Maroc : Nouvelle trouvaille dans la fabrication des procès politiques

Des organisations des droits humains, de l’immigration et des partis politiques interpellent les autorités marocaines


Vendredi 22 mai, quinze agents policiers en civil ont procédé à l’arrestation du journaliste
marocain Soulaiman Raissouni, rédacteur en chef du quotidien arabophone Akhbar el-
Yaoum. Cette arrestation, pour le moins spectaculaire et humiliante, s’est déroulée devant
son domicile à Casablanca en présence d’un « journaliste » qui l’a filmée et aussitôt
diffusée sur son média électronique Chouf-TV, réputé pour être proche des services de
renseignements marocains.

Après sa garde à vue, Raissouni a été présenté, lundi 25 mai, devant le procureur général
près la cour d’appel de Casablanca qui a ouvert une enquête préliminaire sur la base d’une
publication sur la page facebook d’une personne se faisant appeler Adam Mohamed qui se
dit avoir été victime en 2018 de viol sans préciser le nom de son présumé violeur.

Présenté dans la foulée devant un juge d’instruction, Raissouni va être mis en examen pour
« viol avec violence et séquestration » et placé en détention provisoire à la prison civile
d’Oukacha. Une première audience de son procès est fixée au 11 juin prochain.

Cette arrestation traumatisante et humiliante nous interpelle à plusieurs titres et nous
amène à nous poser les interrogations suivantes :

– Raissouni serait-il un dangereux criminel pour que la police judiciaire ait besoin de
tant d’agents pour l’arrêter ? Pourquoi ne lui a-t-on pas envoyé tout simplement une
convocation à se présenter ?

– Comment expliquer la présence du média Chouf-TV qui a enregistré et diffusé une
partie de l’arrestation sachant que ce même média avait, quelques jours auparavant,
annoncé l’imminence de cette arrestation alors que l’enquête judiciaire préliminaire
n’avait pas encore commencé ?

– Pourquoi le maintenir en détention alors qu’il présente toutes les garanties requises
pour se présenter à son procès ?

– Que signifie-t-il le fait que ce soit le parquet général de Casablanca qui se charge de
ce dossier alors que la personne, présumée victime, réside à Marrakech et n’avait
pas déposé plainte nominative contre Raissouni ?

– Pourquoi la justice marocaine ne s’est-elle pas penchée sur des cas de harcèlement
sexuel relatés de la même façon sur les réseaux sociaux ?

Cette affaire ubuesque a donné lieu, des jours durant, avant l’arrestation, à une déferlante
condamnable sur les sites affidés au pouvoir de messages d’intimidation et de menaces à
l’encontre du journaliste Soulaiman Raissouni. Messages qui se poursuivent actuellement à
l’encontre de quelques défenseur-e-s des droits humains, comme l’historien Maâti Monjib,
qui ont constitué un comité pour le soutenir.

Nous condamnons tout autant la déferlante sur les réseaux sociaux d’attaques haineuses,
blessantes et humiliantes à l’encontre d’Adam Mohamed, la personne présumée victime,
qui a ouvertement déclaré son homosexualité.

Nous nous interrogeons sur les motivations de cette arrestation. Les éléments dont nous
disposons laissent à penser qu’elle est arbitraire et qu’elle constitue pour les autorités
marocaines une tentative de se venger d’une plume qui ne courbe pas l’échine, connue pour ses publications critiques et de lui faire payer notamment ses derniers articles
concernant la gestion sécuritaire désastreuse de la pandémie de Covid-19.

Nous, organisations signataires, indignées et scandalisées par cette arrestation,
demandons aux autorités marocaines de :

– Libérer immédiatement le journaliste Soulaiman Raissouni pour lui permettre de
préparer son procès

– Garantir un procès équitable tout en respectant la présomption d’innocence comme
le stipule l’article 23 de la constitution marocaine

– Faire cesser les calomnies, les menaces et les attaques proférées par les organes de
presse proches des services sécuritaires contre les journalistes et les défenseur-e-s
des droits humains et de se conformer à l’article 25 de la constitution qui garantit la
liberté d’expression et d’opinion

– Cesser d’instrumentaliser la communauté LGBT+ et respecter les libertés
individuelles telles qu’elles sont inscrites dans les conventions internationales tout en
abrogeant l’article 489 du code pénal qui criminalise l’homosexualité.

Premiers signataires :

1- Association de Défense des Droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM)

2- Association des Marocains en France (AMF)

3- Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF)

4- Association Marocaine des Droits Humains-Paris/Ile-de-France (AMDHParis/IDF)

5- Forum Marocain pour la Vérité et la Justice (FMVJ-France)

6- Comité pour le Respect des Libertés et Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT)

7- Association des Marocains de Belgique pour la Défense des Droits de l’Homme (AMBDH)

8- Association Justice et Liberté au Maroc (AJLM)

9- Organisation pour le Libertés d’Information et d’Expression (OLIE-Maroc)

10- Alliance Internationale pour la Défense des Droits et des Libertés (AIDLFrance)

11- Association des Familles des Prisonniers et Disparus Sahraouis (AFAPREDESA)

12- Association Femmes Plurielles

13- Parti de l’Avant-garde Démocratique Socialiste (PADS-Fédération d’Europe)

14- Parti de la Voie Démocratique (VD-Europe)

15- Pour une Ecologie Populaire et Sociale (PEPS)

16- Parti Communiste Français (PCF)

17- L’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA)