Document d’orientation

Ce document d’orientation a été conçu et rédigé collectivement par le Bureau National au cours des trois réunions préparatoires puis discuté et amendé au cours du débat qui a suivi sa présentation à l’assemblée générale du 20 avril 2013.


Le Continent africain à l’heure des choix

En 2050 le continent africain sera peuplé de 1,4 milliard d’êtres humains. Aujourd’hui, il entame une nouvelle phase de sa construction pour devenir un continent majeur. Pour ce faire il doit s’engager dans une nouvelle phase de sa libération. Après les longues périodes de domination, de l’esclavage à la colonisation puis des indépendances à celle du néocolonialisme, le continent a besoin d’un essor en termes de développement économique et social. C’est un défi pour les peuples africains qui doivent poursuivre les luttes engagées pour l’émancipation politique, économique et culturelle indispensable à la réalisation de cet objectif. Pour autant ils devront surmonter les obstacles et les contradictions qui vont surgir face au rapport de classe que suscite cette démarche.

La croissance économique observée tout au long de ces 10 dernières années en Afrique n’a favorisé qu’une nouvelle « élite » fortunée, générée par la spéculation, la surexploitation des richesses du sous-sol par les multinationales et aujourd’hui l’importation des télécom, de l’agroalimentaire et de la distribution. Cette situation n’a fait qu’accroître les inégalités. La crise financière depuis 2008 a touché de plein fouet les populations d’Afrique qui ont déjà fait les frais des dettes spéculatives imposées des années 80 : l’Afrique a été ainsi le laboratoire du capitalisme international par le jeu des politiques d’ajustement structurel, potions administrées par le FMI et la Banque Mondiale dont l’Europe du Sud fait l’expérience aujourd’hui.

Toute une campagne d’opinion, partie des journaux Times et The Economist, développe l’idée que l’on assiste à un développement économique rapide de l’Afrique depuis une dizaine d’années, allant jusqu’à prédire que cette région du monde allait devenir un des moteurs essentiels de la croissance mondiale dans les années à venir.

Calculée en dollars, la croissance du PIB est réelle. Mais peut-on pour autant parler de développement économique ? Cette croissance est due en premier lieu à un surenchérissement des matières premières (agricoles, minières et pétrolières) accompagné parfois d’une augmentation des volumes. Le secteur tertiaire est aussi en extension. Seule la valeur ajoutée manufacturée (V.A.M.) est un indicateur sérieux pour garantir la réalité d’un développement économique pérenne. La part de la V.A.M. dans le PIB est tombée en Afrique de 12,8% en 2000 à 10,5% en 2008 pendant qu’à la même période elle est passée de 22% à 35% en Asie.

Le modèle de développement en Asie est réel et touche en profondeur la société, celui de l’Afrique est «comptable» et n’enrichit localement qu’une étroite couche de la population.

Qu’il y ait pour les fonds d’investissements et les grandes entreprises des affaires en or à saisir en Afrique, c’est évident et les conflits inter-impérialistes, par milices locales interposées, nous en donnent hélas la preuve (Soudan, Congo, Nigeria et peut-être Mali), mais les forces progressistes africaines n’ont rien à attendre de ce soi-disant développement au service des prédateurs.

Les contradictions entre les besoins de développement économique et social et les appétits financiers vont donc s’exacerber au regard des importantes ressources que possède le continent africain tant dans les domaines minier et agricole. Bien que les ex-pays coloniaux soient en perte d’influence, l’arrivée des nouveaux investisseurs (Brésil, Russie, Inde et Chine) n’induit pas pour autant un véritable partenariat d’intérêt réciproque. Quant à l’Europe, continent où la population se renouvelle de moins en moins, elle doit cesser de concevoir une politique d’accueil des migrants en fonction de ses propres besoins, pour construire, avec les pays du Sud des coopérations d’échanges de connaissances et de compétences, basées sur la libre circulation des personnes, sans piller les ressources humaines des pays africains.

Le besoin immédiat des pays africains reste
leur industrialisation. L’acquisition de technologies leur permettant d’assurer la transformation des matières première et un développement à l’international.

