L’AFRIQUE REFUSE LA MISERE

Hausse vertigineuse des prix au Burkina Faso, au Kenya, au Cameroun, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Maroc, crise du pain en Egypte, annonce d’une famine en Mauritanie… Autant d’exemples qui risquent de se multiplier en Afrique où les populations sont en première ligne de l’assaut des acteurs de la finance internationale : ces prédateurs de la planète, apatrides, sans éthique ni souci de l’intérêt social, des rapaces qui n’arriveront même pas durant leur vie à avaler et consommer toutes les richesses qu’ils rapinent.

Partie d’Afrique de l’Ouest, les émeutes populaires se propagent dans d’autres régions du continent et du monde.


Au Burkina Faso

Dans ce pays qui a vu en 2005 une mobilisation populaire victorieuse contre la vie chère, la coalition s’est de nouveau constituée : syndicats et organisations de la société civile où les femmes sont particulièrement actives.
Après le grand mouvements du mois de février au cours duquel des dirigeants politiques et syndicaux ont été arrêtés et condamnés à de lourdes peines de prison, des manifestations de grande ampleur se sont déroulées le 14 mars dans de nombreuses villes. Les participants exigeaient une augmentation des salaires et la diminution des prix des denrées de première nécessité, plus efficaces que celles récemment prises.

L’appel à la grève des 8 et 9 avril a été suivi selon la CGTB de 70 à 90% . Les syndicats avaient appelé également les commerçants à cesser leurs activités. Un ministre interrogé par RFI indique pour sa part que « les gens vaquent tranquillement à leurs affaires ». Il estime que le mouvement a été suivi à 20% de et prétend que « le dialogue est presque terminé, sur 6 points, 5 ont trouvé un accord, reste la question des salaires et pensions » pour lesquels les syndicats réclament une augmentation de 25%.

Au-delà de la vie chère, il est important de souligner que la coalition dénonce ce qui plonge la population dans la misère et bloque les perspectives d’avenir : la corruption, les fraudes, l’impunité et les atteintes aux libertés. Elle réclame le contrôle des prix, le de la qualité des produits, la suppression de taxes, de la TVA sur les carburants et demande la libération des personnes incarcérées et condamnées suite aux manifestations du mois de février.

Au Cameroun

Les manifestations contre la vie chère depuis le début de l’année ont pris un caractère dramatique dans la terrible répression. Si le gouvernement a fini par reconnaître une quarantaine de morts, la Maison des droits de l’homme annonce une centaine de victimes ce que confirme l’ACAT. Ce chiffre est difficile à cerner car l’accès à la morgue a été interdite. La police ne s’est pas contentée de tirer à balles réelles, elle a commis des viols et des vols.

La colère des camerounais était attisée par l’annonce de Paul Biya, à la tête du pouvoir depuis 1982, de modifier la Constitution pour se faire réélire en 2011 et briguer une Présidence à vie. Le forfait est consommé puisqu’il a fait voter un texte le 10 avril alors que ce point était à l’ordre du jour du lendemain. Craignait-il que des manifestations fassent pression sur les élus et qu’il y ait des défections dans la majorité écrasante qui lui est dévouée … sait-on jamais ?

Flambée des prix, particulièrement de l’essence, attaques contre les journalistes qui ne sont pas dociles (les studios d’une télévision qui a retransmis les manifestations ont été fermés), on le voit, la question du coût de la vie n’est pas le seul motif des révoltes. Une marche organisée par le Front du non à la Constitution s’est déroulée le 14 février à Douala dont les murs en gardent souvenir « 25 ans de vol, ça suffit » « Biya va au diable ». Fin février, un communiqué de l’UPC s’inquiétait de la réponse gouvernementale à ces émeutes de la faim qui pouvait conduire à une guerre civile.
La convention policière signée en octobre 2007 avec la France pour renforcer les capacités opérationnelles de la police devrait être utile au vieux dictateur rassuré lors de son entrevue avec Nicolas Sarkozy sur « la continuité de notre relation ancienne et amicale », indiquait Jean Chatain dans un article de l’Humanité du 22 mars 2008, intitulé « Le Cameroun sur un volcan ».

En Côte d’Ivoire

Ce pays « riche » parmi les pauvres, a connu également des manifestations début avril où, là-aussi l’intervention brutale de la police a fait 2 morts. La crise alimentaire est bien réelle. Avec 10 000 CFA on nourrit sa famille pendant 3 jours alors qu’il y a quelques mois c’était pour une semaine. Le prix du beurre est monté à 400 1000 CFA, le kilo de riz de 250 à 300 CFA, l’huile qui est essentielle dans la cuisine africaine a fait un bond de 50% en un an ; dans certaines familles on ne mange qu’une fois par jour. Le gouvernement a suspendu les droits de douane sur le blé pendant 4 mois pour lutter contre la cherté de la vie. Le prix du riz et de l’huile de table ont baissé sensiblement.

