Aujourd’hui l’Afrique , # 126 (de décembre 2012)
S O M M A I R E
01. La tragédie malienne, Francis Arzalier
03. Histoire du Mali (1). Les espoirs de l’indépendance (Modibo Keita, 1960-1968), Amadou Seydou Traore
05. Histoire du Mali (2). La nuit des soudards (1968-1991), Amadou Seydou Traore
07. Repères… Aux origines de l’AFASPA, le soutien aux emprisonnés sahéliens, Elisabeth Logié
09. Les projets sahariens de la France en 1960. L’O.C.R.S. : Tentative de mainmise française sur le Sahara
10. Hydrocarbures au Mali, un enjeu international
11. Le désastre malien. Les conséquences pour la région, Ibrahima Sène
13. L’Algérie menacée par le chaos malien ? (1) Le dialogue dans l’impasse. Un Afghanistan à nos frontières ?, Amel Blidi
14. Le MUJAO, mouvement islamiste ou sous-traitant terroristel, Mohamed Khalfaou
15. Contagion ethniciste au Burkina? Restaurer l’autorité de l’Etat, Adam Igor
16. Identités, séparatismes et manipulations en Afrique, Interview d’Achille Mbembé
18.Impérialisme. Un nouvel ordre néocolonial brutal et sanglant est en cours en Afrique, Eugénie Dossa Quenum
20. Djibouti, de nouveau dans la tourmente ! La fuite en avant jusqu’à quand ?, Pierre Sidy
22. Mouvement social sans précédent dans le secteur des mines en Afrique du Sud depuis août 2012. Violences dans le Marikana
23. Marikana-Lonmin, 17 août 2012. Une tragédie brutale qui n’aurait jamais dû arriver, Amandla !
24. Victoire des travailleurs de Marikana-Lonmin ! Maintenant, luttons pour la justice !
25. Centenaire de l’ANC (1912-2012). 12 présidents en 100 ans. Célébration de 100 ans de lutte désintéressée, Jean-Claude Rabeherifara
26. Notes de lecture. Congo, une histoire et Autres livres, Francis Arzalier-Bernard Couret-Jacqueline Gascuel
31. Flashes d’actualités africaines, Robert Lavaud
Billet
La tragédie malienne
Francis Arzalier
Le Mali, auquel tant de liens nous attachent, est aujourd’hui au fond du gouffre, dépecé, amputé de sa moitié nord livrée aux exactions des séparatistes « touaregs » du MNLA, et des terroristes islamistes du MUJAO, Ansar Dine et autres AQMI. Des centaines de milliers de citoyens maliens ont dû fuir cette peste brune-verte qui a envahi le nord, vers les pays voisins, Niger, Mauritanie, Algérie et surtout vers la partie déjà pauvre et surpeuplée autour de Bamako, où les réfugiés sont nombreux.
À Bamako, on ne peut que rêver de « libérer le Nord » de la racaille fanatique et maffieuse qui y sévit, sans avoir les moyens de cette reconstruction du grand pays indépendant sorti en 1960 de la férule coloniale. L’état national, construit par le progressiste Modibo Keita il y a 50 ans, et par le soulèvement populaire contre la dictature militaire en 1990, a été une deuxième fois déstabilisé par les erreurs des politiciens et les soldats putchistes en quête de pouvoir. Aujourd’hui le gouvernement provisoire malien, imposé par les évènements plus que par l’assentiment populaire, ne dispose plus des moyens régaliens qui font un état, une armée capable de combattre avec succès, et il ne sait trop s’il pourra payer ses fonctionnaires en fin de mois. De gré ou de force, il est à la merci des décisions étrangères, des dirigeants pro-occidentaux de la CEDEAO, Ouattara l’Ivoirien, Compaoré le Burkinabé, et des sponsors occidentaux qui les animent et voient enfin se réaliser l’occasion de contrôler économiquement, militairement, politiquement ce cur du continent nord-africain qu’est le Sahara-Sahel. La France de 2012 dénonce la « Françafrique » défunte, mais se voit déjà parrainer la reconquête du Nord-Mali en faisant mine d’oublier que le désastre malien est d’abord la conséquence de l’écrasement de la Libye par l’aviation française. Les « djihadistes » qui sévissent à Gao et Tombouctou sont financés largement et armés par les émirs arabes pro-étasuniques du Qatar et d’Arabie Saoudite et les stratèges de Washington en sont à programmer une présence militaire permanente dans cette partie de l’Afrique que le gouvernement malien refusait avant les évènements de 2011.
Fait encore plus grave, le temps joue en faveur des séparatistes-intégristes, on ne l’ignore pas à Bamako. La presse fait régulièrement état d’informations contradictoires venues du nord : des réactions populaires contre les fanatiques de la haria qui coupent les mains et détruisent les mausolées « hérétiques » à Gao et Tombouctou ; mais aussi le recrutement au nord de centaines de gamins misérables et affamés, par les intégristes qui ont les moyens de leur procurer une arme avec laquelle parader et une bonne solde.
Face à ce drame, pas de réponse simple et l’opinion à Bamako est profondément divisée, y compris parmi les progressistes, les syndicalistes, les intellectuels. L’expédition militaire contre le nord peut-elle s’envisager sans faire passer le Mali sous la coupe de puissances étrangères ? Quelles conséquences imprévisibles en découleront pour l’ensemble de la zone ?
Le 11 octobre 2012, les partis et syndicats qui s’étaient opposés au soulèvement militaire avaient rassemblé près de 10 000 personnes à Bamako en faveur d’une intervention militaire internationale sous couvert de l’ONU et de l’OUA. Le 18 octobre, à l’appel d’une coordination de partis et organisations patriotiques du Mali (COPAM), favorables aux putschistes, plusieurs milliers de citoyens ont parcouru les rues de la capitale pour dénoncer l’envoi d’une force internationale. Situation confuse donc qui révèle surtout le discrédit des partis politiques et de l’état malien. Dans ce contexte, les seules organisations capables de réunir cet été près de 30 000 personnes à Bamako dans un stade étaient les mouvements islamiques, alors que la constitution malienne revendique depuis 1960 la laïcité de l’état…
Les militants anti-impérialistes de France n’ont en aucun cas à donner les réponses à une situation complexe. Contrairement à ce que dit Le Monde, qui ordonne aux Maliens de s’aligner sur ce que pense l’Elysée, elles relèvent des hommes et des femmes de Bamako et d’eux seuls. Nous ne pouvons qu’affirmer notre solidarité avec eux contre les ingérences étrangères, qu’elles viennent d’Occident, du Moyen-Orient, ou de potentats régionaux. Nous avons aussi le devoir d’éclairer nos lecteurs sur toutes les dimensions du drame malien : il menace de déstabiliser toute l’Afrique.
Ce « Dossier Mali » reflète cette diversité d’approches : notre ami sénégalais Ibrahima Sène accorde ainsi un satisfecit aux putschistes de Bamako qui ne convainc pas la plupart d’entre nous. L’essentiel est notre solidarité avec tous les progressistes du Mali qui luttent pour l’intégrité du pays, l’indépendance nationale, le développement économique et social, la démocratie et la laïicité.