Les députés européens vont-ils aller à l’encontre de la Cour européenne de Justice à l’occasion du renouvellement de l’accord de pêche avec le Maroc, alors que la Cour a spécifié que les eaux du Sahara occidental ne peuvent être prises en compte dans cet accord puisque ne faisant pas partie du Maroc? Dans le territoire occupé, les Sahraouis manifestent leur opposition en apposant sur les murs de leurs habitations des banderoles qui démentent la parodie de consultation à laquelle s’est pliée la députée européenne Patricia Lalonde. Cette dernière a dû démissionner de sa responsabilité quelques heures après avoir présenté devant la commission du commerce international du Parlement européen, son rapport reconnu partial du fait de ses liens avec la Fondation pro-marocaine EuromedA dont elle est membre du conseil d’administration.
Analyse de l’Association des Amis de la RASD –
Les 9 raisons pour lesquelles le Parlement européen doit respecter l’arrêt de la cour européenne de justice sur l’exploitation des richesses naturelles du territoire non autonome du Sahara occidental
1) Le statut du Sahara occidental
Un territoire non-autonome en voie de décolonisation (non décolonisé donc), dont le peuple a le droit inaliénable et imprescriptible à l’autodétermination.
2) Ce qu’implique le droit à l’autodétermination
– a) le droit de déterminer librement le statut politique qu’il veut se donner (indépendance, association à un autre État, autonomie à l’intérieur d’un autre État, intégration à un autre État) à travers un référendum d’autodétermination.
– b) une souveraineté absolue sur ses ressources naturelles
– c) dans le cadre de la décolonisation (Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, Résolution 1514 de 1960), l’intégrité territoriale du territoire non autonome doit être préservée.
Le peuple sahraoui ne jouit actuellement d’aucun de ces droits. Si le premier (a) est toujours sur la table de l’ONU depuis les années 1970 , les 2 derniers sont actuellement bafoués par le Maroc.
– b) Ainsi, les richesses de son territoire (phosphates, sable, sel, cultures maraîchères) et de ses eaux dites « adjacentes » (proches de ses côtes), les plus poissonneuses d’Afrique occidentale, sont exploitées et exportées vers l’étranger (dont l’UE), sans bien sûr lui demander son consentement, en violation totale de sa souveraineté.
– c) Par ailleurs, le projet d’accord proposé par la Commission européenne, en réduisant son application au territoire sahraoui sous occupation marocaine et en excluant la partie sous contrôle du F. Polisario, ne respecte pas l’intégrité territoriale du Sahara occidental (définie selon le droit international par les frontières héritées du colonialisme, espagnol en l’occurrence), et en aggrave la division humaine et économique.
3) L’atteinte au processus de paix
A quel titre le Maroc est-il présent au Sahara occidental ?
a) Le Maroc n’y est pas souverain, personne ne reconnaît sa souveraineté et notamment aucun des États membres de l’UE,
b) Le Maroc n’y est pas, au sens de l’ONU, une puissance administrante. C’est l’Espagne qui l’est toujours de jure, mais qui a abandonné illégalement le territoire au Maroc et à la Mauritanie lors des accords de Madrid du 14 novembre 1975 (illégalité dénoncée dès cette époque par l’Assemblée générale de l’ONU).
La preuve en est que, contrairement au rôle codifié des puissances administrantes, il ne rend aucun compte à l’Assemblée générale de l’ONU de sa soi-disant « administration ». L’Union européenne a voulu à une époque imposer l’idée d’une « administration de facto » du Sahara occidental par le Maroc. Ce qui est complètement battu en brèche par les arrêts de la CJUE qui rappellent que cette notion n’existe pas en droit.
c) La seule explication qui reste est que le Maroc occupe le Sahara occidental (en fait sa majeure partie située à l’ouest d’un mur de sable militarisé). Il l’occupe par la force : l’invasion militaire du nord du pays a été concomitante de la « marche verte » dite pacifique de novembre 1975 et a provoqué l’exode de dizaines de milliers de civils sahraouis vers l’est, vers l’Algérie qui les a accueillis dans le sud-ouest de son territoire, à proximité de la ville de Tindouf, dans des camps de réfugiés où ils se trouvent toujours avec leurs descendants, plus de 40 ans après. Cette occupation militaire est d’une grande violence pour les Sahraouis qui sont restés sur place et pour leurs
enfants auxquels la revendication du droit à l’autodétermination est interdite pour délit d’atteinte à la soi-disant « intégrité territoriale » du Maroc !
