SOMMAIRE DU N°100
p.01 – Edito. Notre fil rouge (Francis Arzalier)
p.02 – 30ème anniversaire de la revue Aujourd’hui l’Afrique : 3 décembre 2005. Comité de parrainage
p.03 – Aujourd’hui l’Afrique : trois décennies de luttes (Francis Arzalier)
p.05 – « Bonnes pages » d’Aujourd’hui l’Afrique
– Modibo Keita, 1964
– Y. Bénot, C. Gatignon, 1976
– L. Odru, P. Morlet, 1988
– Le griot de la revue, 1999
p.13 – Caricatures anticolonialistes
– Caricatures anarchistes, 1890-1910
– Caricatures du journal L’Humanité, commentées par A. Ruscio
– Dessins de R. Toussaint, 1990
– Caricaturistes africains
p.21 – Le Forum de Bamako (J.-C. Rabeherifara)
p.22 – L’Appel de Bamako (R. Herrera)
p.23 – L’action de l’Europe en Afrique (Francis Wurtz)
p.25 – Algérie, les sourires de la mondialisation (André Prenant)
p.28 – Notes de lecture
p.30 – Sherlock Holmes et Léopold II (Jean Chatain)
p.31 – Flashes d’actualités africaines (Robert Lavaud)
p.33 – L’AFASPA s’exprime
BILLETS
Dernière minute
Le Tchad glisse dans la guerre à son tour. Nous n’aurons pas la naïveté de choisir un camp dans un conflit qui sent fort le pétrole. Mais il est sûr que l’armée française n’a rien à faire au Tchad. Nous en reparlerons…
>> Aujourd’hui l’Afrique
L’AFASPA et sa revue « Aujourd’hui l’Afrique » seront présents à la Fête de l’Humanité à La Courneuve (15-17 septembre 2006.)
Chers amis,
Voici un échantillon d’articles extraits du numéro 100. La revue Aujourd’hui l’Afrique est servie par abonnement : les informations pour s’abonner sont installées en chapeau de cette rubrique « revue Aujourd’hui l’Afrique ».
Édito
Notre fil rouge
Depuis 30 ans qu’existe notre revue et l’association dont elle émane (l’AFASPA), nous avons bataillé pour une seule idée, obstinément, envers et contre tout : il n’y a pas de peuple libre s’il en opprime un autre. Le peuple français, notre peuple, doit se débarrasser des relations coloniales et impériales imposées à ceux de l’Afrique. L’égalité entre les hommes, à laquelle nous aspirons, ne peut se concevoir sans l’égalité entre les peuples. Tout peuple, quel qu’il soit, a le droit de choisir lui-même son destin, de ne pas se le voir imposer.
. C’est pourquoi, les fondateurs de notre revue avaient combattu le colonialisme français en Afrique noire et au Maghreb.
. C’est pourquoi, notre revue a soutenu dans les années 80 les mouvements nationaux d’Angola et du Mozambique contre les colons portugais et le peuple sud-africain soudé avec l’ANC contre l’apartheid, la pire des oppressions coloniales au profit de minorités racistes.
. C’est pourquoi, nous avons sans relâche dénoncé depuis trois décennies les nouvelles formes d’oppression impérialiste en Afrique, qu’elles soient diplomatiques, militaires ou économiques : nous continuons et continuerons à le faire, car ce poids prédateur des maîtres financiers du globe est souvent plus lourd aujourd’hui qu’il y a 50 ans, et le fait qu’il trouve en Afrique de multiples complices politiciens et mercenaires ne constitue pas une excuse. C’est aussi au nom de la France, en notre nom, que nos gouvernants successifs participent à la curée, au pillage des ressources, aux ingérences etc.
Cette croyance impérative que tout peuple, grand ou petit, a un droit absolu à l’autodétermination nous a conduits depuis une génération, à soutenir de nos faibles moyens, la cause du peuple sahraoui. Il est insupportable que les autorités marocaines, dès l’indépendance acquise – et nous en fûmes partisans – aient confisqué au nom d’un nationalisme égoïste la liberté d’un petit peuple du désert. Le Sahara Occidental, dominé un siècle durant par la France et l’Espagne, est occupé par le Maroc, avec le soutien complaisant des dirigeants français. Nous persistons en 2006 à clamer le droit intangible des Sahraouis à l’autodétermination, comme tous les peuples d’Afrique, d’Europe ou du monde. Et, ce faisant, nous réaffirmons notre amitié au peuple marocain, si longtemps soumis à un pouvoir rétrograde et client des grandes puissances occidentales : un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre !
D’Abidjan à Dakar, de Paris à Alger, ce fil rouge guide nos analyses. Nous sommes solidaires de tous ceux, qui en Afrique et ailleurs luttent pour cet idéal d’hier et d’aujourd’hui. Nous combattons ceux « nostalgiques de l’empire » qui s’y opposent. Et nous continuerons tant que nous le pourrons, tant que nos lecteurs nous encourageront à le faire.
>> Francis Arzalier
30ème anniversaire de la revue Aujourd’hui l’Afrique
3 décembre 2005
Comité de parrainage
Marcel Rosette, ancien maire de Vitry, président de l’Association des descendants d’esclaves noirs, nous avait fait l’honneur de parrainer l’anniversaire de notre revue. Il est décédé quelques jours avant.
ALESI Jean-Claude, Responsable AFASPA Marseille / ALLEG Henri, Ancien Directeur d’Alger républicain / ARZALIER Francis, Responsable de la revue / BAUDET Pascal, Maire d’Aubervilliers / BOSCAVERT Maurice, Maire de Taverny, Conseiller Général du Val d’Oise / BOUDJENAH Yasmine, Ancienne Députée européenne / CERQUEIRA Silas, Universitaire Portugal / CHATAIN Jean, Journaliste à l’Humanité / COQUERY-VIDROVITCH Catherine, Historienne / COURET Bernard, Journaliste / CUKIERMAN Maurice, Militant anti-apartheid / DECASTER Michèle, Militante pour les Sahraouis / DESCHAMPS Bernard, Ex-Député du Gard / ESCOFFIER Jean-Paul, Président de l’AFASPA / ETIENNE Raymonde-Anne, Responsable AFASPA La Rochelle / EUZIERE Paul, Responsable des Rencontres méditerranéennes / GATIGNON Stéphane, Maire de Sevran / HANOUN Lucien, Militant au Maroc et en Algérie / HEDDE Joël, Président de l’Institut d’Histoire de la CGT / HOAREAU Charles, Responsable Comité chômeurs Marseille / HONDO Med, Cinéaste / KALDOR Pierre, Président d’Honneur de l’AFASPA / KHALFA Boualem, Alger républicain / LABICA Georges, Philosophe / LIECHTI Alban, Soldat du refus (Algérie) / LOUSSASA-CHIPOTEL Jocelaine, Responsable syndical Guadeloupe / MARTIN Henri, Militant anticolonial (guerre d’Indochine)
MICHELI Léo, Dirigeant Résistance Corse / MOLINA Jules, Militant anticolonial (Algérie) / NICOLI Francette, Résistance Corse / PAILLER Aline, Journaliste France Culture / PRENANT André, Historien de l’Algérie / ROSETTE Marcel (+), Président de l’ADEN / RUSCIO Alain, Historien / SEGUY Georges, Ancien Secrétaire Général de la CGT / SILANDE Francis, Militant martiniquais (PCM) / SURET-CANALE Jean, Historien de l’Afrique / VERGES Paul, Député de La Réunion au Parlement européen / WURTZ Francis, Député européen
Aujourd’hui l’Afrique : trois décennies de luttes
par Francis Arzalier
1974 : Quelques Français engagés depuis longtemps aux côtés des Africains contre le colonialisme, forment l’AFASPA (Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples africains). Certains ont vécu en Afrique Noire ou au Maghreb, tous connaissent l’Afrique nouvelle pour avoir lutté côte à côte avec ses militants. Les fondateurs de l’AFASPA, C. Gatignon, P. Boiteau, P. Morlet, L. Odru, J. Dresch, J. Suret-Canale, P. Kaldor, veulent poursuivre leur action de solidarité avec les luttes africaines pour une indépendance politique et économique réelle : car de nouveaux liens de domination continuent dans le cadre des rapports Nord-Sud. Aujourd’hui l’Afrique sera leur moyen d’expression.