L’AFASPA milite donc pour que s’instaure entre la France et les pays africains, des partenariats d’un nouveau type ayant une visée transformatrice des processus de transfert de technologie, notamment ceux qui contribuent à débarrasser le continent africain de l’approche dominante qui accepte sans question le concept et la pratique du Transfer Of Technology (TOT) de la Banque mondiale : une démarche descendante et autoritaire, sous-évaluant « le génie créateur des peuples » cher à Thomas Sankara. Cette approche favorisera l’intégration d’acquis, d’innovations techniques, de savoirs ou de modes d’organisation inédits. Ainsi la question du marché se posera différemment et modifiera potentiellement les rapports entre l’Afrique et les pays dominants.
L’autre question incontournable est celle de l’éducation scolaire et universitaire. C’est un enjeu essentiel pour la maîtrise industrielle, l’appropriation des sphères de décisions et la démocratie. Les Révolutions Arabes notamment en Tunisie et en Egypte, ont mis à bas des dictatures qui perduraient grâce à la bienveillance des pays occidentaux. Cependant comme on le voit ces révolutions ont failli à répondre aux aspirations populaires et au besoin de démocratisation de ces pays. D’ailleurs la France après 1789 a mis deux cent ans pour imposer la démocratie et la lutte se poursuit pour la faire vivre. En Tunisie et en Egypte les élections ont mis en place des partis qui mettent à mal : libertés acquises, laïcité, démocratie, émancipation des êtres humains. Cette situation impose une vigilance constante et une action permanente. Les militants de Tunisie et nombre de gens de la rue ont parfaitement conscience des enjeux et entendent imposer des avancées sociales et sociétales.

Autre facteur essentiel pour les peuples africains : leur expérience de luttes au quotidien animées par les sociétés civiles organisées et de nouvelle génération. Elles sont le point d’appui de la définition des priorités dont elles attendent la mise en œuvre par les politiques. Les femmes, les syndicats en pleine rénovation et le tissu associatif irriguent les mouvements sociaux et sont le ferment de l’avenir de l’Afrique.

La médiation par les groupes d’intérêts dominants des conflits qui déstabilisent le continent africain, offre une vision inexacte des réalités africaines. On donne généralement à voir, mais très rarement à comprendre, pire, on brouille les cartes. Le Mali en est l’illustration pas seulement par le contexte, à savoir le retour de Libye de djihadistes en armes et le développement du narco-terrorisme. Avant tout il y a non réponse d’un Etat déliquescent aux besoins sociaux et économiques exprimés par les populations des différentes régions. Le but du discours soutenu par les Etats occidentaux ne vise qu’à stigmatiser les peuples africains pour justifier l’idéologie interventionniste militaire et humanitaire.

Dans ce contexte, l’AFASPA est toujours utile à revendiquer la création des nouveaux rapports entre la France et le continent africain. Elle est un des maillons nécessaires à la prise de conscience dans notre pays et à la dénonciation de toutes les stratégies néocoloniales qui empêchent les transformations attendues par les Africains, à porter les exigences pour un renouvellement des rapports économiques entre l’Afrique et la France.

L’AFASPA peut être une interface pour une mobilisation des luttes conjointes entre les peuples français et africains.

Accaparements de terres

Phénomène qui se développe dans des proportions désormais plus que préoccupantes, l’accaparement des terres, qui fait partie des « investissements directs à l’étranger » (IDE), désigne l’acquisition à grande échelle de terres agricoles dans un but commercial, comme l’alimentation et la production d’agrocarburants. Des investisseurs peuvent aussi acheter des territoires, c’est-à-dire de la terre, du sous-sol et de l’eau, dans un but purement spéculatif, en pariant sur la volatilité des prix fonciers et alimentaires et sur l’enjeu que représentera l’accès à l’eau dans les années à venir. La forte augmentation des prix alimentaires en 2007/2008 a attiré l’attention de nombreux investisseurs vers un secteur autrefois délaissé, et provoqué l’arrivée des investissements spéculatifs dans l’agriculture des pays en développement. Ces investissements s’orientent alors surtout vers les marchés émergents d’Amérique latine et d’Asie, d’abord. Mais on les retrouve aussi de plus en plus souvent en Afrique subsaharienne. Selon un rapport OXFAM de 2011, près de 1 100 transactions ont été réalisées dans le monde depuis 2001 pour une surface de l’ordre de 67 millions d’hectares : rien qu’en Afrique, les investisseurs publics et privés ont déjà loué ou acheté environ 46 millions d’hectares de terres agricoles selon des chiffres de 2010 : presque toute l’Afrique est ciblée mais particulièrement Madagascar, le Mali, l’Ethiopie, le Sénégal, le Congo, le Bénin etc. La plupart des contrats de bail emphytéotique courent sur une période de 50 à 99 ans.

Dans la foulée de la Banque mondiale, les institutions financières internationales favorisent l’accaparement des terres et la mainmise sur l’eau en poussant à la mise en œuvre de politiques favorables aux milieux d’affaires, facilitant les capitaux et les garanties pour les investisseurs industriels et en faisant la promotion d’un modèle économique de développement prédateur et néfaste : modèle de cohabitation prétendument harmonieuse entre agricultures paysannes et agrobusiness mais qui de facto fait l’impasse sur les désastreuses conséquences sociales et environnementales de l’intense concurrence pour l’accaparement des sols, des sous-sols et des ressources que se livrent multinationales et autres investisseurs extérieurs. Les États d’accueil ne respectent pas leurs obligations et considèrent que les intérêts des milieux d’affaires sont plus importants que les droits des peuples. Les droits fonciers des paysans autochtones sont rarement respectés, mais ce sont les agents de ces États et les « élus » eux-mêmes qui contournent les dispositions légales pour mieux satisfaire les investisseurs. L’opacité qui entoure les transactions faites sous seing privé ne permet pas d’avoir toutes les informations car il n’existe pas de registres fonciers fonctionnels dans les communes.
Mais l’accaparement des terres dépasse le traditionnel clivage Nord-Sud qui caractérise les structures impérialistes classiques : les sociétés transnationales accaparatrices de terres africaines peuvent être basées aux Etats-Unis, au Canada ou en Europe mais aussi au Chili, au Mexique, au Brésil, en Russie, en Inde, en Chine, aux Emirats Arabes Unis, en Libye, en Afrique du Sud, en Thaïlande, en Malaisie, en Corée du Sud, au Nigeria etc. Les investisseurs accapareurs de terres en Afrique sont parfois aussi des autochtones : députés, ministres, hommes d’affaires etc.

Les accaparements de terres se font dans le cadre de projets d’agriculture industrielle, d’exploitation minière, de construction d’infrastructures, de barrages, pour le tourisme, au nom de la création de parcs naturels, pour les besoins de l’industrie, pour permettre l’expansion urbaine ou encore à des fins militaires. Pour comble, des universités américaines (comme celle de l’Iowa en Tanzanie et au Sud Soudan et Harvard et Venderbilt au Mozambique) utilisent les hedges funds (fonds de recouvrement) pour placer leurs capitaux dans les terres arables africaines, où le retour sur investissement est estimé à 25% via une production agricole largement destinée à l’exportation.
Dans ces pays d’Afrique, essentiellement agricoles et à faible indice de développement humain (IDH), la grande majorité de la population tire ses revenus de l’agriculture, qui fournit une part non négligeable du PIB (Produit intérieur brut). Cette agriculture familiale nourricière est conduite essentiellement par des petits paysans disposant chacun de parcelles de taille dérisoire avec une mécanisation minimale. Un argument en faveur des accaparements de terres est alors mis en avant de manière récurrente par ses promoteurs : les avantages prétendument liés à l’investissement étranger tels que l’introduction de nouvelles technologies, la création d’emplois, les retombées économiques positives. En fait, ces achats se font au détriment de la sécurité alimentaire des populations autochtones. Les organisations et syndicats de paysans et les sociétés civiles dénoncent de plus en plus sévèrement ce phénomène en ce qu’il va forcément entraîner la disparition de la classe paysanne productive et la naissance d’un prolétariat agricole précarisé, à travers l’expulsion à terme des producteurs et communautés de leurs terres. Ces acteurs considèrent que ces investissements étrangers et locaux accapareurs visent à produire des bénéfices financiers pour leurs auteurs sans que cela ne profite ni aux paysans ni aux pays d’accueil.

La lutte contre l’accaparement des terres est un combat contre le capitalisme, le néolibéralisme et contre un modèle économique prédateur. Dans un monde où la population augmente rapidement et de manière exponentielle, l’accès à la terre et à l’eau sont des éléments de pouvoir décisifs : les fausses solutions au changement climatique, s’appuyant sur des mécanismes de marché, ne font que renforcer l’aliénation des communautés locales africaines de leurs terres et des ressources naturelles.

Mais n’oublions toutefois pas que, malgré le fait que, en Afrique encore, les femmes sont les principales productrices d’aliments et qu’elles sont les premières responsables du bien-être de leur famille et de leur communauté, les structures patriarcales existantes continuent de les spolier en les dépossédant des terres qu’elles cultivent et en les privant de leur droit d’accès aux ressources naturelles. Etant donné que la plupart des femmes paysannes ne disposent pas d’un accès pérenne, légalement reconnu, au foncier, elles sont particulièrement vulnérables face aux expulsions et expropriations.

L’accaparement des terres dont les effets vont se traduire dans les tout prochains temps par une réduction massive des cultures vivrières installant une dépendance alimentaire et des famines à grande échelle. Ces trois phénomènes se traduisent sur les populations par un accroissement du chômage dans les campagnes qui conduisent à l’exode (parfois totalitaire) vers les villes, voire les pays occidentaux et, éventuellement, ceux du Golfe. Désormais, la paupérisation conduit déjà à une insécurité grandissante où, en ville comme à la campagne, le banditisme frappe d’abord les populations.

Déstabilisation et Fragilisation des Etats

L’évolution des rapports entre la France et ses anciennes colonies du point de vue politique, économique et militaire.
L’Afrique du 21ème, qui est entrée de plein fouet dans la mondialisation grâce à ses ressources minières, attire l’attention du monde entier, elle est devenue le théâtre des rivalités entre les puissances.

Depuis les années 60 des indépendances, les Etats africains, déjà fragilisés par la balkanisation, ont eu à affronter toutes les tentatives de déstabilisation : Nigeria, Congo, Cameroun, etc. L’histoire des Etats africains se confond avec leur destruction lente. L’implosion de l’Etat Somalie d’abord, la déflagration du Soudan ensuite, la lente agonie du Congo et l’effondrement du Mali sous nos yeux, nous démontrent amplement les échecs des constructions étatiques. Sans évacuer les responsabilités écrasantes des élites africaines, ce sont les anciennes puissances coloniales qui furent les maîtres d’œuvre des démantèlements des structures étatiques.

Les interventions franco-britanniques en Libye ont révélé au monde leur caractère destructeur, créant une situation chaotique dans ce pays et déstabilisant toute la région du Sahel et en particulier le Mali. On s’achemine vers un schéma faisant évoluer ou démanteler les frontières héritées du colonialisme par l’éclatement des pays à grande superficie en plusieurs entités (comme le Soudan, la RDC ; la Somalie, le Mali peut être).

Les puissances occidentales ont contribué indirectement à la faillite des États Africains en imposant des politiques économiques et financières : des plans d’ajustements structurels par l’intermédiaire du FMI, BCE et BM. Au résultat, les États se retrouvent démissionnaires de leur fonction d’encadrement social des populations : les services publics sociaux de santé, d’éducation, de cultures, sont démantelés, la misère gagne du terrain, les tensions sociales explosent et les répressions des mouvements de contestations sont de plus en plus violentes.

