RAPPORT DE MISSION au procès de Wafae Charaf et Boubker Khamlichi devant le Tribunal de Tanger 11 août 2014
J’ai été missionnée le 8 août 2014 par Jean-Paul Escoffier, Président de l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA), pour observer le procès de Wafae Charaf, (en détention préventive) et Boubker Khamlichi. Le report du procès, initialement prévu le 4 août, et le temps libéré par les autorités marocaines depuis l’annulation de mes vacances au Sahara occidental, m’ont permis de réaliser le suivi de cette affaire judiciaire évoquée sur le site de l’AFASPA le 17 juillet 2014.
L’observation de procès devant des tribunaux marocains n’est pas nouvelle pour notre organisation ; j’ai eu l’occasion d’assister à plusieurs procès de militants sahraouis devant les juridictions. En 2002 à El Ayoun, puis Agadir, Casablanca, le dernier au Tribunal militaire de Rabat en 2013. Jusqu’à présent j’ai eu accès sans problème aux salles d’audience après avoir dûment présenté mon accréditation lors des audiences comme les autres observateurs internationaux.
Rappel des faits
Les deux militants sont conjointement inculpés pour « accusations calomnieuse » (art 445 du code pénal) à propos de la plainte déposée par Wafae Charaf suite à l’arrestation dont elle a été victime, en infraction des lois en vigueur. L’arrestation arbitraire est devenue une pratique courante de la police marocaine, tant au Maroc qu’au Sahara occidental . Le mois passé un jeune militant du Mouvement du 20 février, Oussama Housne, a été condamné à 3 ans de prison ferme et 100 000 dirhams d’amende pour « allégation mensongère de torture et de viol ».Son témoignage avait été filmé en mai dernier et posté sur les réseaux sociaux.
Ce qui est moins courant, c’est qu’une victime marocaine porte plainte.
Je suis donc arrivée à Tanger en début d’après midi le lundi 11 août vers 13h. Le véhicule au bord duquel je me trouvais a emprunté la rue du Tribunal. Face au bâtiment se tenait une manifestation pacifique d’une centaine de personnes, rassemblées derrière trois banderoles : l’une du Mouvement du 20 février, l’autre de l’AMDH et la troisième de la Voie Démocratique. Les manifestants scandaient des mots d’ordre demandant la libération de Wafae Charaf et brandissaient ses photos. Un cordon de policiers en tenue leur faisait face sans agressivité. Le chauffeur est allé garer son véhicule quelques rues plus loin et nous sommes revenus sur les lieux.
Mon arrestation arbitraire
Alors que je me dirigeais vers le tribunal pour présenter mon ordre de mission au Président, j’ai été coursée par des policiers qui voulaient visiblement m’empêcher d’y aborder. Je me suis alors réfugiée parmi les manifestants qui ont tenté de me protéger. Les policiers ont alors forcé violemment la foule pour me saisir brutalement. Certains m’ont poussée dans le dos, d’autres me tiraient par les bras pour m’emmener vers une petite voiture (taxi ?) où ils m’ont littéralement soulevée et jetée sur le siège arrière. Un policier s’est assis à ma droite, un autre, très gros, est monté à ma gauche. Ils ont donné des ordres au conducteur, un homme âgé vêtu d’une gandoura. Il conduit son véhicule à la Préfecture de police de Tanger. Ils m’ont fait entrer au service des étrangers dans un bureau qui établit les documents administratifs. Un policier m’a demandé mon passeport, je lui ai remis. J’ai immédiatement demandé à téléphoner à l’Ambassade de France, ignorant qu’il y avait à Tanger un Consulat Général, je voulais protester d’avoir été arrêtée et traitée comme une criminelle, avant même que l’ont m’eût demandé de présenter une pièce d’identité.
Puis ils ont tenté à plusieurs reprises de fouiller les poches de mon pantalon où se trouvait mon téléphone, ce que je refusais, ayant été échaudée à El Ayoun où il avait été mis hors service. J’ai par contre accepté d’ouvrir mon sac et de présenter les quelques objets qui s’y trouvaient : le cahier pour prendre des notes au tribunal, un stylo, la pochette de mon appareil photo, mon porte monnaie. Mon passeport étant déjà entre leurs mains.
J’ai eu affaire à deux types de fonctionnaires de police. Des administratifs qui ne savaient rien des raisons pour lesquelles j’étais là, ni ce qui m’était arrivé quelques jours plus tôt. Ils étaient chargés de me garder et de me faire parler de manière informelle. Un inspecteur qui m’interrogeait. Il insistait pour me demander si je savais que le sit-in était interdit. J’ai répondu que j’avais découvert ce rassemblement à mon arrivée et que le but de ma présence était d’assister à l’audience. On m’affirmait qu’il fallait pour cela demander une autorisation, ce à quoi je répondais avoir assisté à de nombreux procès dont les séances sont publiques et que par courtoisie nous présentons les accréditations de nos organisations au Président du Tribunal, la police n’ayant aucunement le droit de s’y opposer. J’ai finalement décidé de ne plus me prêter à cette procédure qui ne présentait pas les garanties de légalité, tant que l’on me refusait d’entrer en contact avec les autorités françaises. On m’affirmait depuis le début que l’Ambassade était prévenue et que quelqu’un allait venir, mais je n’y croyais plus.