Le premier numéro paraît en 1975, sous la direction de Claude Gatignon, secrétaire général de l’AFASPA. Dominique Lecoq sera le rédacteur en chef jusqu’en 1991. D’emblée, les signatures sont celles d’intellectuels prestigieux, géographes, historiens, économistes et de militants ouvriers, notamment de la CGT. La diversité idéologique est grande, des catholiques comme Yves Grenet ou le père Breton côtoient des communistes : tous se veulent militants de la solidarité entre peuples africains et français, contre le « néo-colonialisme ».
1960 n’a pas marqué la fin des dominations extérieures en Afrique. Au Sud du continent, l’apartheid est un système colonial féroce. Aujourd’hui l’Afrique organise la solidarité en France avec les mouvements de libération en Afrique du Sud (ANC), en Namibie (SWAPO), dans les colonies portugaises d’Angola et de Mozambique (MPLA – FRELIMO).
Dans les pays africains nouvellement indépendants, les dirigeants les plus intègres, comme Modibo Kéita, sont menacés de complots financés par les grandes puissances. En 1977, des militaires prennent le pouvoir à Bamako et réduisent les progressistes à l’impuissance par les exécutions, la prison ou l’exil. Aujourd’hui l’Afrique organise en France la solidarité contre la répression au Mali.
D’autres dirigeants africains, nationalistes et conservateurs, confisquent à leur peuple les droits arrachés depuis peu aux colonisateurs, règnent par la prison et sont près à la guerre pour conquérir des territoires : ainsi les souverains du Maroc, qui refusent au peuple du Sahara Occidental le droit à l’indépendance nationale. Aujourd’hui l’Afrique affirme son soutien aux combattants du POLISARIO, comme aux démocrates marocains.
Dans l’Afrique indépendante, certains gouvernements, nés des luttes de libération, proclament leur volonté de transformations révolutionnaires, d’indépendance politique et économique, leur désir de construire une société socialiste, se disent parfois même marxistes-léninistes. Il était normal qu’Aujourd’hui l’Afrique observe avec attention, avec sympathie, ces tentatives de rupture avec le sous-développement et les rapports de domination, à Madagascar, au Bénin, en Guinée, au Congo, en Algérie, au Burkina…
Le recul permet de constater que ce fut parfois avec quelque naïveté, que le verbiage ultra-révolutionnaire cachait parfois des répressions inacceptables et l’immobilisme social. Ces tentatives « progressistes » effondrées pour les dernières avec l’Union Soviétique, ne sont plus que le passé africain. Aujourd’hui l’Afrique doit en faire un bilan raisonné : contrairement aux discours « libéraux », elles ne furent pas qu’échecs et crimes ; elles apportèrent aussi de grands progrès, culturels et économiques, souvent effacés aujourd’hui par les diktats de la Banque Mondiale.
Avec le programme commun de la gauche et ses progrès électoraux, de grands espoirs de transformation étaient nés en France. On pouvait espérer avec l’élection de François Mitterand l’établissement de liens nouveaux entre Français et Africains, égalitaires et solidaires et non plus d’exploitation et de domination. Dans cette optique, l’AFASPA avait rédigé dès 1978 un « Projet de Charte de la Coopération ». Il fut complété et bouclé au colloque de Grenoble en juillet 1981 : Jean-Pierre Cot, proche de l’AFASPA, était alors le nouveau ministre de la Coopération dans le gouvernement de gauche.
J.P. Cot fut assez vite convaincu de son incapacité à transformer les relations France-Afrique et contraint à la démission. Elles restaient « domaine présidentiel réservé », quête de marchés pour les entreprises comme Bolloré ou Bouygues, ingérences diplomatiques et militaires etc. La revue exprima peu à peu ses déceptions, publiant des articles de Suret-Canale, Vidaud, De Bernis, qui analysaient la permanence de l’impérialisme français : les discours d’ouverture au monde n’empêchaient pas l’état français de fournir clandestinement technologies et armes à l’Afrique du Sud de l’apartheid ! Il fallait continuer la solidarité avec les militants africains en lutte, en RASD, en Afrique australe, au Soudan, dans un contexte de plus en plus mouvant et confus.
