Le dénominateur commun des soulèvements populaires en Afrique et au Proche Orient, est le rejet de décennies de pouvoirs liberticides, le refus de la corruption qui concoure à la misère pour le plus grand nombre. D’un pays à l’autre leur nature, leur développement et les forces qui les portent sont d’une grande diversité. En Tunisie et en Egypte, les révoltes ont été nourries de grandes luttes syndicales. Si les dictateurs ont été chassés, l’aspiration populaire est loin d’avoir trouvé réponse à ses exigences et les répressions de manifestations restent d’actualité.
En Tunisie malgré les avancées sur le terrain des libertés d’expression et d’organisation, le pouvoir est toujours détenu par les forces réactionnaires bourgeoises, soutenues à l’extérieur par les puissances occidentales. La France est sur les rangs comme l’a montré la récente visite de Christine Lagarde, Ministre de l’Economie et des Finances venue proposer un « Plan Marchal », ce qui n’acte pas de changement sur la nature des relations entre nos deux pays.
En Egypte les militaires formés aux USA qui contribuent en grande partie au financement de l’armée, contrôlent la situation et veillent à éviter le développement des grèves qu’ils redoutent au plus haut point.
Dans ces deux pays les transitions tentent d’imposer un processus électoral précipité préjudiciable à l’instauration de la pratique du débat démocratique jusque là impossible.
La situation reste dramatiquement bloquée malgré la forte mobilisation populaire, au Yémen, au Bahreïn et en Syrie où les manifestants poursuivent courageusement leur mouvement durement réprimé par les régimes en place.
En Libye, après la répression de manifestations pacifiques, on a assisté à un soulèvement armé organisé en Cyrénaïque par des chefs tribaux et des islamistes qui ont fait venir des armes de l’étranger. La France, après avoir fait l’impasse sur les crimes du dictateur et sa pratique du pouvoir personnel pour le recevoir à Paris dans des conditions dignes d’Ubu roi, a soudainement entrainé pour des raisons de politique intérieure en vue des élections de 2012, la Grande Bretagne, les Etats Unis puis l’ONU dans un soutien à l’une des parties de ce qui est devenu une véritable guerre civile. Le Président français a décidé de reconnaître officiellement le Conseil National de Transition, dont la composition et les visages des membres ont été longtemps cachés pour les Libyens comme pour l’étranger. Il comporte entre autre un ancien ministre de Kadhafi.
L’Union Africaine, qui ne s’était pas inscrit dans l’option militaire, a été écartée par la coalition dont le souci n’était pas la recherche d’une solution politique. Ce qui devait être « l’affaire de quelques jours », de « frappes ciblée » et autres slogans militaro-politiques, se transforme en bourbier que les populations paient au prix de leur sang. La mission de chefs d’Etats, mise sur pieds en mars n’avait pas été autorisée à se rendre en Libye du fait de zone d’exclusion aérienne. Elle est aujourd’hui sur place où elle a proposé un cessez-le-feu immédiat. Si Kadhafi en a accepté le principe les insurgés ont refusé cette option qui ne prévoit pas le départ du dictateur. Ce qui revient à demander clairement à la coalition et à l’UA de se charger de le destituer. Ce cas de figure est loin de la notion « du respect des peuples à disposer d’eux-mêmes » et ouvre la voie à légitimer toute intervention étrangère dans un pays souverain.
En Afrique les mouvements de protestations se poursuivent :
Au Sahara Occidental sous occupation coloniale marocaine, la répression sanglante du soulèvement populaire de novembre 2010 a tenté de stopper l’Intifada pacifique qui s’y exprimait depuis le printemps 2005. Le mur du silence médiatique sur les emprisonnements arbitraires, les procès politiques et les sit-in et manifestations est conforté chez nombre de ceux qui les dénoncent ailleurs et chez nos dirigeants qui les nient pour justifier l’opposition de la France à ce que la MINURSO soit dotée d’un volet de surveillance des droits de l’homme comme toutes les autres missions de l’ONU en Afrique.
Au Maroc les grandes manifestations populaires (des centaines de milliers dans 60 villes) ont été marginalisées dans les médias télé, radios et journaux français. Malgré les effets d’annonce du Roi du Maroc sur des modifications constitutionnelles qui pourraient être proposées par une commission nommée par lui, les manifestations se sont amplifiées.
