Edito
8 Mars, la Journée internationale des Femmes et le poids des mots
Durant des années les médias lui ont substitué pour titre « La fête des femmes » ce qui suscitait de bonnes blagues, style « Messieurs c’est votre jour de vaisselle ». Puis ce fut « La Journée de la femme ». Supprimer la dimension pluriel de cette journée n’a rien de neutre, ni d’un oubli, mais gomme sa dimension collective et l’idée de revendications sociales nécessitant la lutte des femmes. Depuis quelques années on parle de « Journée des droits des femmes ». Il y a amélioration mais toujours l’amputation d’un aspect important : la dimension internationale qui sous-entend la défense de valeurs universelles menées en commun par les femmes à travers le monde : la lutte pour la Paix ou la solidarité avec celles qui osent relever la tête dans les régimes autoritaires ou de dictature. Cette réduction encore une fois permet la dérive. Pour exemple l’émission (animée par une femme) sur France Inter ce 8 mars 2021 « Le téléphone sonne ». Fabienne Sintes a choisi pour thème « Le droit de jouir ». Sans contester l’intérêt du sujet, qui pouvait se traiter l’un des 364 autres jours de l’année, choisir le 8 Mars pour l’aborder a évité à la chroniqueuse de s’engager sur le terrain de revendication politique que symbolise cette journée. Le patronat était hors de cause et le pouvoir aussi…
Elle aurait pu proposer au débat l’étude, peu connue, du fait que chaque jour, à partir de 15h40, les femmes travaillent gratuitement ou appeler à témoigner celles qui sont « en première ligne » dans le privé et dans la fonction publique, où elles sont plus de 62% avec des inégalités salariales de 19% par rapport aux hommes du fait du plafond de verre et des primes auxquelles leurs métiers n’ont pas accès.
Sur l’aspect international et pour combattre les idées reçues, elle aurait pu donner la parole aux femmes de plus en plus nombreuses en Afrique à s’engager dans les métiers scientifiques, comme l’a fait la matinale de RFI en invitant la chercheuse congolaise Francine Ntoumi qui travaille à combattre le paludisme.
Elle aurait pu faire appel aux témoignages des personnes solidaires à l’international. J’aurais alors appelé pour faire connaître la militante féministe soudanaise Waad Bahjet convoquée par la justice le 11 mars 2021 pour avoir filmé en direct les discriminations et les difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontées les femmes de son pays. La trentenaire, ingénieur diplômée de biologie et de géologie risque un an de prison pour avoir posté sur internet sa vidéo en novembre 2020. Embarquée de force par des policiers, elle a passé dix heures au poste d’Al-Imtedad : «Ils m’ont enfermée dans une cellule, j’en suis sortie vers 2 heures du matin. Au Soudan, une femme en prison est très mal vue. Les militaires ont essayé de me briser de m’intimider, ma famille m’a suppliée de me ranger. Mais je continuerai à me battre pour mes droits».
J’aurais aussi pu évoquer la militante sahraouie Sultana Khaya, dont les forces de police assiègent la maison à Boujdour et qui après lui avoir crevé un il à l’université de Marrakech, ne manquent pas l’occasion de la tabasser en la menaçant de mort car elle persiste à revendiquer dans l’espace public et à sa fenêtre son droit à l’autodétermination.
Dommage que ce type de sujets ne soient pas venus à l’esprit de Fabienne Sintes.