La France, qui a toujours considérée l’Afrique comme faisant partie de ses dépendances, ne lâche rien de ses privilèges, bien qu’obligée de s’adapter aux concurrences des autres puissances. Les enjeux énergétiques et de contrôle des sources de production en Afrique mettent en avant le rôle important des multinationales françaises (Areva, Total, Bouygues, Bolloré…), qui se substituent souvent à l’Etat pour mener des politiques d’ingérence décomplexée au profit de dictateurs locaux au Congo, en RDC, au Gabon, garants de leurs intérêts.

Les interventions militaires françaises en Afrique (53 depuis les indépendances) n’ont pas cessé même si elles ont diminué ; l’intervention en Côte d’Ivoire et plus récemment au Mali illustre cette continuité de la politique de la canonnière.

L’actualité nous rappelle d’ailleurs que la France et les USA sont à la pointe de la multiplication des bases militaires en Afrique : L’Africom US s’y déploie, et les Français sont présents en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali, au Burkina-Faso, au Tchad, en Centrafrique, au Gabon, à Djibouti, où ils portent assistance aux dictateurs locaux. La France a signé des traités de défense avec plusieurs de ces Etats africains, en remplacement de traités datant de la période des indépendances.

La France n’a pas évolué sur ses relations politiques, comme le démontre le récent voyage du chef de l’Etat au Maroc où il a affirmé qu’il n’y a pas eu de « printemps arabe » et soutenu comme son prédécesseur, la position coloniale du royaume sur le Sahara occidental.

La France n’a pas évolué non plus sur ses relations monétaires avec l’Afrique francophone qui est toujours dépendante de l’ancienne puissance coloniale, par le biais du franc CFA. La France contrôle les échanges extérieurs de toute cette zone dont elle détient les avoirs sous forme de dépôt à la caisse de dépôts et consignation.

Bien évidemment toutes ces opérations sont menées en lien avec le soutien et la complicité active des élites au pouvoir qui régentent leurs sociétés, liées et structurées en réseaux avec les élites occidentales (qui se fréquentent dans les loges, les institutions dédiés au marché et au néolibéralisme ravageur ou officines secrètes).

Point sur les mouvements sociaux, syndicaux et politiques
Les luttes populaires actuelles en Afrique rencontrent d’énormes difficultés mais avancent. Nous sommes toujours dans le cycle de luttes sociales et politiques inauguré par le mouvement démocratique des années 90 qui a poussé dans la majorité des pays un foisonnement associatif et in fine l’émergence d’organisations de « société civile » de nouvelle génération. Ce processus inhérent aux mutations subies par les Etats du continent depuis les années 80 – ajustement structurel et libéralisme politique inachevé – s’est-il traduit par l’émergence de contre-pouvoirs dignes de ce nom ? En la matière, quantité ne rime pas nécessairement avec qualité. La majorité de ces organisations servent d’abord à capter des financements dans un contexte de dégraissage des appareils administratifs et de déplacement des flux de ressources extérieures vers les acteurs « non étatiques ». Face aux bailleurs de fonds, la manifestation d’une expertise technique « axée sur les résultats » est devenue un atout plus utile qu’une quelconque représentativité sociale. La vulnérabilité des organisations sociales aux mécanismes de neutralisation déployés par les pouvoirs met souvent en doute leur capacité à incarner un contre-pouvoir effectif. Toutefois, dans plusieurs pays, une société civile « indocile » a su canaliser le mécontentement populaire et installer un rapport de force avec les pouvoirs en place, même si des associations qui descendent dans la rue servent surtout de caisse de résonance aux partis en lice, qui les mobilisent au gré de leur stratégie électorale.