L’Union européenne, en ignorant ou en faisant semblant d’ignorer cet aspect, se rend bien sûr
complice de telles violations graves. Et cette complicité, si elle s’affirme, ne peut qu’entraver le
processus de paix que l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU, M. Horst Köhler,
s’emploie à relancer actuellement (réunion des parties à Genève, les 4 et 5 décembre prochains)
pour parvenir à mettre en oeuvre l’autodétermination du peuple sahraoui.
4) Les nombreuses violations des droits de l’homme au Sahara
occidental occupé par le Maroc
Elles vont totalement à l’encontre de l’esprit du Traité de l’Union européenne : (Article 21)
« L’action de l’Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement, et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde:la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité […] »
Il s’agit de :
a) La violation de la liberté d’expression et de réunion (reconnue par la Commission européenne elle-même)
b) Les tortures et mauvais traitements dénoncés par les prisonniers politiques sahraouis (cf.
notamment les plaintes pour torture et pour représailles retenues par le Comité contre la torture de l’ONU en 2016 et 2018)
c) Les procès inéquitables, avec pour exemple ceux du groupe dit de Gdeim Izik dont le premier, un procès militaire en 2013, a été conduit sans preuves (sauf des aveux obtenus sous la torture), sans témoins, sans victimes identifiées, sans parties civiles, avec des condamnations très lourdes de 20 ans à perpétuité)
d) La répression durant les manifestations pacifiques (en particulier celle du camp de protestation civile de Gdeim Izik, près d’El Aïoun, en octobre-novembre 2010, qui fut démantelé dans la violence)
e) L’interdiction de l’entrée dans le territoire occupé du Sahara occidental des observateurs et de la presse internationale (fin octobre 2018, on compte 171 personnes qui ont été expulsées ou empêchées d’entrer depuis avril 2014)
Sur le plan des principes, il est donc clair que l’extension au Sahara occidental de l’accord de préférences commerciales UE-Maroc est inacceptable.
5) L’impact des arrêts de la Cour de justice de l’UE
L’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016 (dans l’affaire C-104/16 P) implique en outre qu’il faudrait pour que l’accord puisse s’appliquer au Sahara occidental, territoire « séparé et distinct » de celui du royaume du Maroc, :
– a) que cette extension soit bien spécifiée dans le texte d’accord (donc que le nom du « Sahara occidental » y apparaisse)
– b) et, surtout, que l’Union et le Maroc aient recueilli le consentement du « tiers » que
constitue le peuple du Sahara occidental, celui dont le droit à l’autodétermination a été ignoré jusqu’à présent.
Il est évident que ce tiers, dont le consentement doit être explicitement établi, par écrit cela semble indispensable, ne peut être confondu avec une vague consultation de populations vivant au Sahara occidental, marocaines pour la plupart (incitées par les autorités de Rabat à venir s’installer en masse dans le territoire sahraoui occupé).
En revanche, depuis les années 1960, l’ONU a reconnu que les peuples en voie de décolonisation étaient représentés par leur mouvement de libération nationale. En l’occurrence, pour le peuple sahraoui, il s’agit du Front Polisario (Front populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro) dont la représentativité a été affirmée solennellement par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 34/37 du 21 novembre 1979 (point 7) .
C’est donc bien le Front Polisario qui peut donner son consentement à une telle extension de l’accord, ou le refuser.
Or il ne l’a pas donné.
6) Non pertinentes aux yeux de la CJUE, les « consultations » de populations ont en outre été entachées d’irrégularités et d’injustice
Ainsi, il n’est pas fait état, dans ces « consultations », des 94 associations sahraouies issues des territoires occupés, des camps de réfugiés et de la diaspora qui ont déclaré officiellement refuser de participer à ce processus partial car organisé avec l’appui des autorités marocaines mettant en avant associations et élus qui leur sont acquis.
