FRANCE-RWANDA, AU-DELA DE LA CENSURE

Dans un article paru dans le quotidien l’Humanité d’hier (7 mai 2012), Jean Chatain souligne la ténacité peu ordinaire face aux plaintes pour diffamation des anciens officiers de l’opération « Turquoise » dans le 6ème numéro de la revue annuelle « La nuit rwandaise », coéditée par l’Esprit frappeur et Izuba. 482 pages. 15 euros


Publication annuelle, la Nuit rwandaise constitue une initiative éditoriale et politique sans équivalent. Son titre est emprunté à l’ouvrage central de Jean-Paul Gouteux (décédé en 2006), auteur pionnier dénonçant « l’implication française dans le dernier génocide du XXème siècle », l’extermination des Tutsis du Rwanda en 1994.

Le premier numéro est daté du 7 avril 2007, date anniversaire du début des massacres racistes ; le sixième, d’avril 2012. Une ténacité qui vaut beaucoup d’animosité à l’équipe animant la revue : neuf officiers supérieurs engagés dans l’ancienne opération « turquoise » (juin-août 1994) ont ainsi porté plainte contre elle pour diffamation, l’objectif étant de rétablir la loi du silence en frappant au portefeuille. Un truc qui, certes, n’est pas nouveau -il fut beaucoup utilisé durant la période des guerres coloniales, notamment à l’encontre de notre journal*- mais dont l’expérience, justement, a montré qu’il pouvait être redoutablement efficace.

Le prétexte fut la publication par la revue (n°5, 2011) du rapport de la commission rwandaise (dite commission Mucyo, du nom de son président), ayant recueilli témoignages et document attestant de l’Élysée dans le génocide de 1994. Paris tentait un contre-feu en faisant donner le juge Bruguière, qui accusa les dirigeants de l’actuel gouvernement de Kigali d’avoir cyniquement joué la carte du pire pour créer les conditions de leur accession au pouvoir.

Oui, mais… le juge Trévidic, ayant succédé à Bruguière, reprenait l’instruction relative à l’attentat contre l’avion du dictateur Juvénal Habyarimana, coup d’envoi des tueries généralisées, et aboutissant à des conclusions contredisant de plein fouet celles de son prédécesseur. Il s’appuyait pour cela sur les travaux d’experts s’étant rendus sur place, ce que Brugière avait jugé inutile de faire, lui-même se gardant de quitter son bureau parisien.

Ce coup de théâtre provoquait une nouvelle flambée de négationnisme dans les médias de notre pays et de colère dans les milieux militaires. Dans ce contexte, le rôle démystificateur d’une publication comme La Nuit rwandaise devient à la fois plus ardu et plus essentiel ; au point d’apparaître comme une besogne de salubrité publique !

Jean Chatain – *L’Humanité du lundi 7 mai 2012