A Djibouti de nombreuses manifestations ont eu lieu pour s’opposer à la réélection du dictateur Oumar Ghelleh après reconfiguration de la constitution lui permettant de briguer ce 3ème mandat. Sa réinstallation confortable dans le fauteuil présidentiel n’a pas été contestée par les tenants de la défense de la démocratie au Maghreb, pas de protestation non plus sur les persécutions dont sont l’objet les partis progressistes, leurs militants et leurs familles, ni les innombrables atteintes aux droits humains dont sont victimes les femmes violées par les militaires djiboutiens en pays afar.
Au Burkina Faso les manifestations populaires et marches ce sont multipliées depuis qu’un crime de trop ait été commis le 21 février dans un commissariat à Koudougou. Elles ont conduit à une journée « pays mort » pour protester contre l’impunité et les pillages des militaires qui ont réussi à être entendus contrairement au peuple. Cette contestation trouve son origine en 1987, année de l’assassinat de Thomas Sankara et de l’inversion réactionnaire du processus révolutionnaire qui a décapité la gauche de la façon la plus sanglante. Le régime usé par l’incurie, la corruption et une série crimes impunis se maintient en place par la pratique politique de la carotte et du bâton et le soutien de la France. Mais les problèmes posés demeurent et la politisation de la population et l’intervention massive des femmes dans ces mouvements sont gage de perspectives de changement.
Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, tous les ingrédients ont été mis en place pour justifier la soi-disant « ingérence humanitaire » de protection des civils. En fait cet acte de guerre sous couvert de l’ONU crée l’occasion d’une nouvelle intervention de l’impérialisme pour installer à la tête du pays un dirigeant jugé plus « aux normes » qui a l’avantage d’avoir fait ses armes au poste de directeur adjoint du FMI.
Pourtant des voix en Afrique se sont élevées pour mettre en garde l’habituel « gendarme de l’Afrique ». Ainsi le Président ghanéen Jerry John Rawlings indiquait qu’il était « important de ne pas nous précipiter vers n’importe quelle forme d’intervention énergique. Ce qui ne va pas garantir une résolution définitive de la crise et pourrait même exacerber une situation déjà explosive qui pourrait dégénérer en une guerre civile à grande échelle avec des conséquences horribles ». De leur côté 12 partis progressistes africains, d’une dizaine de pays avaient lancé, le 27 décembre 2010, un appel contre toute intervention militaire en Côte d’Ivoire. Enfin, la société civile ivoirienne composée de plus d’une centaine d’entités, avaient appelé à la cessation des violences postélectorales. Pour la Convention de la société civile ivoirienne seule la réorganisation plus scrupuleuse du scrutin pour conférer une légitimité incontestable au futur président pouvait sortir le pays du bourbier.
La « communauté internationale », a refusé de jouer un véritable rôle de médiateur en tentant d’apporter une réponse incontestable sur le réel vainqueur de l’élection. Ce ne sont pas les victimes des milices de Laurent Gbagbo qui ont emporté la décision du Conseil de Sécurité de l’ONU, mais les pressions des marchands de cacao, et autres investisseurs dans le pays à qui Alassane Ouattara ne pourra rien refuser après avoir été installé dans le fauteuil présidentiel. L’arrestation de Laurent Gbagbo. Aura été rendue possible grâce à l’armée française, voire aux forces de l’ONUCI ? Le dénouement de ce désastreux épisode que traverse le pays ne mettra pas fin aux violences mises sur le compte d’inévitables « dégâts collatéraux » commis par les hommes en armes des deux camps qui continuent à tenir des propos guerriers.
Le début de l’année 2011 marque d’une tache sombre le rôle de la France en Afrique. Nous sommes loin de tourner le dos aux pratiques de l’ère coloniale. Ces deux nouvelles aventures guerrières sur le continent africain s’ajoutent à une liste longue de plus de 50 interventions militaires en Afrique dans une vingtaine de pays depuis les indépendances. Elles ne bénéficient en aucun cas aux populations, mais permettent de maintenir une domination Nord-Sud qui fait le jeu de l’impérialisme.**
L’actualité démontre une fois de plus que le retrait des troupes françaises d’Afrique est une étape nécessaire aux changements qualitatifs des rapports entre notre pays et les pays africains, qui se doivent s’établir sur le respect de l’intérêt réciproque des populations.
Bagnolet le 12 avril 2011