DISPARITION DE JEAN SURET-CANALE : 1/ Message de l’AFASPA ; 2/ Témoignage paru dans le journal L’Humanité du 26 juin 2007

DISPARITION DE JEAN SURET-CANALE

1/ Message de l’AFASPA

2/ Témoignage paru dans le journal L’Humanité du 26 juin 2007


1/ MESSAGE DE L’AFASPA

En août 2006, il était parmi nous aux Journées d’études de l’AFASPA sur l’Afrique continuant à nous faire partager ses connaissances, ses convictions, sa volonté inlassable d’agir… Jean Suret-Canale, membre de l’AFASPA, est décédé samedi 23 juin 2007 à son domicile, à La Roquille (Gironde), à l’âge de quatre-vingt-six ans.

Militant communiste, résistant, anticolonialiste, géographe et historien, chercheur et enseignant, il fut un spécialiste rigoureux de cette Afrique qu’il a tant parcourue : son regard sur ce continent a fait de lui l’initiateur de l' »histoire de l’Afrique » en France.

Homme de cœur et de conviction, il nous laisse une somme d’écrits qui vont être prochainement rassemblés à l’initiative de la revue La Pensée. Il nous lègue des analyses, éclairages et repères utiles et pertinents pour notre démarche de solidarité avec les peuples d’Afrique.

Aujourd’hui l’Afrique, revue de l’AFASPA, rendra hommage à celui qui fut un de ses contributeurs les plus prolifiques en publiant début septembre dans sa prochaine livraison, le numéro 105, un article inédit de Jean Suret-Canale.

> Jean-Paul Escoffier, président en exercice de l’AFASPA


2/ TÉMOIGNAGE PARU DANS L’HUMANITÉ DU 26 JUIN 2007

L’HISTOIRE AFRICAINE PERD SON PREMIER INTERPRÊTE

Résistant, intellectuel et militant, ses travaux sur l’Afrique précoloniale et sur le colonialisme ont formé des générations de chercheurs.

Jean Suret-Canale vient de mourir. Ce fut un grand militant, un grand résistant et (tout géographe qu’il était) un grand historien de l’Afrique. Né à Paris en 1921, il fait de brillantes études au lycée Henri-IV. Son premier prix au concours général de géographie en 1939 (après celui de thème latin en 1938) décide de son avenir par deux bourses de voyage, l’une au Dahomey en 1938 et l’autre en Indochine en 1939. Il y découvre la colonisation.

Son professeur de philosophie, René Maublanc, lui-même grand militant communiste et résistant, joue un rôle décisif dans son choix de vie.

Jean adhère aux étudiants communistes en juin 1939 entre l’écrit et l’oral du bac. Dès septembre 1940, il est arrêté à Paris alors qu’il colle des papillons et condamné à trois mois de prison. Libéré le 12 février 1941, il replonge dans le militantisme dès sa sortie. Ses activités lui ont valu la médaille de l’internement et de la déportation pour faits de Résistance, et la croix de combattant volontaire.

Agrégé de géographie en 1946 (marié la même année avec Georgette Lamargot, ils auront trois enfants), il mène de front son métier de chercheur et son activité militante, dont il sait, chaque fois, tirer des ouvrages d’analyse précis et utiles : ainsi, récemment, les Francs-Tireurs et partisans français en Dordogne, et le Maquis de Corrèze (Tulle, 1995).

De 1946 à 1949, il enseigne au lycée de Dakar (Sénégal). Il adhère au groupe d’études communiste dont il devient le secrétaire tout en militant au RDA (Rassemblement démocratique africain) et à l’Union des syndicats confédérés de Dakar. L’administration coloniale le fait expulser. Un livre en est sorti : les Groupes d’études communistes en AOF. En 1958, le tome I de l’Afrique noire occidentale et centrale est un événement, révélant l’histoire de l’Afrique précoloniale, supposée jusqu’alors « sans histoire » car sans écriture. Ce livre, fondamental pour les jeunes historiens d’alors, fait de Jean Suret-Canale l’initiateur de l’histoire africaine en France.

Après quelques années d’enseignement et de brimades dues à ses activités syndicales, il répond en 1959 à l’appel de Sékou Touré pour venir remplacer, au lycée de Conakry, les enseignants français rappelés par de Gaulle à la suite du « Non » de la Guinée au référendum sur la Communauté. Tout en enseignant, il crée la revue guinéenne Recherches africaines. Avec l’historien guinéen Djibril Tamsir Niane, il rédige le premier manuel guinéen d’histoire, et en extrait aussi un livre d’histoire qui fit longtemps autorité : La République de Guinée (1980).

Sous peine d’être rayé de la fonction publique, il doit revenir en France où il devient attaché pour chargé de recherches au CNRS et termine sa grande œuvre d’Histoire de l’Afrique française (1964 et 1972) : épais travail de synthèse qui demeure inégalé ce jour.

Après un poste à l’université d’Oran (1974-1978), il est, de 1978 à 1984, auprès de Jean Dresch, maître-assistant de géographie à l’université de Paris-VII. Il y soutient l’année de sa retraite sa thèse d’État publiée en 1987 : Afrique et capitaux.

Jean Suret-Canale a toujours mené de front ses activités de recherche et son militantisme ardent. Membre du comité central du Parti communiste français de 1967 à 1972, il est l’un des présidents de l’AFASPA (Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique), animateur de sa revue (Aujourd’hui l’Afrique).

Il laisse le souvenir d’un pionnier infatigable qui a véritablement introduit en France la discipline « histoire de l’Afrique ». Certes, on pourra aujourd’hui souligner quelques travers d’époque, mais sans oublier que sa carrière a largement souffert de son anticolonialisme vigoureux et de sa fidélité de vieux militant. Il faut se reporter sans faire d’anachronisme aux travaux de titan qu’il a produits : ces ouvrages sont irremplaçables par leur honnêteté rigoureuse et leur précision scientifique.

Jean Suret-Canale était sur ses recherches d’une générosité absolue ; il savait encourager les jeunes talents, et il était toujours prêt à une relecture attentive, voire un échenillage pointu, soucieux de faire éviter des erreurs que sa connaissance implacable des archives lui permettait de déceler. Nous perdons aujourd’hui un homme de coeur et de conviction et un grand chercheur.

> Catherine Coquery-Vidrovitch, professeure émérite à l’Université Paris-VII.