Le numéro 129 (de septembre 2013) d’Aujourd’hui l’Afrique est sorti

Au S O M M A I R E du n°129 (de septembre 2013)


01. Guerre au Sahel. Dégâts collatéraux , Francis Arzalier

03. Après l’élection d’iIBK, quels défis pour le Mali ? , Rosa Moussaoui

05. Interview de l’écrivain Boubacar Boris Diop , Solidaire (Belgique)

06. Le Camp des Oliviers. Images fortes de l’Algérie coloniale , Francis Arzalier

06. Une enfance juive algérienne à Constantine (Extraits de l’ouvrage Le Camp des Oliviers)

10. Réminiscence O.A.S. , Bernard Deschamps

11. Les raisons de Marikana. La crise des mines de platine en Afrique du Sud , Paul Bond

19. Impérialisme humanitaire. Haïti aux prises avec ses « bienfaiteurs » , Elisabeth Logié

22. Algérie : le gaz naturel en déclin ? Entre pessimisme et optimisme ! , Alain Amsellem

24. Quid des trafics transnationaux d’êtres humains et de drogues ? , Aujourd’hui l’Afrique

24. Plongée dans les eaux troubles du trafic de migrants , Naima Benouaret (El Watan)

26. Le trafic de drogues via le continent africain, dont l’espace sahélo-saharien , JC Rabeherifara

27. Ouganda. La fripe occidentale tue le textile africain , Robyn Cunow et Teo Kermeliotis (CNN Atlanta, Courrier International)

28. Notes de lecture, JC Rabeherifara

29. Flashes d’actualités africaines, Robert Lavaud

31. Page AFASPA

32. Hommage à Raymonde Etienne , Monique Etienne

33. Henri Alleg est vivant , Francis Arzalier


Le Billet [ n° 129 (de septembre 2013 ]

Guerre au Sahel : dégâts collatéraux
Francis Arzalier

Le président Hollande nous en a avertis, en chef de guerre soucieux de récupérer le bénéfice de « sa » victoire : l’intervention militaire est un succés, il ne reste plus aux soldats français qu’à regagner leurs casernes, le djihadisme-intégrisme a été vaincu au Sahel. Cette affirmation digne du docteur Coué ne résiste pas à une observation sérieuse ; il suffit d’éteindre les télévisions française aux ordres et de lire un peu la presse africaine pour s’en convaincre.

Hollande a annoncé à Bamako et à Paris que le Mali devra tenir des élections en juillet 2013. Sa phrase : « Je serai intraitable sur l’échéance » a fait l’effet d’une piqure de rappel en Afrique. Le site guinéen francophone (guinéeconakry.info) le dénonce : « Que le Mali et le peuple malien soient prêts ou non, la question n’est pas là pour lui. En s’exprimant ainsi, il ne parle pas en tant que président d’un pays ami. Il prend plutôt la place de toute l’élite politique et de la société civile maliennes… Les adieux à la Françafique ressemblent à des vœux pieux. » (Boubacar Sanso Barry)

On est en droit en effet de se demander quelle valeur démocratique auront les élections réalisées à la va vite, sans concertation préalable entre forces politiques maliennes, dans un pays dont toute la moitié nord s’est vidée de centaines de milliers d’habitants fuyant les combats, et encore réfugiés dans des camps de survie, au Niger, Mauritanie, à la grâce des ONG et de l’ONU.
Dans cette région saharienne, encore en guerre malgré les dires de Monsieur Fabius, la vie quotidienne des populations est précaire ; elles sont parfois, de fait, détachées du Mali, avec, semble-t-il, l’assentiment des forces françaises. Le journal malien l’Informateur en témoigne pour la ville de Kidal :
« Il manque de tout à Kidal. Du courant, des vivres, des médecins, des enseignants… Tous ou presque ont fui l’année dernière, comme une partie des habitants, quand les combattants salafistes d’Ansar Dine, le goupe d’Iyad AG Ghaly, ont bouté l’armée malienne hors de la ville… La place forte des Ifoghas, la plus puissante des tribus touaregs est coupée du monde. Cité interdite aux étrangers pendant plusieurs décennies, lorsqu’elle abritait un bagne militaire, Kidal a toujours été un cas à part. Une épine dans le pied du Mali, où ont été conçues toutes les rébellions touaregs de ces cinquante dernières années. Aujourd’hui encore, elle fait figure d’exception : alors que la ville a été libérée du joug d’Ansar Dine le 28 janvier, l’armée malienne n’y a toujours pas mis les pieds…
Un « coordinateur », sorte de maire provisoire, a été nommé par les notables avec l ‘assentiment des deux groupes armés qui ont pris le relais d’Ansar Dine : le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, laïc) et le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA, islamiste modéré)…

Le MNLA et le MIA, qui travaillent désormais main dans la main, le clament haut et fort : « Nous sommes prêts à nous battre ». À Bamako, le ton est tout aussi virulent… Officiellement, si l’armée n’est pas à Kidal, c’est par manque de moyens… « Si on ne monte pas, c’est parce que la France ne veut pas », déclare une source sécuritaire malienne. À court terme, le MNLA est considéré par Paris comme un allié dans la traque aux djihadistes. A plus long terme, dans la perspective d’une réconcilliation nationale, il est perçu comme « comme un interlocuteur inévitable », selon les termes d’un diplomate, Ibrahim Yattara.

