Professeur associé à Sciences-Po, ancien président de Médecin sans frontières, Rony Brauman revient sur les conséquences de l’intervention en Libye, tant pour le pays que sur le plan international.
Que signifie l’exécution de Kadhafi ? n’est-elle pas condamnable ?
La mort de kadhafi, même si c’est la fin d’un despote et que ce n’est pas une mauvaise chose, ne signifie aucunement l’avènement de la démocratie, de la stabilité et du respect des droits de l’homme en Libye. Par expérience, l’Afghanistan, l’Irak, la Somalie montre que cela ne fonctionne pas. L’autre fait marquant est l’interprétation qui a été faite de la résolution 1973. le texte initial prévoyait la protection des populations civiles et aucunement le résultat final : renverser un régime et en tuer son chef. Il y aura forcément un précédent libyen et une facture diplomatique à payer. Ce type de résolution sera extrêmement difficile à tenir pour les vainqueurs d’aujourd’hui car il n’arrangeait ni un certain nombre de leaders du CNT -encore récemment proches de Kadhafi- ni de nos belligérants qui auraient à répondre de leurs nombreuses compromissions avec le régime. Est-ce qu’il aurait été préférable que Kadhafi soit jugé ? on accorde parfois une importance démesurée aux procès et à leur vertu symbolique, car ils peuvent être un facteur de division au moment où l’unité nationale est souhaitée.
Vous qui étions opposé à ce conflit, comment analysez-vous son évolution ?
Avec cette opération, on a réhabilité, afin d’empêcher des massacres à venir, les concepts de « guerre juste » et de « guerre préventive ». On a ouvert la voie à une jurisprudence, même si les circonstances diplomatiques au déclenchement de ce conflit sont particulières. Kadhafi était un chef d’Etat isolé, sans protecteur, et cela en faisait une cible de choix, comme en témoigne la position de la Ligue arabe. Malgré la méfiance de ses dirigeants à l’égard des visées occidentales, elle a accepté le déclenchement de l’intervention militaire, ce qui traduit donc une haine vis-à-vis de Kadhafi.
L’OTAN devait être sur place pour protéger les populations, alors qu’elle les bombarde. N’est-ce pas un non-respect de la résolution ?
Ce retournement s’est produit de manière caricaturale puisque les assiégés sont devenus les assiégeants et ceux qu’on protégeait, une menace pour les autres. L’OTAN a contribué à ce scénario à Bani Walid et à Syrte, et c’est assez déconcertant si on relit le but de son intervention : la protection des populations. Elle traduit donc un abus énorme du concept mais cela était inscrit dans l’ADN de cette résolution.
Peut-on se diriger vers des guerres préventives à répétition dans les années à venir ?
Un certain nombre d’élément font craindre que l’on s’y dirige, étant donné que les personnes qui étaient favorables à une intervention en Libye le sont également pour la Syrie, l’Iran ou la Somalie. Mais ce que je trouve particulièrement frappant, c’est la question des pertes humaines, et la légèreté avec laquelle on traite ce sujet. Sur France 24, par exemple, le CNT affirmait que 50 000 personnes avaient payé de leur vie cette guerre. Outre que ce chiffre paraît démesuré, ce qui m’interpelle, c’est que personne n’ai remis en question cette information ou ne se soit souvenu du mandat e l’OTAN qui devait se résumer à la protection de vies innocentes. On accepte, comme si c’était normal, que des milliers de vies aient été sacrifiées. Cela ne semble chiffonner absolument personne et ne tenir en rien les réjouissances générales que l’on observe aujourd’hui, alors qu’il est près de dix fois supérieur aux chiffres avancés sur la Syrie !
N’est-ce pas sidérant que ce soit des associations qui tirent la nonnette d’alarme et non pas les partis, à l’exception, en France, du PCF ?
La presque totalité de la classe politique française a adhéré au but et à la logique de cette guerre, comme quasiment tous les médias. Cette adhésion explique que les questionnements qui pourraient remettre en question le consentement général et brouiller l’image d’une coalition venue pour empêcher un massacre sont écartés.