MADAGASCAR : ABSENCE DE DIALOGUE SUR LE PROJET MINIER DE RIO TINTO À TAOLAGNARO (EX-FORT-DAUPHIN)

Madagascar : ABSENCE DE DIALOGUE SUR LE PROJET MINIER DE RIO TINTO À TAOLAGNARO (EX-FORT-DAUPHIN)


Le dépôt de la première pierre du port dédié d’Ehoala à Fort-Dauphin a été fait par le président Marc Ravalomanana le mardi 12 juin 2007. La télévision nationale a fait un matraquage médiatique pour annoncer qu’Ehoala sera le plus grand port de l’Océan Indien. Par civisme, il est bon d’informer le grand public d’une autre voix pour expliquer les enjeux afin d’ouvrir un dialogue sincère pour l’avenir socio-économique de Madagascar.

Avec la situation du Port d’Ehoala (à 10 km à vol d’oiseau du centre-ville de Fort-Dauphin), la commune urbaine de Fort-Dauphin est en train de devenir un centre urbano-portuaire sous l’impulsion d’une seule entreprise étendue, QMM S.A., dont l’actionnaire majoritaire (80%) est Rio Tinto (une des plus grandes transnationales dans l’exploitation de minerais et de diamants dans le monde). Pour ceux qui arrivent difficilement à comprendre tous les enjeux, il suffit de voir sur les sites Internet : « Rio Tinto » ou exploitation minière de Richards Bay en Afrique du Sud. Pour le projet minier de Fort-Dauhin en question, il y a eu tellement de publications dont celle de la FISEMA et un forum de discussion sur Wanadoo Madagascar.

Ehoala servira à accueillir des bateaux minéraliers pour exporter du sable composé d’ilménite et de zircon. L’infrastructure va coûter environ 140 millions de dollars(estimé à 67 millions en 2001) dont 35 millions au nom du gouvernement malgache mais avancé par la Banque Mondiale. Aucune information n’est avancée sur le financement des infrastructures annexes pour être un complexe plurifonctionnel pour les navires à conteneurs ou les
soi-disant paquebots. Et toute installation d’une zone industrielle attenante nécessite de l’énergie suffisante et à bon marché. La question se pose ainsi sur la participation malgache : Est-ce encore par des emprunts au nom du peuple malgache ? Les 105 millions de dollars seront-ils encore un fruit d’un montage financier d’emprunts sur d’autres places financières ? Et pourquoi Rio Tinto est-elle la société mère du port d’Ehoala pendant toute la durée de l’exploitation minière de plus de 60 ans ? Pour résumer cette série de questions, la transparence qui est un des piliers de la bonne gouvernance doit être une culture encore à développer par les dirigeants de QMM et du gouvernement. La suspicion et
l’absence de dialogue social sincère sont sources de polémiques et de conflits. Le fait d’informer les gens ne signifie, en aucune manière, une « consultation publique » tant que les rencontres sont en sens unique pour imposer les propositions de Rio Tinto. L’Afrique connaît tellement le syndrome hollandais, où les sites miniers ont engendré plus de conflits pouvant aller aux guerres civiles.

Ce n’est pas en diabolisant ou en marginalisant les esprits critiques qu’on va arriver à un développement participatif et durable de Madagascar en général et, de la région de l’Anosy, en particulier. Le projet de Rio Tinto doit être vu, au premier abord, sous deux angles : l’exploitation minière et l’installation d’un port à proximité d’une ville de 60.000 habitants. Le projet d’exploitation minière du sable noir se fera sous une couverture végétale à très forte biodiversité endémique. Le site est une zone habitée par une population locale installée depuis plus de mille ans. Pour mieux comprendre l’exploitation minière prévue, il suffit de visiter une mine fonctionnelle plus de 25 ans en Afrique du Sud à Richards Bay (RBM) ou un site récent au Kenya à Mombassa. RBM emploie actuellement environ 2.200 travailleurs spécialisés pour une production de 1,2 millions de tonnes par an. A Madagascar, QMM n’envisage d’exploiter sur une superficie de 6.000 ha en phase de croisière que 750.000 tonnes par an, mais cela dépendra du marché. Depuis l’existence de QMM en 1989, cette entreprise n’a pas encore officialisé les différents types de métiers pérennes avec les formations adéquates pour se former ou permettre aux Malgaches de se positionner. En cette année 2007, un inventaire estimatif de travailleurs étrangers présents à Fort-Dauphin est de 200 expatriés de toutes les nationalités avec des salaires largement supérieurs à ceux des travailleurs malgaches. Tous les travailleurs malgaches de tous les secteurs d’activités subissent l’effet de l’inflation engendrée par la forte présence d’étrangers à cause d’une exploitation future de la terre des ancêtres. Les sacrifices de 1947 étaient pourtant axés sur l’abolition de la colonisation du Tanindrazana (la « terre des ancêtres ») et l’amélioration des conditions de vie des indigènes.