Il reste qu’une minorité d’organisations – paysannes, syndicales, des droits de l’Homme – ne subordonnent pas la poursuite de leur mission à l’indispensable recherche de financements extérieurs ou de bienfaits clientélistes. La pertinence et la constance de leurs prises de position leur confèrent une indéniable légitimité au sein de la population, proportionnelle au discrédit qui frappe les classes politiques, au point qu’elles peuvent alimenter voire faire murir les bases d’une refondation du politique. Mais l’efficacité des méthodes clientélistes et des mécanismes de cooptation peut cependant rendre leurs conquêtes fragiles une fois la mobilisation retombée…
Le cycle des luttes démocratiques des années 1990 se prolonge aujourd’hui encore dans de nombreux pays, mais il a changé de nature et de dimension à partir du milieu des années 2000, avec une montée en puissance des questions sociales, en lien avec la question politique. On l’a vu, dans la dernière période, avec la chute de quelques autocrates néo-libéraux suite à leurs turpitudes (Ravalomanana par un coup d’état militaro-civil ou Wade via une défaite électorale).

Le mouvement des années 1990 pour la démocratie en Afrique a aussi ouvert de nouvelles perspectives plus positives pour le mouvement syndical. Il a entraîné une prise de distance progressive des organisations de travailleurs d’avec le pouvoir politique et la redécouverte d’une « culture démocratique » interne aux organisations. On assiste aujourd’hui à une montée en puissance des organisations syndicales les plus combatives et les plus indépendantes, même si le « paysage » syndical africain reste très divers. Les mutations en cours sont loin d’être achevées et la crise syndicale reste par exemple très profonde dans de nombreux pays. Il est cependant tout à fait symptomatique que les organisations syndicales soient (re)devenues des acteurs majeurs de la contestation sociale au Niger, en Guinée, au Sénégal, au Bénin, au Zimbabwe ou en Afrique du Sud.

Le point d’orgue de ce nouvel âge de mobilisations sociales en Afrique aura été incontestablement le Printemps arabe de 2011 qui a notamment inspiré plusieurs autres mouvements de par le monde dont les Indignados espagnols, les Occupy américains, les Y’en marre sénégalais. La Révolution du jasmin du 14 janvier 2011 en Tunisie fut essentiellement non violente, jeune et populaire et a généré de grands espoirs pour les Tunisiennes et les Tunisiens, en quête de changement et de dignité, et pour tous les peuples du Maghreb/Mashrek (du nord de l’Afrique jusqu’au Moyen-Orient) ainsi qu’ailleurs dans le monde…

Les mouvements de luttes sociales et politiques actuels ont deux caractéristiques déterminantes dans la période actuelle et pour la suite des mobilisations :

– Le premier concerne le renforcement des dynamiques syndicales unitaires qui progressent sensiblement en Guinée, au Burkina, au Bénin, au Togo, au Niger, en Mauritanie ou au Sénégal. On voit ici très clairement que, pays par pays, la force des mobilisations est directement liée à la force de ces dynamiques unitaires.

– Le second concerne le développement des alliances avec d’autres secteurs de la société civile, au sein de larges coalitions contre la vie chère de ce qui s’appelle désormais « mouvement social ». Ces alliances se multiplient également au sein de coalitions plus sectorielles, contre la corruption, contre les accords de partenariat économiques ou sur la transparence dans le secteur extractif. Cette dynamique, que l’on retrouve également dans les multiples forums sociaux nationaux semble porteuse d’un grand avenir.
Au-delà des défis que sont la question de l’indépendance, celle de l’unité et celle de l’organisation des catégories de travailleurs les plus précaires, il est un dernier enjeu pour le mouvement syndical africain comme pour le mouvement syndical international et qui conditionne largement l’avenir. C’est celui des entreprises transnationales. Ces entreprises apparaissent chaque jour comme des vecteurs puissants de la mondialisation capitaliste pour modeler à sa guise les économies africaines : les mouvements sociaux, syndicaux et politiques progressistes refusent clairement cette donne dans de nombreux pays, et souvent avec virulence malgré des répressions sévères.

Démarches et campagnes que nous devons mener

* Soutien aux luttes de défense ou d’instauration de la démocratie, pour l’indépendance politique, économique et culturelle. Cela nécessite de développer nos liens avec les progressistes africains organisés ou indépendants, être attentifs aux revendications portées par les syndicats, les associations et les défenseurs des droits de l’homme africains. Aujourd’hui les moyens de communication et l’existence médias indépendants africains permettent de briser le mur du silence sur les réalités des pays du continent et les mouvements sociaux qui s’y développent. Cela nous permet d’être réactifs pour informer ici en France sur ce qui se passe en Afrique et développer une solidarité active.