Après l’avoir dirigée pendant 16 ans, Dominique Lecoq quitte la revue. Peu après, Claude Gatignon n’assure plus la direction de l’AFASPA. L’association confie alors Aujourd’hui l’Afrique à un collectif de rédaction d’une quinzaine de militants, sous la responsabilité de F. Arzalier. Cette équipe de bénévoles, depuis, assure la confection, la gestion et la diffusion de la revue. Quelques uns de ses membres sont aujourd’hui décédés, certains ont choisi d’autres tâches, la relève a été assurée, Aujourd’hui l’Afrique vit toujours. Sa forme a changé en 20 ans : elle a pris des couleurs, trouvé parfois la collaboration d’artistes, peintres ou photographes, cherché à aérer les textes parfois trop denses et peu lisibles. L’essentiel est d’avoir respecté le contrat initial, diffusé l’idéal de solidarité entre peuples africains et français.
Aujourd’hui l’Afrique défend l’histoire des peuples africains contre les manipulations nostalgiques de l’ordre colonial. Sans prétendre être une revue scientifique elle doit montrer inlassablement que l’Afrique a un passé de civilisations complexes et multiples, aussi riches que celles d’Europe ou d’Asie. A l’inverse du credo colonial, elles n’ont pas attendu le conquérant blanc pour exister. Aujourd’hui l’Afrique doit rappeler ces crimes que furent la traite atlantique et saharienne, l’esclavage aux colonies des Caraïbes, le travail forcé, les répressions sanglantes et l’exploitation dans l’empire français d’Afrique.
Ce devoir de mémoire est d’autant plus impératif que les tentatives de réhabilitation de la colonisation sont nombreuses dans la France du XXIème siècle. Le « négationnisme colonial » s’exprime dans les médias, à l’université, à l’Assemblée Nationale même, dont la majorité vient récemment d’intimer l’ordre aux enseignants d’apprendre aux écoliers « le bilan positif de l’uvre française outre-mer » ! Nous devons au contraire expliquer sans relâche que les crimes coloniaux furent bien réels et qu’ils ne furent pas une affaire de couleur de peau : certains Français dont nous sommes les héritiers s’y opposèrent avec les militants africains des libérations, alors que les profiteurs et les tortionnaires coloniaux utilisaient des complices locaux.
Les militants ne manquent pas en Afrique, qui se battent, au risque parfois de leur vie, pour la démocratie politique et sociale, l’indépendance nationale, le développement économique, sociale et culturel, l’égalité entre hommes et femmes, etc. Ces combattants pour une Afrique meilleure sont finalement plus nombreux que les brutes mercenaires et les politiciens corrompus qui font la une de nos médias. Ces hommes et ces femmes de l’espoir africain sont souvent menacés, désorganisés, dépourvus de moyens, mais aucun progrès réel ne se fera sans eux du Nord au Sud du continent : ils sont les seuls à pouvoir y éteindre les foyers de haine et de guerre qui menacent l’Afrique et le reste du monde. Aider leurs luttes est aussi dans l’intérêt des peuples d’Europe et de France.
Nous avons soutenu les militants Sud-africains contre l’apartheid, nous défendons toujours le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, nous aiderons de notre mieux les diverses organisations progressistes africaines à expliquer le sens de leurs combats à l’opinion française.
L’image de l’Afrique et des Africains qui imprègne les mentalités françaises aujourd’hui est toujours d’inspiration coloniale :
– Comme en 1900, certains dirigeants africains, corrompus et dictateurs, servent à justifier le « droit d’ingérence » des grandes puissances en Afrique, au nom des « droits de l’homme » : on fait ainsi oublier que ces prédateurs ont souvent été mis en place par l’Occident.
– Les guerres, les millions de réfugiés, sont présentés en victimes des haines tribales inhérentes aux Africains : cette vision raciste fait oublier que les conflits « ethniques » existent aussi en Europe, et que, partout, de la Yougoslavie au Rwanda, ils sont souvent suscités par des puissances extérieures.
– La pauvreté des Africains est souvent expliquée par les climats ou les sols défavorables : cela fait oublier le pillage à bas prix des minerais, des produits agricoles et des forêts d’un continent, qui n’a pas les industries nécessaires à utiliser ses richesses.
– L’image misérabiliste de l’Afrique suscite la compassion et la générosité en Occident : cela fait oublier que la charité, même si elle soulage quelques problèmes immédiats, ne guérit pas les causes de l’inégalité entre les hommes et les peuples.
