Déclaration de Naâma Asfari prisonnier politique sahraoui

Naâma Asfari est un militant qui prône la non violence dans le cadre de l’Intifada pacifique qui s’exprime depuis 2005 au Sahara occidental pour revendiquer le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui prévu par le plan de paix sous l’égide de l’ONU et l’UA en 1991. Il a été arrêté la veille du démantèlement violent du campement de protestation de Gdeim Izik le 8 novembre 2010. Naâma fait parti du groupe des 19 prisonniers politiques de Gdeim Izik, dispersés dans 6 prisons au Maroc, dont 8 sont condamnés à la perpétuité, d’autres à 30 ans, 25 ans et 20 ans.


Déclaration de Naâma Asfari du 31 janvier 2020 dictée à Claude Mangin son épouse par le téléphone officiel de la prison de Kénitra au cours des 5 minutes accordées chaque semaine exclusivement à la famille :

3 ans après le jugement injuste et illégal de la Cour d’appel de Rabat d’août 2017, rien n’a changé dans notre situation. La politique de répression, de vengeance et de représailles est le titre de cette période qui continue encore aujourd’hui dans toutes les prisons où se trouvent des prisonniers de Gdeim Izik.

A Kénitra, nous sommes un groupe de 6 prisonniers de Gdeim Izik. Comme tous les autres, dans toutes les autres prisons, nous vivons dans une situation de non droit ; ça signifie que notre situation n’est pas gouvernée par la loi pénitentiaire ni par aucune loi, juste par les institutions. Aucun dialogue avec la direction générale des prisons seulement des rencontres « informelles »avec le Directeur de la prison qui nous confirme de manière implicite qu’il gère notre situation en suivant les instructions de sa hiérarchie.

Aujourd’hui et en plein hiver nous sommes toujours privés de la cour où donne le soleil. Depuis le début nous avons droit à la petite cour où le soleil ne pénètre pas au moment de notre promenade.

Quatre détenus avec moi sont interdits de voir un ophtalmologue hors de la prison, sachant qu’il n’y a pas d’ophtalmologue en prison , parce que nous refusons de sortir en tenue de prisonniers alors même que , ayant déposé un recours devant la cour de cassation , nous ne sommes pas encore définitivement condamnés.
On n’a pas le droit d’accéder à la bibliothèque, ni aux autres services de la prison. Tout cela est bien une situation de non droit.

Nous demandons toujours :

1) Un dialogue sérieux et responsable avec la Direction Générale pénitentiaire.

2) La reconnaissance de notre statut juridique de «détenu politique sahraoui» comme défini dans la 4ème ° Convention de Genève ».

3) Notre transfert immédiat dans la prison d’ El Aaiun ou une autre prison du Sahara occidental. »

Ce texte va servir à la réponse que l’ACAT, le cabinet Ancile et ISHR doivent faire au CAT pour répondre à la lettre du Maroc d’août 2019 qui lui même répondait aux représailles subies que nous avons dénoncées en mai 2019, comme nous le faisons depuis l’issue du procès 2017.”

Suite de la conversation :

J’ai appris à ne pas être vulnérable à l’injustice, à me débarrasser de tout ce qui m’encombre. C’est seulement la philosophie qui m’a aidé à dépasser les limites d’un être humain qui vit des émotions .
L’esprit humain refuse le vide. Or ici, on n’est plus dans une relation humaine ou juridique avec l’autre, il ne reste que soi. Si tu es croyant, tu dis que tout dépend de Dieu, moi je dépends de ce que j’ai choisi dans ma vie. Cela te libère d’une autre façon, celle de la libération collective du Peuple sahraoui. Cela me donne plus d’énergie et me fait relativiser. L’autre jour dans une discussion avec le Directeur, il n’a pas pu me convaincre. Je lui ai dit : « C’est quoi la nature des relations entre nous si le code pénitentiaire ne gère pas la relation entre nous? Si vous dites que c’est une institution étatique gérée par des lois vous êtes un menteur. Si vous me répondez comme un menteur, du coup c’est moi le vainqueur sur le plan psychique. Vous ne respectez pas vos lois. Quand j’ai été arrêté, je n’avais pas de kalachnikov…et l’expérience de la prison m’a prouvé que j’avais raison. Je suis arrivé à un stade où il n’y a plus de langage, alors dois-je prendre une kalachnikov? Il est resté comme un petit garçon!

C’est ça la fierté et le courage qu’on montre devant un ennemi qui ne se respecte pas. Du coup, comment peut-il respecter l’autre?

J’ai vu à la TV marocaine, Tamek, le Directeur de l’Administration pénitentiaire qui s’adressait aux chefs des administrations pénitentiaires réunis au Maroc ces jours-ci déclarer : «La prison, pour les détenus c’est pour les priver de leur liberté pas de leur dignité. Comment ose-t-il cela alors que lui même est un ancien détenu politique? Les détenus de droit commun ici sont dans une situation terrible. Les maladies de peau par exemple sont épouvantables à cause de l’insalubrité, la promiscuité et le manque de soins, et lui dit qu’il respecte la dignité humaine ? C’est un mensonge!

Après cette expérience, je ne peux pas faire de politique car je ne peux pas mentir, mais je peux changer.”

Et il a raccroché le temps était écoulé