement, qu’y soit aussi ajouté celui de l’indépendance.

La complicité de la France :

Si depuis si longtemps le Maroc peut pratiquer sa politique typiquement coloniale (répression féroce contre les populations et exploitation des ressources du pays conquis) c’est qu’il a un grand protecteur au Conseil de Sécurité qui bloque toutes les résolutions de l’ONU. A. Haïdar en voit une preuve de plus dans le fait que, c’est seulement en France, qu’on lui a refusé une entrevue avec un fonctionnaire du Ministère des Affaires Étrangères. Rappelons que la RASD est reconnue officiellement par 75 pays dans le monde et qu’elle est membre de l’Union Africaine.

L’hypocrisie de l’Union Européenne :

Aminata Haïdar a été nommée en 2005 pour le prix Sakharov du Parlement Européen. Si elle a été reçue si chaleureusement à Bruxelles par Josep Borell, Président du parlement européen il n’en demeure pas moins que la commission européenne a négocié au nom des 25 états membres, un accord de pêche entre l’Union Européenne et le Maroc qui inclut les côtes du Sahara Occidental. Malgré les efforts des associations qui militent en Europe pour le respect des droits du peuple sahraoui, le parlement européen a entériné cet accord ! Les affaires sont les affaires. Les USA qui ont aussi le sens des affaires et savent ne pas s’embarrasser du droit des peuples avaient pourtant exclu le territoire du Sahara Occidental de leur accord commercial avec le Maroc.

Le fait cyniquement colonial que représente l’occupation militaire et la politique de peuplement du Sahara Occidental par le Maroc est l’un des tout derniers cas de colonialisme direct dans le monde. L’AFASPA, née quand les luttes armées de libération nationales grondaient encore en Afrique, déploiera tous ses efforts pour que soient respectés les droits nationaux du peuple sahraoui.

Diminution de l’aide humanitaire aux réfugiés sahraouis :

Le Président du Croissant Rouge Sahraoui a lancé un véritable cri d’alarme en raison de la diminution drastique de 43 % de l’assistance humanitaire destinée aux camps de réfugiés sahraouis suite aux  » pressions exercées par le Maroc et ses alliés  » qui veulent instrumentaliser l’aide humanitaire pour parvenir à des fins politiques.

Le mur de la honte :

Long de 2 720 kilomètres, érigé en six étapes à partir d’août 1980 pour diviser le Sahara Occidental, protégé par 160 000 soldats armés, 240 batteries d’artillerie lourde, plus 20 000 kilomètres de barbelés, des milliers de blindés et des millions de mines antipersonnelles interdites par les Conventions internationales, le  » mur de défense  » marocain, désormais connu sous le nom du mur de la honte est une grande muraille qui divise tout un peuple et son territoire depuis un quart de siècle au vu et au su de toute la communauté internationale.

Un rempart militaire qui a fait des centaines de victimes de part et d’autre de ses flancs pour ceux des civils sahraouis qui ont voulu le passer ou des milliers de bêtes à la recherche de pâturages.

Surveillé par des dizaines de radars de longue et moyenne portée, soutenu par une aviation militaire parmi les plus puissantes en Afrique, de milliers de char blindés, de missiles roquettes, artillerie lourde et de bombes à fragmentation, ce crime conte l’Humanité, continue à défier tout le monde avec ses mines, ses barbelés, ses fosses, ses armes, ses munitions, ses soldats.