Et la même société civile sahraouie a encore protesté avec force, ce 5 novembre 2018, contre la position actuelle de la Commission du commerce international (INTA) du Parlement européen qui tend à appuyer le projet d’extension des accords commerciaux UE-Maroc au Sahara occidental (voir document en anglais) en ignorant le peuple sahraoui.
Ainsi, les 173 000 réfugiés des camps, qui font partie intégrante du peuple, n’ont pas été consultés, et ne « bénéficieront » pas des avantages des préférences tarifaires…
7) Faire un sort à l’idée de « bénéfice » pour les populations
La Commission européenne et le Conseil ont mis en avant cette idée de « bénéfice » pour les
populations. Or cet aspect est non pertinent pour la Cour de justice de l’UE. En effet, voici ce qu’elle dit au point 106 de son arrêt du 21 décembre 2016 :
« En tant que tel, ce tiers (le peuple sahraoui) peut être affecté par la mise en oeuvre de l’accord d’association en cas d’inclusion du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application dudit accord, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si une telle mise en oeuvre serait de nature à lui nuire ou au contraire à lui profiter. En effet, il suffit de relever que, dans un cas comme dans l’autre, ladite mise en uvre doit recevoir le consentement d’un tel tiers »
Il faut rappeler en outre que toute une partie du peuple sahraoui (au bas mot les 173 000 réfugiés des camps) ne bénéficiera pas, de toutes façons, de ces « avantages », alors que les colons marocains (qui ne paient pas d’impôts au Sahara occidental) en bénéficieront…
8) La question complexe de l’apparition du nom « Sahara occidental » sur les produits qui en seront issus et de la traçabilité de cette origine.
C’est une des exigences de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016. Les diverses commissions du Parlement européens (INTA, AGRI, PECH, AFET) ont déjà relevé l’impossibilité actuelle de distinguer les produits issus de l’un ou de l’autre territoire. A cette fin, plusieurs eurodéputés ont demandé la mise en place d’une procédure fiable de traçabilité de l’origine de ces produits, en accord avec les autorités marocaines.
Sachant qu’en ce domaine les dites autorités seraient juges et parties, l’argument de la légalité de leur certification des produits issus du Sahara occidental est clairement à rejeter.
9) Sur l’insécurité juridique, sur les risques d’illégalité aux yeux de la CJUE, et plus s’il y a extension des accords UE-Maroc au Sahara
Occidental
En cas d’une telle extension, le Front Polisario aura alors sans conteste la « qualité pour agir » qui lui était déniée lorsque l’accord d’association ne s’appliquait pas au Sahara occidental. Et il ne se privera certainement pas, avec cette qualité, de porter plainte auprès de la Cour de justice de l’UE.
D’ailleurs, le service juridique du PE a rendu un avis prudent à ce propos :
– « Le processus de conclusion [de l’accord] reflète les étapes que l’on peut raisonnablement considérer comme réalisables par les institutions de l’Union en vue de recueillir le consentement du peuple du Sahara occidental afin conclure un accord avec le Maroc; néanmoins, il n’est pas certain que l’exigence de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C-104 / 16P soit remplie. »
– «Selon le rapport de la Commission sur les avantages pour le peuple du Sahara occidental, l’accord peut être considéré comme bénéfique pour la région du Sahara occidental puisqu’il confère un droit supplémentaire à cette région. L’accord amendé lui-même contient « une clause de rendez-vous » prévoyant l’échange d’informations entre l’UE et le Maroc en vue d’évaluer l’effet bénéfique de l’accord de libéralisation ex post. Cependant, il n’est pas certain que ces deux éléments soient pertinents pour déterminer si le consentement [du peuple du Sahara Occidental] a été obtenu, comme l’exige la Cour. »
Dans ce contexte, il serait plus que justifié pour le Parlement européen de recourir à l’avis de la Cour de Justice de l’UE sur la légalité de l’accord UE-Maroc.
Car il y a en outre la responsabilité de l’UE vis-à-vis des entreprises européennes qui prennent des risques en opérant au Sahara occidental eu égard aux arrêts de la CJUE, mais aussi, eu égard au droit humanitaire international et aux crimes de guerre (crime de colonisation notamment) dont le Front Polisario peut les accuser devant la justice.
(Analyse de l’Association des Amis de la RASD – décembre 2018)