Quand j’ai pu, j’ai passé des appels téléphoniques pour rassurer ma famille et indiquer à Khadyja Ryadi (ex Présidente de l’AMDH) l’endroit où je me trouvais. Je me faisais rappeler à l’ordre régulièrement car, étant sur écoute, la personne prévenait mes « gardiens » qui me suppliaient de « collaborer » avec eux et d’être « raisonnable ». Vers 16h on m’a apporté un café et une bouteille d’eau. J’ai fini par informer ces personnes de l’origine de toute cette lamentable affaire en leur donnant l’adresse du site de l’AFASPA sur lequel ils sont allés découvrir les informations qu’on leur cachait. Je tiens à préciser que ces agents n’ont jamais été violents à mon égard. Assez vindicative, cependant, une personne qui estimait, en tant que femme sans doute qu’elle était habilitée à me fouiller. On a continué à me raconter qu’il ne s’agissait que d’un contrôle d’identité. Il me semblait se prolonger très longtemps, il était probant qu’il s’agissait de m’empêcher s au procès.
On m’a ensuite demandé si je disposais d’une photo, dans la négative on m’a demandé si on pouvait me photographier ! J’ai accepté en précisant que les divers services de police disposaient déjà d’une grande collection de photos, y compris le film de mon enlèvement à El Ayoun. Mais trop c’est trop, j’ai refusé de donner mes empreintes, n’ayant commis aucun crime ni délit.
A 16h05 j’ai reçu un SMS de Khadyja Riady indiquant que le Procureur Général avait déclaré aux dirigeants de l’AMDH que j’avais été libérée, ils avaient également contacté le Ministre de la Justice. Elle m’indiquait d’autre part que Claude Mangin-Asfari présente à Rabat avait alerté l’Ambassade de France où on lui a assuré avertir le Consulat de Tanger. Pourtant c’est seulement à 20h 30 passé qu’une personne a informé le Président de l’AFASPA qu’elle entrait au commissariat. J’avais été remise en liberté depuis environ une demi-heure. En France, Nicole Gasnier de l’Association des Amis de la RASD avait contacté le Ministère des Affaires Etrangères dans l’après-midi ; Monsieur Antoine Lhéritière lui a assuré avoir prévenu le Consulat de France à Tanger où on l’avait informé des propos du Wali de Tanger, à savoir que j’avais été conduite au commissariat de police pour n’avoir pas présenté de pièce d’identité lors de mon interpellation, qu’il s’agissait d’un simple contrôle d’identité et que j’allais être libérée !! Deuxième grossier mensonge d’une personnalité marocaine, détentrice de l’autorité publique.
Vers 19h30 les policiers ont commencé seuls, la rédaction d’un procès verbal qui leur a pris une bonne demi-heure. Ils sont allés le montrer au Commissaire principal au nom de qui il était rédigé. L’inspecteur me l’a présenté pour signature. Il était plein d’erreurs : dans mon nom et ma date de naissance (indiquée en 1981 alors que j’ai 67 ans), de fautes de frappe et d’orthographe. Le document a été refait deux fois mais je ne pouvais toujours pas signer puisqu’il me faisait dire des inexactitudes. Par exemple que je serais venue à Tanger pour participer à un sit-in, que c’était Madame Khadyja Ryadi qui m’avait invitée… Finalement, et contre toute attente, l’inspecteur m’a dit que je pouvais partir, en insistant sur l’interdiction formelle de rejoindre le sit-in devant le tribunal. Je fus étonnée car je pensais que le procès, dont l’ouverture était prévue à 14h, était terminé. Je n’ai pas voulu quitter seule les lieux sans être accompagnée de Madame Khadyja Riady. J’ai demandé soit qu’un agent aille la prévenir, soit de la faire appeler car la batterie de mon téléphone était déchargée. L’inspecteur après m’avoir promis de me prêter son chargeur, a changé d’idée et a demandé à un policier de m’accompagner à une boutique de proximité. Avant de partir je me suis inquiétée de savoir quand nous allions poursuivre la lecture du PV, il m’a assuré que je serai contactée ultérieurement sans plus de précision. Je n’ai toujours pas été appelée et je n’ai pas achevé la lecture de ce PV que je n’ai donc ni signé, ni refusé de signer.
Dès que mon portable fut utilisable, à la téléboutique, j’ai constaté qu’il était 20h20. J’ai alors pu contacter Khadyja Ryadi, et le président de l’AFASPA et je suis retournée au commissariat de police accompagnée du policier pour retrouver Khadyja Ryadi et plusieurs défenseurs des droits de l’Homme qui m’attendaient.
Nous nous sommes allés au carrefour de la rue du tribunal, pour apercevoir le groupe manifestants. J’ai appris là que ce rassemblement, qui avait été ni interdit ni autorisé, n’avait pas été dispersé et que personne d’autre n’avait été arrêté.
Les débats se sont poursuivis toute la nuit une trentaine d’avocats avait volontairement pris la défense des accusés par solidarité avec la jeune femme en détention depuis le 9 juillet. Parmi eux un ancien bâtonnier. Ils ont démontré les nombreuses irrégularités de procédure et l’absence de preuve de l’accusation.
Le verdict a été prononcé vers 9h le 12 août. Boubker Khamlichi est relaxé, mais Wafae Charaf est condamnée à 1 an de prison ferme et 5000Dh d’amende et 50 000 dh de dédommagement pour la partie civile.
Rabat le 13 août 2014