Aujourd’hui l’Afrique doit au contraire montrer les Africains réels, incroyablement différents, par leur aspect physique, leurs langues, leurs cultures, leurs religions, leurs conditions de vie : les nations africaines sont plus diverses encore que celles d’Europe ou d’Asie, et divisées comme partout en exploiteurs et exploités, en réactionnaires et progressistes.
On ne peut laisser croire que les états africains sont aujourd’hui réellement indépendants, et qu’ils sont les seuls responsables des maux qui les affligent, pauvreté, guerres, émigration, pandémies. Ils subissent, plus encore qu’aux temps coloniaux, la domination des grandes sociétés transnationales et des pouvoirs occidentaux (G8) qui les soutiennent. Le monde est toujours divisé en quelques pays très industrialisés « au Nord », et d’autres sans industries productives « au Sud » et surtout en Afrique, réduits à brader leurs richesses naturelles, maintenus en sujétion par les dettes, par l’ingérence diplomatique et militaire. Partout y explosent des conflits pour le contrôle des richesses, diamants, pétrole ou cacao, nourris de convoitises extérieures, avec la complicité de prédateurs locaux.
Du Rwanda au Congo, du Soudan en Côte d’Ivoire, l’impérialisme est plus que jamais présent même si sa forme a changé depuis 1930 : fidèle à ses origines, Aujourd’hui l’Afrique doit dénoncer les méfaits de l’impérialisme français, mais aussi les graves responsabilités de celui, conquérant, des USA, et le rôle néfaste des organismes internationaux à leur service : Banque Mondiale et FMI, OMC, OTAN etc.
30 ans de survie : c’est déjà un véritable tour de force. Les revues éditées en France sur l’Afrique relèvent en général de sociétés financières, sont abreuvées de publicité (qui nous est refusée jusqu’à présent) et parfois acceptent les soutiens intéressés de gouvernements africains, ce qui implique de défendre leurs thèses : Aujourd’hui l’Afrique ne vit que grâce à ses abonnés, elle n’a aucun fil à la patte, elle est la seule revue anti-impérialiste sur l’Afrique, publiée en France.
Rédigée, fabriquée, diffusée par des bénévoles, elle continuera parce qu’elle est nécessaire dans le paysage français, à maintenir sa ligne éditoriale, à combattre les racismes, les intégrismes, les truquages de la mémoire qui cherchent à réhabiliter la domination coloniale : tous débouchent sur la haine entre les peuples, le terrorisme, la guerre.
Ephéméride
Flashes d’actualités africaines
par Robert Lavaud (ancien professeur associé à l’Université de Paris-Dauphine)
ALGERIE
La politique de réconciliation nationale en difficulté
En application de la politique de réconciliation nationale approuvée par référendum, de nombreux islamistes ont été remis en liberté. Certains comme Ali Belhadj, cofondateur du « Front Islamique du Salut », ont repris la parole pour condamner le pouvoir algérien et plaider pour un Etat gouverné par le Coran. Pour donner des gages aux islamistes, le gouvernement a décidé de remettre en cause les écoles privées, en fait souvent gérées par des étrangers qui n’enseignaient pas en langue arabe. Ces écoles ont obtenu un sursis jusqu’à la fin de l’année scolaire. A la rentrée de septembre, elles devront dispenser leur enseignement en arabe ou disparaître
Dans le même temps, les attentats se multiplient dans le pays. Au début du mois d’avril 2006, plusieurs fonctionnaires des douanes ont été assassinés près de Ouargla, à 1600 km au sud est d’Alger. D’autres attaques dirigées contre l’armée algérienne ont eu lieu au cours du premier trimestre de l’année 2006.
Le Président Bouteflika, soutenu par l’Armée qui semble toujours aux commandes, amoindri par l’intervention chirurgicale qu’il a dû subir en France à la fin de l’année 2005, parait dépassé par les évènements. Alors que l’envolée des cours des hydrocarbures avait permis un net rétablissement de la balance commerciale algérienne et une reprise des investissements étrangers, notamment chinois, le pays semble toujours divisé entre profiteurs du système et tenants d’un pouvoir islamiste, tandis que la majorité des Algériens continuent de vivre dans la pauvreté.