En Egypte

Dans la ville de Mahalla située dans le delta du Nil les 27000 ouvriers d’un complexe textile se sont mis en grève. Une manifestation contre la vie chère a été violemment réprimée avec la mort d’un adolescent et 88 blessés. Là aussi une hausse folle des prix est à l’origine de la révolte : +170% sur les produits de première nécessité qui induit une augmentation de 50% des dépenses des ménages. 40% des familles vivent autour du seuil de pauvreté. Un homme désespéré témoigne : « qu’ils nourrissent ma famille et habillent mes enfants pour qu’ils aillent à l’école et je travaille 24h sur 24 ».
Les plus déshérités ne sont pas les seuls à être touchés : une centaine de médecins du secteur public réunis au Caire début avril réclamaient 1000L par mois au lieu de 300.

Au Sénégal

Une manifestation contre la vie chère a eu lieu le dimanche 30 mars à Dakar à l’initiative d’une association de consommateurs (l’Ascosen) à laquelle de nombreuses femmes ont répondu, vite dispersées par la police car interdite par le Préfet. Au moins 3 personnes, dont 2 responsables d’associations de consommateurs, ont été interpellées et malmenées : Momar Ndao de l’Ascosen et Jean-Pierre Dieng de l’Union nationale des consommateurs du Sénégal. Des manifestants brandissaient des sacs de riz vides, des pancartes « la vie est chère » des tee-shirt ont été imprimés avec le slogan « Avoir faim, ça suffit ». Les manifestants se sont regroupés dans le local du Parti de l’Indépendance et du Travail où la police les contenait. Après dispersion de la manifestation, la situation a dégénéré dans le quartier populaire. Aux jets de pierres, les policiers ont répondu par des gaz lacrymogènes. Ce qui n’a eu aucun effet sur le prix du sac de 50 kilos de riz passé de 14 000 à 17 000 CFA les semaines précédentes.

Au Togo

Sur le grand marché de Dablato à Lomé un commerçant témoigne «Les choses sont chères, trop chères même ! Les gens n’ont pas l’argent pour acheter, ça ne va pas du tout !» comme dans toute la sous-région, les commerçants n’arrivent plus à s’en sortir. Depuis trois semaines, les prix grimpent. La hausse atteint 30% à 50 %. Le pouvoir d’achat dans le pays est faible, l’entraide séculaire disparaît. Tous les petits métiers, de la vendeuse de riz au conducteur de taxis-moto sont touchés par cette crise qui pose le souci quotidien de nourrir sa famille.

En Guinée Conakry

Le site d’information Guinée Conakry Info constate que « les prix des denrées alimentaires grimpent sur le marché national », que « les associations de consommateurs lèvent le ton et menacent même de descendre dans la rue dans les prochains jours » et de prévenir le gouvernement de Lansana Kouyaté : « Il est sûr que le peuple qui a su se mobiliser pour dire non il y a un an, pourrait tant soit peu, se mouvoir pour dire son ras-le-bol. »

En République Démocratique du Congo

Coup de gueule dans le quotidien Le Potentiel contre l’inaction du gouvernement, qui titre à la une: « Après la Guinée, le Sénégal, la Côte d’Ivoire… Attention à la grogne sociale !… La situation est dramatique, contrairement à ce que raconte l’exécutif à longueur de journée. Nos ministres voient ce tableau de leur bureau climatisé, alors que c’est à partir du panier de la ménagère, qu’ils devraient se faire une religion des conditions de vie de leurs compatriotes. Qu’est-ce que le gouvernement fait de ce pays et de sa population dont le niveau de vie ne fait que se dégrader au fil des jours ? » Il estime que « face à ces réajustements intempestifs, la RDC est assise sur une bombe. A moins que le gouvernement n’anticipe pour prévenir l’explosion ».

En effet, à titre d’exemple le litre d’essence est récemment passé de 675 francs congolais à 705. C’est le quatrième réajustement en moins de six mois. Dans les milieux populaires le repas préparé dure 3 jours, des femmes vendent leur pagne pour faire le repas, chez les cadres on vend sa télé pour acheter du maïs et du riz.

Au Maroc
Une manifestation interdite par le régime a rassemblé une centaine de personnes à Rabat. Le prix du pain est stable mais on a diminué son poids. L’augmentation de la farine et de la semoule touche les familles pauvres qui font leur pain et le couscous est le plat principal.

En Algérie

Le pays n’est pas épargné : en dépit de son aisance financière due à l’embellie pétrolière, les politiques financière n’ont pas changé la dépendance aux marchés extérieurs pour nourrir la population.