Pour atténuer les mécontentements des Malgaches, Rio Tinto utilise le service d’une équipe de collaborateurs malgaches pour faire du « marketing social » de façade avec des projets communautaires conditionnés pour cacher le non-paiement de fiscalité foncière et minière. Pourtant, Rio Tinto a gelé ou conditionné tout autre investissement sur 9 communes couvrant 100 km de littoral. Actuellement Rio Tinto a donc gagné sur tous les points : convention
d’établissement votée à l’Assemblée Nationale, autorisation environnementale accordée par le Ministère de l’Environnement et, pas la moindre, l’exploitation exclusive d’un port en eau profonde pour toute la durée de l’exploitation minière. Face à tout cela, le peuple malgache doit réfléchir sur le reste à gagner ; sans oublier que, dans la convention d’établissement, il est inscrit une protection des travailleurs expatriés tandis que les travailleurs locaux seront régis par le code malgache du travail inadapté pour le contexte. Les partenaires sociaux n’ont jamais eu l’occasion de faire un débat sans pression ou d’être entendu sur le projet de Rio Tinto. Le gouvernement malgache montre pourtant avec fierté aux rencontres internationales son adhésion au processus du dialogue social et aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Pour le port, malgré le peu d’information mise à disposition du public, on peut avancer que la configuration sera un quai d’environ 8 mètres de profondeur avec des infrastructures pour des bateaux minéraliers de 35.000 tonnes. Ehoala sera un quai privé avec une limitation d’exportation de produits et d’utilisation, et qu’il a fallu 15 ans pour trouver son financement. Pour le moment, il est difficile de voir les effets multiplicateurs sociaux de l’exploitation minière. Il est grand temps de mettre en place un dialogue sincère et permanent qui est vital pour prévenir des incidences négatives et pour améliorer les conditions de vie des Malgaches de cette partie de l’île. La société médiévale de la région de l’Anosy est en train de se transformer en une société industrielle. Les mécontentements publiés périodiquement dans la presse prouvent que la population n’a pas été préparée à cette évolution.

Pour conclure, un regain de patriotisme devrait désormais se réveiller pour réfléchir sur la position commune du peuple malgache face au néo-libéralisme sauvage et à la non maîtrise de l’exploitation de nos ressources minières. Le prolétaire de la région de l’Anosy survit tandis que les cadres malgaches n’arrivent plus à faire des épargnes dans son propre pays, à cause d’un minerai. Le sable noir est en train de devenir une source de pauvreté au lieu
d’être une source de prospérité. C’est ce qu’on peut appeler du néo-colonialisme par le capital, nécessitant encore une nouvelle lutte de classes face à un apartheid social et salarial.

Un vrai projet de société doit être établi par et pour les Malgaches. Sinon les grands projets miniers tels que RIO TINTO, DYNATEC, PAM Corp… n’ont pas leur raison d’être. Les organisations syndicales, et la FISEMA en particulier, ne cherchent qu’un consensus tripartite « gagnant-gagnant » pour les travailleurs, la population et les générations futures. Le manque de débat et le développement d’injustices sociales entraînent le recours à d’autres moyens dont les syndicats ne veulent pas, sauf en cas d’entêtement des hauts responsables de l’Etat et des décideurs d’entreprises.

30 juin 2007

José RANDRIANASOLO et Toky RAVOAVY

(FISEMA, Confédération générale des syndicats de travailleurs de Madagascar)