Les terres de paysans kényans bradés aux Qataris

Si les contrats aboutissent comme le souhaitent les responsables politiques, les petits fermiers du delta du Tana perdront leurs terres fertiles au profit du gouvernement du Qatar. Ils sont donc venus exprimer leur colère à Nairobi le week-end dernier.


La nouvelle est confirmée depuis décembre : le gouvernement a accepté de vendre près de 40 000 herctares de la région côtière au gouvernement du Qatar, qui veut y planter de la canne à sucre principalement destinée à la production d’ethanol d’exportation en échange de la construction d’un nouveau port sur l’île voisine de Lamu. Une logique industrielle d’exportation que les organisations de lutte contre la faim jugent incompréhensible, en cette période de famine chronique en Afrique de l’Est. Au pays du prix Nobel Wangari Maathai, les militants et les milieux spécialisés suivent de près le développement de ces contrats, qu’ils dénoncent sur l’ensemble du continent, et une mobilisation encore fragile. Un responsable de l’organisation non gouvernementale Nature Kenya cite les derniers cas en date, en Angola, en Ethiopie, au Soudan… au total, près de 20 millions de terres fertiles africaines ont déjà été vendues ou sont en cours de négociation, c’est-à-dire l’équivalent de la France !

Au Mozsambique, les écologistes ont obtenu gain de cause et Maputo a abandonné la vente des terres à la Chine, tandis que les avances reçues de la Daewoo Logistics Corporation, à Madagascar, ont été un des facteurs de la chute de l’ancien chef de l’Etat, Marc Ravalomanana. Mais les divergences au sein de l’élite handicapent le mouvement social. Certains écologistes multiplient les pressions pour faire capoter les contrats, sans pour autant défendre les intérêts des paysans qu’ils voudraient même chasser de la zone pour la consacrer à la protection animale. La presse et les classes moyennes de Nairobi, traditionnellement peu enclines aux revendications des ruraux, ne s’opposent pas vraiment à l’exploitation industrielle des terres fertiles du delta du Tana, mais préfèrent que ce soient les locaux qui investissent dans les plantations. Face à eux, certains responsables politiques mettent l’accent sur les opportunités d’emplois offertes par ces investisseurs étrangers, appuyés par les chercheurs américians de l’International Food Policy Research. Au grand désarroi des ONG locales.

Pour pouvoir manger et aussi vivre en harmonie avec notre nature, nous n’avons besoin de personne, ni de ceux qui préfèrent nos animaux plutôt que nos enfants, ni des dollars des Qataris,” explique Odero, un petit fermier venu manifester à Nairobi. Sa voix et celles des autres petits exploitants seront-elles entendues? La semaine dernière, les ministres africains ont élaboré un document précisant les termes généraux de ce que doit être un «deal équitable avec les investisseurs étrangers», selon les termes du commissaire de l’Union Africaine à l’agriculture, Rhoda Peace Tumusiime. Des discussions qui figurent sur l’agenda du sommet des chefs d’Etats africains de juillet prochain.