Le passage à la nouvelle année a été fêté à Smara dans l’enthousiasme de la lutte d’indépendance. Ils étaient 150 à 200 Sahraouis de toutes générations, rassemblés sous la khaïmat (tente) installée sur la terrasse de la maison d’Ahmed Naciri, Président de Freedom Sun.
Tout au long de la soirée ont alterné musique traditionnelle, poésie, chants révolutionnaires, témoignages, montages vidéo et rap, danses dans un filage parfaitement maîtrisé par les jeunes. Avec les incontournables slogans de l’Intifada en intermède de chacune des animations.
Des jeunes, tout aussi dynamiques et compétents dans la fête que dans l’activité militante. Cette assistance était impressionnante, elle illustrait la belle entente entre la jeunesse et ses aînés. Un partage d’expérience, celle de la lutte pour un idéal commun et de la répression.
On a fait les comptes. Pour les 8 d’entre eu qui ont connu les geôles marocaines, soit 2 femmes et 6 hommes de 26 à 64 ans ; ils totalisent en disparition forcée 14 ans et 5 mois durant les années de plomb de Hassan II auxquels s’ajoutent 11 ans et 6 mois de prison sous le nouveau règne. Cinq femmes et un jeune ont pour leur part connu l’arrestation arbitraire de 48h à quelques jours en commissariat
, « agrémentée » de tabassages et mauvais traitements. Les tabassages sur la voie publique étant une pratique des plus courantes, n’ont pas été décomptés.
Au cours de la soirée plusieurs moments d’émotion intense. D’abord le message téléphonique de Salah Bassrir depuis le territoire libéré du Sahara occidental, ce jeune de 20 ans a dû fuir son pays cette année, traqué par la police. Ses amis qui le chérissent avaient préparé un montage de photos illustrant son activité. Son meilleur ami, qui dit être prêt à donner sa vie pour son idéal n’a pu retenir ses larmes et il n’était pas le seul. Autre moment fort quand, Soukeina ment Jad Ahlou « la mère de la Résistance » à Smara qui a perdu son fils Cheikh le mois dernier. Elle a évoqué la résistance des femmes au fond du bagne de Galaat M’Gouna où elles ont appris à lire à certaines d’entre elles sur des morceaux de nylon où elles écrivaient à l’aide de petits bouts de savon. Cette « ardoise » et la « craie » elle me les a remises. Précieux cadeau.
Une si belle soirée en pays colonisé pouvait-elle se terminer sans ombre ? Malheureusement non. Ce n’est visiblement pas sans regret que les autorités marocaines voient les interdits de plus en plus transgressés. Les fêtes et les mariages aux généreuses sonorisations, diffusent chants révolutionnaires et slogans dans les quartiers.
A l’issue de la soirée de jour de l’An, Elbar, El Kadi et
Hafad Naciri ont croisé une Land-Rover 110 de police immatriculée 183796. L’un des deux policiers a interpellé le fils du militant chez qui la fête avait eu lieu. Puis ils l’ont poursuivi en tabassant avec leurs matraques sur toutes les parties du corps qu’ils pouvaient atteindre dans la course. Paume de la main, cuisses, bras ont été contusionnés. Ahmed Naciri est allé au commissariat et a exigé de voir le Commissaire divisionnaire pour protester contre cette agression délibérée. Ce dernier a assuré promis de mener une enquête. Nous publierons son résultat si jamais elle est réellement menée.
Michèle Decaster