Réactions des gouvernements africains

Les ministres des Finances récemment réunis, ont signalé « l’urgence de la situation », qui selon eux présente « une menace pour la croissance, la paix et la sécurité de l’Afrique ». Et après ? Les gouvernements, outre la répression (que certains exercent par habitude (convaincus que casser le thermomètre fait tomber la fièvre), fouillent dans la mallette des outils techniques pour faire baisser les prix :

– Baisse de la TVA et suppression des droits de douane. La conséquence a plus d’effet sur les ressources des état (5,8 milliards de FCFA pour la Côte d’Ivoire (8,8 millions d’euros) que sur les prix des denrées, comme au Burkina Faso où la mesure prise pour 3 mois est passée à 6 mois sans effet sur les prix. Quid du paiement des salaires des fonctionnaires et les dépenses sociales ? De son côté le gouvernement du Sénégal a suspendu les droits de douane sur certains produits ( riz, lait, blé…) en août 2007 ce qui n’a pas produit les effets escomptés en raison « des réticences des détaillants à appliquer les marges indiquées par les autorités ». Dernière décision du président Wade le 27 mars dernier : accorder 10 milliards de francs CFA (plus de 15 millions d’euros) « pour aider le monde rural à faire face aux mauvaises récoltes et à la hausse des prix, du fait de la flambée du pétrole ». Mais quid des citadins ?

– Réduction des marges des commerçants : cela revient à faire payer les moins pauvres, avec une limite : l’augmentation des denrées importées.
Les vieilles recettes réformistes sont ressorties pour l’occasion comme au Sénégal où Ousmane Tanor Dieng, le leader du PS cité par Walfadjri, « préconise un plan d’austérité » pour lutter contre la vie chère : le gouvernement doit « réduire ses dépenses non indispensables », notamment « le nombre pléthorique de ministères », « fermer certaines ambassades », ou encore « réduire le nombre des agences nationales, estimées à plus de cinquante ».

– Solliciter les distributions alimentaires du PAM : l’attente perpétuelle du « Père Noël blanc ».

– Encourager la production locale : En Côte d’Ivoire, face à la flambée du prix du riz, Bohoun Bouabré Ministre du Plan et du développement, invite les populations à « se prendre en main »! Mais où en sont les production vivrières concurrencées par des importations subventionnées, abandonnées au profit de cultures de rente la culture de rente source de devises pour payer « la dette odieuse ». On est loin d’une politique préconisée par Thomas Sankara : « produire ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons, car le développement est endogène »

Le pyromane crie « au feu »

Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI s’émeut « Les prix de l’alimentation s’ils continuent comme ils le font… des milliers de personnes vont mourir de faim, ce qui entraînera des cassures dans l’environnement économique (…) les progrès réalisés par les pays pauvres depuis 5 à 10 ans en matière de développement pourraient se retrouver complètement détruits ». Quel développement Monsieur FMI ? la culture de palme qui fait rêver les gros producteurs de carburants végétaux, sournoisement appelés « bio carburants »? Quelle destruction Monsieur FMI ? la reprise de cultures vivrières pour nourrir les populations ?

Et la France ? elle réduit son aide au développement

Le bilan de l’OCDE récemment paru indique que notre pays fait parti de ceux qui connaissent le plus fort recul en la matière. Une plate-forme d’ONG a dénoncé que cette aide est passée de 0,47% du revenu national brut à 0,39%. Certaines dépenses n’ont rien à voir avec le développement et continuent à gonfler les chiffres comme les 340 millions d’euros destinés aux territoires d’outre-mer.
Les mauvais choix de cette aide : les prêts alloués à des pays qui ont déjà bien émergé : Chine et Afrique du Sud. Maintient des critères régis par les vieilles amitiés : le Gabon et le Congo Brazzaville sont bien servis, sans certitude que les populations en bénéficient, voire la déclaration de l’ex- secrétaire d’Etat à la Coopération Jean Marie Bockel qui doutait de la légitimité d’octroyer une aide à des pays qui gaspillent leurs ressources naturelles.

Questions

– Jusqu’où les dirigeants africains contiendront-ils la colère de leur population en refusant d’autres choix politiques de développement? Croient-ils que les Africains resteront derrière les vitrines de la télé, Internet, et autres portables à regarder un monde moderne inaccessible ? Non car ils acceptent de moins en moins d’assister à la rapine des richesses que la nature a offert à leur pays.

Tel est l’enjeu d’aujourd’hui sur le continent : revoir les termes de l’échanges et assurer un développent réellement africain où les besoins sociaux et économiques seront en interaction.

Et si la baisse du pouvoir d’achat en France trouvait son origine au même endroit que la misère en Afrique ? Il y a peut-être là des luttes à conjuguer ensemble.