* Dénoncer les atteintes aux droits de l’Homme individuels et collectifs, la torture, les arrestations arbitraires et les disparitions forcées perpétrées par les Etats ou les groupes armés. Ces pratiques ne visent qu’à réprimer les mouvements sociaux et la contestation des pouvoirs en place en semant la terreur elles tentent d’étouffer l’expression populaire. Ces pratiques sont contraires à l’Etat de droit et conduisent à des dénis de justice qui trouvent des relais complices chez nous.

* Mettre en convergence les luttes qui se mènent au Nord et au Sud contre le libéralisme prédateur et une mondialisation au service de l’argent. Les mauvaises recettes prônées et imposées par les institutions internationales sur les économies du Sud qu’elles ont ruiné, s’appliquent aujourd’hui dans les pays du nord, en commençant par ceux dont les économies ont subi les conséquences de dictatures (Grèce, Espagne, Portugal) ; et la Commission européenne a étendu ces mauvaises recettes à tous les pays sur lesquels elle sévit. Cette situation tend à organiser des compétitions de main d’œuvre Nord-Sud, Est-Ouest au seul profit d’une rentabilité financière, qui sape au passage les acquis sociaux pour mettre en place une égalité du plus petit dénominateur commun. Ce n’est ni l’intérêt des nations qui ont besoin de populations cultivées, en bon état de santé, heureuses pour prospérer dans la paix. Les luttes menées en commun concourent à préserver la dignité des peuples bafoués.

* Sortir des rapports prédateurs. Depuis le commerce triangulaire et l’esclavage, les rapports économiques Nord-Sud sont basés sur le concept du pâté d’alouette (un cheval/une alouette). La colonisation a permis de mettre en place le pillage des richesses naturelles et le processus de décolonisation, loin de mettre fin à ce juteux système n’a laissé derrière lui aucune industrie de transformation et de transfert de technologie. Les pouvoirs soutenus ou mis en place par les anciennes puissances coloniales se sont bien gardées de revendiquer une quelconque modification des rapports économiques dont ils bénéficiaient de par différentes prébendes. Nous exigeons que la France établisse des relations de coopération d’intérêts réciproques en matière d’industrialisation, permettant un développement économique réel des pays africains et pour leurs populations l’accès à l’eau et à l’énergie, la création d’infrastructures de transport. Dans ce sens, nous dénonçons toutes les formes de spoliations, d’accaparement des richesses naturelles par les nouvelles puissances impérialistes qui sévissent en Afrique, anciennes comme émergentes. En ce qui concerne la Chine un travail d’analyse de son intervention et ses rapports avec les Etats africains sera entrepris et fera l’objet d’un dossier dans Aujourd’hui l’Afrique.

* Continuer à exiger que les financements de l’Europe et des institutions internationales (FMI, Banque Mondiale) cessent d’aboutir à un endettement illégitime qui obère le développement économique des Etats africains.

* Dans les conflits du continent, qui pour la plupart proviennent de la convoitise des richesses au profit de multinationales ou de la misère qui oppose les pauvres entre eux, nous soutenons la recherche des solutions politiques et dont souvent les réponses se trouvent au niveau social et économique, et de ce fait nécessitent pour les prévenir ou les résoudre que des acteurs autres que les seules parties au conflit, soient associés, en un mot : la société civile : groupements de femmes, associations de promotion de la Paix…

* la permanence de domination que constitue l’uniformisation culturelle soutenue par la mondialisation économique, la Francophonie et l’instrumentalisation des mouvements religieux intégristes. L’étouffement des cultures locales et nationales des post-colonies est une véritable mutilation pour les peuples. C’est contraire à des échanges fructueux, des découvertes entre les peuples qui permettent de mieux de comprendre et de se respecter mutuellement.

* Exiger le retrait des troupes françaises d’Afrique.

— 

(Ci-dessous, en attaché et en pdf, ce document d’orientation adopté)