BENIN
Les technocrates au pouvoir
L’ère Kérékou parait s’être achevée le 6 avril 2006 au Bénin. Ce jour là, après 30 années de pouvoir presque sans interruption, Mathieu Kérékou a remis les clés du palais présidentiel à Yayi Boni Thomas, élu le 19 mars, au deuxième tour de scrutin avec 74 % des voix face à Adrien Houndédji. Au premier tour, les créatures de l’ancien Président avaient été reléguées loin derrière, par les électeurs.
Président de la Banque Ouest-africaine de Développement (BOAD) depuis décembre 1994, Yayi Boni Thomas, âgé de 54 ans, catholique, avait travaillé de 1975 à 1977 à la Banque Commerciale du Bénin avant de rejoindre la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest de 1977 à 1989. Il avait ensuite participé à la cellule économique qu’avait mis en place auprès de lui, le Président Nicéphore Soglo, entre 1992 et 1994. Le premier gouvernement qu’il a formé est composé de 22 ministres (dont 5 femmes) tous techniciens ou hauts fonctionnaires et ne comprend aucun ancien ministre de l’ancien gouvernement.
Ainsi, après l’élection d’Ellen Johnson-Sirleaf, ancien cadre du FMI, au Libéria, la nomination de Charles Konan Banny, ancien gouverneur de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, comme Premier Ministre en Côte- d’Ivoire, le pouvoir politique passe au Bénin aux mains de technocrates. Réussiront-ils, les uns et les autres, à sortir leurs pays de leurs difficultés ? Ne risquent-ils pas d’avoir une approche de la société qui soit éloignée des préoccupations quotidiennes de leur peuple. La moquette feutrée des bureaux climatisés des grandes institutions financières ne prépare guère à s’atteler à résoudre les problèmes du quotidien de la grande majorité des Africains.
CENTRAFRIQUE
Insécurité et exactions commises par l’Armée
Si l’on en croit le gouvernement centrafricain, l’ancien président Félix Patassé continuerait de provoquer des troubles dans le pays pour gêner l’action du Président François Bozizé élu en mai 2005. De son côté, le principal parti d’opposition, le Mouvement pour la Libération du Peuple Centrafricain (MPLC) a demandé la démission du gouvernement à la suite d’exactions commises par des militaires de l’armée centrafricaine contre des paysans de la région de Paoua, proche de la frontière tchadienne, à 500 Km au nord de Bangui. Ces exactions ont été confirmées par des ONG de défense des droits de l’homme.
Les institutions africaines (le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, la Commission économique et monétaire d’Afrique Centrale) les institutions internationales (le Bureau des Nations Unies en République Centrafricaine, la Force multinationale de l’Union Africaine) paraissent impuissantes à ramener la paix et la sérénité dans le pays toujours en proie à l’insécurité fomentée par les rivalités entre des politiciens qui ne pensent guère à l’intérêt supérieur du pays et du peuple. Résultat, des hommes et des femmes abandonnent leurs villages pour adopter un statut de réfugiés qui les précarise chaque jour davantage et les transforme en assistés.
CONGO KINSHASA
Pléthore de candidatures à l’élection présidentielle
Pour la prochaine élection présidentielle dont la date précédemment fixée au 18 juin 2006 a été repoussée à une date encore indéterminée, la commission électorale indépendante de la République Démocratique du Congo a retenu 32 candidats dont certains pourront être encore éliminés par la Cour Suprême de Justice. Parmi celles-ci, on note celle de l’actuel président Joseph Kabila junior, celles de Nzanga Mobutu, fils de l’ancien dictateur, d’Azarias Ruberwa, chef d’une ex-rébellion soutenue par le Rwanda, de Jean-Pierre Bemba, chef d’une ex-rébellion soutenue par l’Ouganda et du plus vieil opposant congolais, Antoine Gizenga, président du Parti Lumumbiste Unifié (PLU). Pour les élections législatives, environ 8500 candidatures ont été enregistrées. Dans ce pays où, malgré la présence de forces militaires d’interposition de l’ONU et de l’Union Africaine, des factions armées entretiennent l’insécurité dans plusieurs provinces, tenir des élections présidentielle et législative dont les résultats ne soient pas contestés, est une gageure. Les riches ressources naturelles du pays, quatre fois plus grand que la France, excitent beaucoup trop de convoitises de la part de nombreuses entreprises multinationales et de la plupart des Etats voisins. La grande majorité des Congolais ne sont pas prêts de bénéficier du progrès économique et social qu’ils seraient en droit d’espérer compte tenu de la richesse de leur pays.
