Les droits de l’Enfant au Sahara occidental? Les mêmes que pour les adultes…

A peines arrivées à Laayoune, capitale du Sahara occidental sous occupation coloniale marocaine, c’est auprès de deux enfants et de leurs mères que nous avons été conduites pour recevoir leurs témoignages des sévices graves qu’ils ont subis, véritables tortures, qui démentent « les progrès du Maroc dans le respect des droits de l’homme » comme le chantent les médias occidentaux, les autorités françaises qui ont mis tout leur poids pour que le Parlement européen ratifie l’accord de pêche UE/Maroc incluant les eaux territoriales sahraouies.


PREMIER TÉMOIGNAGE – Laayoune le 22 Décembre 2014

Travaux pratiques de la Journée internationale des droits de l’homme 2013 par la police marocaine

Aïcha Salem est arrivée avec son fils Ahmed, un garçon frêle, sa tête est bandée, il a le regard un peu perdu. Elle nous a rejoints chez sa belle sœur pour témoigner des blessures que son fils a reçues à deux reprises cette semaine de la part de policiers marocains.

Aïcha Salem : “Mon fils a douze ans il est né le 20 septembre 2001 à Youssifia dans la province de Safi au Maroc d’où je suis originaire. Nous habitons Laayoune, mon mari est Sahraoui, j’ai adopté la cause.”

Question : D’où vient ta blessure ?

Ahmed Gargar : « C’est l’Intifada »

Question : Pourquoi participes-tu à ces manifestations ?

Ahmed Gagar : « Parce qu’on demande nos droits. Je soutiens les détenus. J’ai un parent qui a été tué le jour de la destruction du campement de Gdeim Izik, il s’appelait Gargar Babi Mahmoud(1) .

Question : Quand et comment as-tu été blessé la première fois ?

Ahmed Gargar : «C’était le 10 décembre j’assistais au sit-in rue Gods, près du quartier Maatala, à l’occasion de la journée des droits de l’homme. Il y avait beaucoup de monde, des femmes, des hommes, des jeunes et des enfants comme moi. Les policiers sont arrivés. Ils avaient des casques et nous jetaient des pierres et des bouteilles en verre pour que l’on parte. J’ai reçu une pierre derrière ma tête. Cinq policiers m’ont entouré et frappé avec les matraques sur mes jambes et mes pieds. Il y avait d’autres personnes autour de moi qui ont été frappées aussi. J’ai été soigné par ma voisine, une femme sahraouie. Je ne suis pas allé à l’école pendant 3 jours. »

Question : Et cette seconde blessure quand l’as-tu reçue ?

Ahmed Gargar : « Hier midi à la sortie de l’école. Une petite manifestation s’est formée, nous étions une trentaine de personnes. Les femmes faisaient des « You You ». Les policiers, des GUS (2) sont arrivés dans leur fourgon bleu . Ils étaient 12 avec les casques sur la tête. Les enfants ont commencé à leur jeter des pierres et les policiers ont fait pareil. J’ai couru vers la maison de ma tante mais un policier m’a attrapé. Il m’a fait monter dans le fourgon (3). Il m’a giflé. Il a arraché mon pansement et appuyé sur ma blessure pour me faire mal ; il a dit « je vais lui faire une jumelle ». Il a pris son coupe-ongle de sa poche et avec la petite lame, il a coupé un morceau de peau derrière ma tête. Deux autres policiers me tenaient les pieds et les mains pendant ce temps. Ils m’ont obligé à chanter la fin de l’hymne national marocain (4).

Keltoum Gargar : « j’ai vu un enfant monter dans le fourgon, mais c’est une femme qui m’a indiqué que c’était mon neveu. J’ai attrapé le chef par sa veste, comme ça (5), en criant de libérer l’enfant et j’ai mobilisé les gens autour de nous pour réagir. Alors il a contacté les policiers par talkie-walkie pour leur dire de laisser partir Ahmed. Nous l’avons emmené à l’hôpital pour le faire soigner.»

Question : Est-ce une pratique courante de s’en prendre ainsi aux enfants ?