Le moins qu’on puisse dire est que l’unité nationale malienne n’existe plus, au moins pour l’instant. La France s’honorerait en n’aidant pas à cette mise à mort d’une nation qu’elle a portée sur les fonds baptismaux en 1960.
Autre affirmation claironnée par les stratéges parisiens, l’intégrisme-djihadisme est blessé à mort, réduit à quelques débris sans danger dans le désert saharien, alors qu’il était sur le point de conquérir toute la région avant l’intervention française.

Tous les observateurs sérieux démentent ce conte de fées : depuis le printemps 2013, les katibas armées djihadistes ont été capables non seulement d’attentats suicides, dans les villes « libérées » du Nord-Mali, mais d’actes de guerre réalisés par des commandos au Niger : de nombreux soldats nigériens ont payé de leur vie la protection du site uranifère explioté par la société transnationale à direction française Areva. Plus grave encore, est l’extension de cette guerre du Sahel ces derniers mois au nord du Nigéria, dont l’armée doit combattre les groupes intégristes Boko Haram, fortement armés.

Car cette nébuleuse de djihadistes-trafiquants, de Libye au Golfe de Guinée, des rivages atlantiques au Soudan, continue d’être abondamment pourvue en argent, armes et matériel : les profits de la drogue, des rançons d’otages, et divers sponsors y pourvient, les mêmes qui, parfois, financent partout au Sahel des medersas où fleurit souvent le discours intégriste sous prétexte d’Islam.

Car tous les pays du Sahel, jusqu’ici caractérisés par une foi musulmane tolérante, « africanisée », sont aujourd’hui touchés par le même phénomène inquiétant :la misère et le chômage, la rage provoquée par l’intervention étrangère (Occident ou Africains de la CEDEAO), et l’effondrement de l’état national (armée, police), provoquent la croissance du discours islamiste, rigoriste et parfois intégriste. Une dérive qu’ont connue tous les pays musulmans soumis à une intervention occidentale, de l’Irak à l’Afghanistan. L’opinion à Bamako est loin encore de connaître l’évolution de Bagdad ou Kaboul, elle n’en est pas immunisée.

Ce risque est réel aussi au Sahara algérien, comme l’explique l’Amenokal des Touaregs de Tamanrasset, Ahmed Edabir (interview de Salima Tlemçani, El Watan, 31 mars 2013) : « Vous avez regroupé les chefs de tribu et les notabilités de l’Ahaggar, mais aussi les jeunes… J’ai réuni les notables à leur demande et à la demande des jeunes de la région qui vivent des problèmes de marginalisation et d’exclusion… Nous ne souhaitons pas que demain les Touareg soient accusés de violence ou de tout acte de destruction, auquel certaines personnes malintentionnées appellent. Le but est également de couper l’herbe sous le pied de ceux qui depuis quelque temps se sont autoproclamés porte-parole de Touareg de l’Ahaggar… Les jeunes d’aujourd’hui vivent des problèmes sérieux et n’attendent que ceux qui leur apportent les solutions concrètes. Si nous ne faisons rien pour eux, ils iront chercher ce dont ils ont besoin ailleurs…

Quel est l’impact de la guerre menée par la France au Nord du Mali ?

« Tamanrasset est la région qui paye le prix fort de cette guerre. Elle reçoit les réfugiés, avec tous les problèmes que cela suppose. La situation sécuritaire n’est pas du tout rassurante. Notre plateforme de revendications illustre parfaitement tous ces besoins. Nous espérons qu’elle soit prise en compte le plus rapidemant possible. Il y va de la stabilité de la région, qui constitue aujourd’hui le bouclier qui défend le pays de toutes les menaces de ce bourbier qu’est la région du Sahel… »
L’ensemble de l’Afrique du Nord-Ouest, méditerranéenne, sahélienne et saharienne, est durablement déstabilisée ; elle ne cessera de l’être tant que le sous-développement, la déliquescence des états, le chômage et les ingérences étrangères y nourriront les dérives intégristes et maffieuses.