GABON
Le règne de l’arbitraire dans une « principauté pétrolière »
Le Président Omar Bongo qui tient les rênes du pays depuis quarante ans bientôt, ne tolère pas l’existence d’une opposition, même faiblement organisée, au Gabon. L’Union du Peuple Gabonais (UPG) se plaignait des tracasseries policières dont elle était l’objet et de la présence fréquente d’un char d’assaut à la porte de son siège. Plusieurs manifestations qu’il voulait organiser ont été interdites. Le 21 mars 2006, son local à Libreville a été investi par les forces de sécurité qui prétendent y avoir découvert des armes. Il ne fait pas bon mettre en cause le pouvoir absolu de l’équipe en place depuis si longtemps et qui cherche à préparer l’après Bongo à son profit.
GHANA
Faut-il donner le droit de vote aux Ghanéens établis à l’étranger ?
Le Président John Kufuor, au pouvoir depuis décembre 2000, a fait voter une loi qui accorde aux Ghanéens établis à l’Etranger le droit de voter lors des scrutins nationaux. Cette loi soutenue par le parti au pouvoir, le Nouveau Parti Patriotique (NPP) est véhémentement critiquée par l’opposition qui a organisé des manifestations de rue pour qu’elle soit abrogée. Le Congrès National Démocratique (CND) parti d’opposition représenté au Parlement qui avait boycotté le vote de cette loi, estime qu’il n’y aurait aucun inconvénient à accorder le droit de vote aux Ghanéens résidant à l’étranger, si existaient les moyens nécessaires au bon déroulement de cette opération. Il craint que ce soit une occasion pour le pouvoir en place de truquer les élections.
Ces débats paraissent très éloignés des préoccupations quotidiennes des habitants de Nima, faubourg populaire d’Accra, très bien analysées par Martin Verlet dans son livre « Grandir à Nima » aux éditions IRD Karthala. La déstructuration sociale entraînée par les effets néfastes des plans d’ajustement structurels imposés par le FMI et de la mondialisation capitaliste a entraîné une marginalisation d’une partie importante de la population ghanéenne qui ne participera peut-être même pas aux scrutins concernés.
GUINEE-BISSAU
Querelles au sommet
Aristides Gomes, premier ministre nommé par le Président Bernardo Vieira, élu en juillet 2005, qui avait été suspendu de son parti par le comité central de ce dernier, a vu cette suspension annulée par le Tribunal régional de Bissau. Cette suspension avait été prononcée par l’ancien parti au pouvoir à l’encontre de 37 de ses militants et dirigeants qui avaient rejoint le Front de Convergence pour le Développement du Président Vieira.
Dans le même temps, l’armée de la Guinée-Bissau peine à venir à bout des membres du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) qui ont trouvé refuge dans le nord du pays. Les habitants de cette région souffrent de cette situation.
GUINEE CONAKRY
Fin du règne de Lansana Conté
Au pouvoir depuis le coup d’état qu’il avait fomenté avec Diarra Traoré, en avril 1984, peu de temps après la mort de Sékou Touré le 26 mars 1984, Lansana Conté, constamment réélu depuis, et pour la dernière fois le 21 décembre 2003, a limogé son premier ministre Cellou Dalein Diallo le 5 avril 2006.
Il s’agit là d’une nouvelle manoeuvre de l’entourage du Président, actuellement très malade, pour préparer, à son profit, l’après Lansana Conté, estime une partie de l’opposition qui condamne l’élimination politique d’un homme, économiste de formation, qui paraissait avoir l’écoute des institutions internationales et était susceptible d’être en bonne place pour succéder à l’actuel président, le moment venu.
Notons cependant que Cellou Dalein Diallo ne faisait pas l’unanimité des Guinéens. Une grève générale avait récemment paralysé le pays pendant une semaine.