Ahmed Gargar : « Parfois ils viennent à l’école, même dans les classes. Un jour ils sont venus chercher un drapeau et ils ont arrêté un élève Adballah A . Ils l’ont emmené au commissariat et il a été tabassé ; ils ont brûlé le drapeau. Au cours de l’interrogatoire Abdallah a donné le nom d’un deuxième élève Walda A ; ils sont venus l’arrêter à l’école pour le conduire au commissariat et il a été tabassé. Après ils les ont emmenés tous les deux à la sortie de la ville, près de l’oued Saguia El Hamra et les ont laissés là.

Question : Quand cela s’est-il passé ?

Keltoum Gargar : C’était en juin dernier. Ils ont été relâchés l’après-midi. Ils n’ont aucune pitié, j’ai moi-même été tabassée quand j’étais enceinte de ma fille.

1° Il a été écrasé par un véhicule de police à Laayoune le 8 novembre. Il avait 32 ans.

2° Groupe Urbain de Sécurité

3° Sa tante, Keltoum Gargar, a relevé sur son téléphone l’immatriculation du fourgon 16 40 35

4° L’hymne marocain se termine par la formule consacrée « Dieu, la Patrie, le Roi »

5° Elle fait le geste d’attraper par le « colback »

DEUXIÈME TÉMOIGNAGE – Laayoune le 23 décembre 2014

Labat Moussaoui est né le 25.4.2005 à Laayoune Lafkir Oum Lkhoit. Il réside avec sa mère à Laayoune rue de Taha Sine n°5.

Lafkir Oum Lkhoit est membre de la coordination pour la libération des prisonniers de Gdeim Izik. Son parent, Mohamed Bourial, a été condamné à 30 ans de prison par le Tribunal militaire de Rabat. Son père est parent d’Enaama Asfari condamné à la même peine et de Moussaoui Dhkil, ancien prisonnier politique. L’enfant accompagne sa mère aux sit-in pacifiques pour la libération des prisonniers de Gdeim Izik. Est-ce la raison de l’agression dont il a été victime de la part d’un policier ? Nul ne le sait, mais les faits sont là et rien ne peut justifier une telle sauvagerie sur ce petit garçon de la part de représentants de l’autorité.

Question : On m’a signalé que votre fils a été blessé à la mâchoire, dans quelles circonstances cela s’est-il passé ?

Lafkir Oum Lkhoit : « C’était le 23.11.2013 à 16 heures. Mon fils jouait près de chez nous dans la rue Taha Hssine avec deux amis l’un a 4 ans et l’autre 5 ans. Labat est le plus grand. Il n’y avait aucune manifestation ni aucun sit-in dans les environs. Une fourgonnette bleue de police est arrivée. Cinq policiers en tenue sont descendus. Les deux petits se sont sauvés quand les policiers se sont approchés, l’un d’eux a mis un violent coup de pied à mon fils au menton. Le bout des chaussures est renforcé par du métal. Il a eu la mâchoire déformée et plusieurs dents cassées. Une femme a entendu un policier dire « Frappe-le, frappe-le, tue-le ! Encore, encore il n’y a personne ». Elle a vu la voiture de police démarrer, elle a pris le numéro d’immatriculation : 16 40 61 H. Mon petit était allongé parterre. Une voisine l’a ramené à la maison où j’étais alitée, très malade.

Des gens étaient présents mais ils n’ont pas voulu témoigner, ce sont des Marocains, ils ont peur.
Mon fils a passé une semaine sans parler. Il était nourri par sonde. Il n’absorbait que du liquide.
Il a été opéré par le Docteur Mohamed Amine Dahik spécialiste en ORL et chirurgie cervico-faciale.

J’ai déposé plainte le 5 décembre 2013 auprès du Procureur général du Tribunal de Laayoune. Je n’ai pas été contactée pour une enquête. L’agent qui a reçu la plainte ma pris une copie je n’ai pas vu le Procureur. »

L’enfant s’exprimait très peu, il nous montrait l’état de sa bouche en tirant sur sa lèvre inférieure. Il paraissait encore choqué. Sa mère et lui nous ont conduit sur les lieux où s’est produit l’agression.

Témoignage recueilli par Michèle DECASTER

Secrétaire Générale de l’AFASPA

Photos Lilith Marceau et archives familiales