Enlevée et sequestrée par les autorités marocaines

Après quelques heures de repos je poste sur le site de l’AFASPA le récit des sévices que j’ai subis de la part des autorités marocaines à l’aéroport d’El Ayoun, capitale du Sahara occidental, occupé illégalement par le royaume du Maroc depuis novembre 1975, date de l’agression militaire.


J’étais venue passer trois semaines chez des amis sahraouis au Sahara occidental occupé par le Maroc, comme je le fais depuis plusieurs années en dehors des missions d’observation de procès. Je suis arrivée à El Ayoun le mercredi 6 août 2014 à 18h50 via Casablanca. A ma descente de l’avion, en arrivant à la porte de l’aéroport j’ai vu un homme en civil me filmer. Je me suis dit « déjà », étant habituée à être photographiée, filmée, écoutée et suivie dès que je mets les pieds au Sahara occidental ou à Guelmim et Tan Tan dès que je rencontre les résistants sahraouis. Cette situation je l’ai connue en 2002, 2008, 2010, 2012 et 2013. La suite pourtant m’a surprise.

Un homme en civil s’est saisi de mon passeport sans se présenter et a disparu plus d’une demi heure. A son retour il m’a dit que je devais repartir par l’avion qui m’avait amenée, étant « indésirable ». Je lui ai fait remarquer qu’« indésirable » n’est pas un terme juridique et que cela ne suffit pas pour me contraindre à partir. J’ai exigé d’être présentée à une autorité judiciaire.

Leurs demandes conciliantes, m’invitant à « être raisonnable » ont bien vite été suivies d’intimidations verbales et physiques. Après s’être saisis de mon sac de voyage, un policier a tenté de m’arracher mon bagage à main. Il m’a tordu le bras pour y parvenir. Ensuite ils m’ont poussée et tirée par les bras. Je me suis retrouvée au sol, ils m’ont traînée, mais se sont arrêtés à la porte, de crainte que les passagers de l’avion aperçoivent cette scène non prévue à leur scénario… Ils ont alors eu recours au commandant de bord qui m’a expliqué ramener souvent des Marocains, expulsés de France… et que si je ne repartais pas en avion, je devrais voyager en taxi jusqu’à Casablanca ! J’ai répété que cette injonction était illégale et que je voulais une décision judiciaire, comme pour les expulsions des étranger de France que je désapprouve d’ailleurs.

Vers 21h15 les policiers en civil sont revenus vers moi pour m’annoncer que j’allais être conduite en taxi devant une autorité judiciaire (des fourbes et des menteurs). Devant cette vingtaine de personnes (toutes en civil) j’ai senti qu’il y avait un gros risque d’enlèvement et j’ai exigé qu’un policier en tenue m’accompagne. J’ai voulu prévenir le Consulat de France et des défenseurs des droits de l’homme sahraouis, mais ils me l’ont interdit. Tout était donc clair. J’ai tenté de téléphoner, l’un d’eux, plus vindicatif que les autres a tenté de se saisir de mon téléphone qui est tombé à terre. Je l’ai récupéré mais la batterie avait été éjectée et il l’a éloigné d’un coup de pied alors qu’un autre m’a retenue. La scène a été filmée comme la plupart des échanges. Qu’ils osent montrer ces images de policiers « courageux » malmenant une femme qui vient de fêter ses 67 printemps !

Ils m’ont dit (et encore menti) que la batterie me serait rendue dans le taxi. Je m’en suis rapprochée pour la réclamer. Refus de leur part, refus de la mienne de monter à bord. Trois policiers m’y ont alors poussée, pendant qu’un quatrième entré par l’autre porte me tirait par le corps. Je précise que je n’ai pas été tabassée, seulement rudoyée à deux reprises : dans l’aéroport et devant le taxi.
J’ai été enlevée contre ma volonté à 21h30 de l’aéroport d’El Ayoun et séquestrée dans un véhicule présenté comme étant un taxi. Par la suite je n’ai pas été expulsée d’Agadir, ayant fait valoir que cette expulsion aurait été illégale car sans décision judiciaire alors que j’étais entrée en toute légalité à Casablanca.

Deux hommes en civils sont montés à bord en sus du chauffeur. Trois fourgons des GUS (Groupes Urbains de Sécurité) nous ont « escortés » jusqu’à la sortie d’El Ayoun ainsi qu’un véhicule banalisé qui fut seul à nous suivre jusqu’à la sortie du territoire non autonome du Sahara occidental. Direction Agadir m’a-t-on annoncé alors. Pour quoi y faire ???

Durant le voyage j’ai craint plusieurs fois que nous ayons un accident : le chauffeur roulait « à tombeau ouvert », téléphonant sans cesse ou répondant à des appels alors qu’une circulation importante de gros camions venant en face l’éblouissait souvent. Je ne pouvais m’attacher, les ceintures à l’arrière ne pouvant être accrochées. D’ailleurs personne n’était attaché. Les deux portières à l’arrière étant bloquées, si nous avions eu un accident nous n’aurions pu sortir nous-mêmes. On ne m’a permis qu’une seule fois d’aller aux « toilettes » plus d’une heure après que j’en aie eu fait demande. Il fallait que mes « accompagnateurs » téléphonent à droite et à gauche pour m’y autoriser, de même pour que je puisse avoir accès à mon bagage à main enfermé dans le coffre. Le chauffeur ne s’est pas arrêté dans l’un des restaurants devant lesquels nous sommes passés, mais à la dernière pompe à carburant où les WC femmes étaient d’une puanteur écœurante, sans chasse d’eau ni porte, dans un couloir dont la porte n’avait pas de serrure.

Ma deuxième demande d’arrêt n’a pas été exhaussée car nous approchions d’Agadir. Pourtant c’est à Inzgen qu’on a prétendu me débarquer vers 4h30 devant un hôtel miteux où d’ailleurs personne n’avait réservé de chambre. J’ai refusé de quitter la voiture un policier est intervenu à la demande du chauffeur, mais il a fait droit à mon exigence d’être conduite dans un hôtel correct à Agadir.

J’ai été reçue très courtoisement par la Vice Consul de France à Agadir et j’ai demandé à être reçue à l’Ambassade de France. Prévenu de ce qui s’était passé par les militants sahraouis défenseurs des droits de l’Homme, un attaché avait tenté de me joindre à deux reprises alors que mon téléphone était hors d’usage. Je n’ai pas pu prévenir mes amis ou ma famille de la suite des événements avant le lendemain après-midi après avoir racheté une batterie à Agadir.

Le lendemain de mon enlèvement, une avocate canadienne a été contrainte à repartir dans l’avion qui venait de l’amener à El Ayoun. Elle venait, elle aussi, visiter une amie sahraouie rencontrée à Genève lors d’une cession du Conseil des droits de l’homme au Palais des Nations Unies.

Voilà ce qu’il en est des progrès des autorités marocaines en matière de droits de l’homme, dans ce territoire non autonome, pour lequel elles n’ont aucun mandat international ni autorité légale.

Michèle DECASTER

Secrétaire Générale de l’AFASPA