LIBERIA / SIERRA LEONE
Charles Taylor en prison
Sous la pression d’Ellen Johnson-Sirleaf, nouvellement élue Présidente du Libéria, son prédécesseur, Charles Taylor a été remis par le Nigéria aux autorités de la Sierra Leone pour qu’il soit jugé à Freetown par le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, pour son implication dans les crimes commis pendant la guerre civile sierra leonaise. Des voix s’élèvent pour que le procès se déroule à La Haye. Taylor devrait alors être transféré aux Pays Bas.
Beaucoup de ses anciens alliés et amis ont tout à craindre de la comparution devant un tribunal de l’ancien dictateur libérien. Ne dit on pas qu’il se serait évadé d’une prison américaine avec la complicité de la CIA pour rejoindre le Libéria en 1985 ? Certains dirigeants africains encore aux affaires ne l’ont-ils pas aidé et armé à l’époque de sa « gloire » ?
SENEGAL
Abdoulaye Wade soutenu par Kadhafi et contesté par son ancien dauphin
Deux événements ont marqué les fêtes du 46e anniversaire de l’indépendance du Sénégal célébrée à Dakar, en avril 2006.
D’abord, la présence du Colonel Khadafi venu à cette occasion près du port autonome poser symboliquement la première pierre de la tour de 50 étages qui doit porter son nom, et qui a conseillé au Président Sénégalais de demander des réparations à la France pour les dommages causés au peuple sénégalais lors de la colonisation et de l’enrôlement de tirailleurs sénégalais pour combattre aux côtés de la France au cours des deux guerres mondiales. Cette présence du colonel Kadhafi au Sénégal est à replacer dans un contexte de recrudescence de l’activisme libyen en Afrique subsaharienne, rendu possible par la manne que représente pour la Libye, l’augmentation du cours du baril de pétrole.
Ensuite, la déclaration de candidature d’Idrissa Seck à l’élection présidentielle de 2007. Nommé Premier Ministre en novembre 2002, Idrissa Seck avait été limogé en avril 2004 par Abdoulaye Wade. Il avait ensuite été incarcéré à la suite de détournements de fonds qu’il aurait opérés en tant que maire de Thiès et libéré en février 2006, après un non lieu partiel.
La coalition qui avait permis l’élection d’Abdoulaye Wade, aujourd’hui âgé de 80 ans, contre Abou Diouf, s’est peu à peu délitée. Sa soumission aux exigences des institutions internationales est en partie responsable de cette évolution. Idrissa Seck est-il à même de porter l’espérance des Sénégalais vers un monde meilleur ? Affaire à suivre.
L’AFASPA s’exprime
>> L’AFASPA prend parti
L’AFASPA réunie le 18 février 2006 à BAGNOLET,
– prend acte de la décision du Président CHIRAC d’abroger par décret l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui annonçait contre toute évidence « le rôle positif de la colonisation française ». C’est un premier camouflet bien nécessaire aux nostalgiques de l’empire colonial, à ceux qui veulent réhabiliter l’esclavage, le travail forcé, les massacres et les tortures accomplis au nom de la France, en Algérie, et ailleurs en Afrique. Mais cela ne clôt pas le débat national sur le passé colonial au sujet duquel notre association veut donner son avis.
– L’histoire doit être écrite par les historiens en fonction des critères scientifiques d’analyse des témoignages écrits et oraux du passé. Il ne saurait y avoir de version officielle des événements du passé, imposée par le pouvoir politique pour favoriser ses vues, comme ce fut le cas dans la France du Maréchal Pétain, par exemple.
– Mais la mémoire du passé ne devient pas, de ce fait, la propriété des seuls historiens, car elle est un enjeu collectif, un patrimoine national que les citoyens et leurs représentants ont à cultiver, à rappeler, à commémorer, pour que s’en saisissent les jeunes générations, car un peuple ignorant de son passé, positif et négatif, se condamne à revivre tôt ou tard les pires turpitudes de son histoire.
– A ce titre, nous sommes très attachés aux lois dites Gayssot et Taubira qui permettent de punir la propagation délibérée de falsifications négationnistes, la négation, en déformant l’histoire des crimes du nazisme et de l’esclavagisme colonial. Nous continuerons, notamment par le biais de colloques et publications, de combattre le négationnisme colonial qui se développe aujourd’hui dans la société française (monuments élevés à l’OAS dans le sud de la France, articles de presse etc.).
Le Bureau national de l’AFASPA, le 18 février 2006