Aujourd’hui l’Afrique , n°139 de mars 2016
S O M M A I R E
01. Le billet : Charlotte Kaldor (Francis Arzalier)
02. Burkina Faso 2001-2016. Document pour l’Histoire (Francis Arzalier)
03. Aujourd’hui l’Afrique n°81 de septembre 2001. Interview de Roch Christian Kaboré, secrétaire général du Congrès pour la Démocratie et le Progrès.
05. Compte rendu de : « Des ‘printemps africains’ ? », un éditorial de Patrice Allard dans Informations et Commentaires n°172 de juillet et septembre 2015 (Harana Paré)
08. Comores. Une expérience de décolonisation inachevée, 40 ans après l’indépendance (Mabadi Ahmedali)
10. Comores. Enjeux d’aujourd’hui, 40 ans après l’indépendance (Mabadi Ahmedali)
12. Rwanda 1959-1994. Chronique d’un génocide annoncé (Jean Chatain)
16. Le réchauffement climatique, un défi pour l’Afrique (Jacqueline Gascuel)
17. Respecter et valoriser la terre (interview d’Ousmane Barké Diallo)
20. Présages d’une croissance économique spectaculaire en Afrique ? Le cas nigérian – 2ème partie (Robert Lavaud)
23. La baisse des cours du pétrole met en danger
l’équilibre de l’économie algérienne (Robert Lavaud)
25. Le Salon International du Livre d’Alger (SILA) (Elisabeth Logié)
27. Notes de lecture (Francis Arzalier, Jacqueline Gascuel)
29. Flashes d’actualité africaine (Robert Lavaud)
32. Halte aux tortures à Djibouti (Communiqué de l’ORDHD et de l’AFASPA)
33. Semaine anticoloniale et antiraciste 2016. Les initiatives de l’AFASPA
Le Billet
Charlotte Kaldor (1916-2016)
par Francis Arzalier, responsable de la Rédaction
Notre amie Charlotte Kaldor ne viendra plus à l’AFASPA: elle est décédée à 100 ans le 2 février 2016. Née Szladowski, fille d’un immigré d’Europe centrale, fourreur et d’une mère couturière, elle fut des l’âge 20 ans militante du Parti communiste Français, qui fit alors beaucoup pour combattre la xénophobie d’extrême droite très forte en France vers 1936. C’est dans ce cadre militant qu’elle a rencontré pour la vie le jeune militant Pierre Kaldor : leur origine commune et un même idéal les ont réunis dès les années de Front Populaire. Le quotidien l’Humanité a été seul à rappeler son parcours, retraçant a juste titre son engagement dans la Résistance. C’est avec les FTP et le réseau dont elle était membre qu’elle a réussi à faire évader Pierre de la prison de Chalons en 1943 : il y avait été emprisonné depuis plus de deux ans pour « activités communistes ».
Tous deux vivent avec joie la Libération de la France à l’issue de l’insurrection à laquelle ils participent. L’après-guerre et ses déceptions verront Pierre et Charlotte, ensemble, militer, lui au Secours Populaire, elle a la revue des économistes communistes, Économie et Politique, puis au Comité contre les interdictions professionnelles en Allemagne.
Ce que l’article cite plus haut ne dit pas, c’est l’engagement anticolonialiste de Pierre et Charlotte, notamment des les années 50 : Pierre, avocat, défendait les militants d’Afrique Noire (Côte d’Ivoire, Tchad) poursuivis pour leur activités militantes, et, durant la Guerre d’Algérie, les militants du FLN combattant pour la liberté de leur peuple. Dans cette tâche de solidarité, Charlotte a été tout du long une collaboratrice efficace et convaincue, ce qu’elle continue après les indépendances africaines auprès de Pierre, devenu fondateur, puis Président de l’Association d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA). Tant qu’ils l’ont pu, ils venaient tous les deux participer activement aux Assemblées de l’association et sa revue Aujourd’hui l’Afrique.
Tout cela peut paraître lointain, et c’est pourtant bien actuel : à preuve cette interdiction d’aller en Algérie faite en 1960 à Pierre Kaldor, avocat, dont le rôle de défenseur gênait les autorités coloniales françaises, dans le cadre de décisions ne relevant que du pouvoir politique sous prétexte d’une situation d’urgence. Aujourd’hui, prétextant des actes réels, mais utilisés, le Pouvoir justifie des restrictions aux libertés publiques, assignations à résidence, perquisitions, sur la seule initiative de la Police d’Etat, sans contrôle préalable des Magistrats. Décidément, l’histoire se répète… et bafouille…
(En illustration, Fac simile scanné de l’interdiction faite à Pierre en 1960 d’aller en Algérie.)
Burkina 2001-2016 : Document pour l’histoire
par Francis Arzalier
C’est au printemps 2001 (quinze ans déjà !) que quatre collaborateurs de la revue Aujourd’hui l’Afrique allèrent visiter le Burkina Faso. Leur séjour a permis la publication d’un numéro spécial, en septembre de la même année, qui mérite aujourd’hui encore la lecture, tant il révélait les germes du soulèvement populaire de 2015, et de sa conclusion actuelle. Dans un carnet de route sur trois pages, j’y racontais notre découverte, de Ouagadougou à Bobo-Dioulasso et jusqu’à Banfora, d’un pays sahélien spécifique, surprenant parfois. Ceux parmi nous habitués à la chaleur brutale du Mali ont découvert que le plateau central Mossi est à environ 700 mètres d’altitude, ce qui rend la température plus acceptable à nos épidermes européens, et le sud, frontalier de la Côte d’Ivoire, a déjà quelques paysages équatoriaux. Plus caractéristique encore, un pays dont les peuples divers (Mossis majoritaires, Bobo etc.) avaient déjà réussi, après seulement quatre décennies d’indépendance, à créer un sentiment national perceptible partout, à chaque instant :
« Cet orgueil national affleure à tout instant. On sait nous faire remarquer le foisonnement des vélos dans les rues, production nationale, alors que les voitures venues d’Europe ou d’Asie brinquebalent comme à Dakar, en moins grand nombre. On ne se prive pas de nous montrer les femmes du maire’ de Ouaga, jeunes et vieilles, qui balaient les rues de la capitale deux fois par semaine, de leurs petits balais de paille : efficace et dissuasif, car ces dames n’accepteraient guère qu’un quidam dépose ses déchets devant chez lui. On ne se gêne pas pour dénoncer la xénophobie des Ivoiriens, pour moquer la filouterie des Ghanéens, avec un brin d’exagération. Et il est vrai qu’en pays mossi, tout autour de la capitale, les villages nous surprennent par la cohabitation, sans problèmes apparents, de religions diverses : maisons chrétiennes avec leur crèche à l’entrée, musulmanes et animistes, églises de fortune et minuscules mosquées au pied desquelles parfois se promènent quelques cochons, de quoi faire grimper aux rideaux n’importe quel intégriste et réjouir nos esprits voltairiens. Au fil des jours, des repas au maquis’, (restaurant) chez l’un ou l’autre, l’impression se confirme : au-delà d’un accueil à l’africaine’, amical comme on ne sait plus guère l’être en France, on découvre des Burkinabé toujours prêts à la plaisanterie, à dévorer poulets grillés copieusement arrosés, à rire de la vie et de la mort. Cela n’empêche pas le sérieux, mais vaut bien la sagesse tibétaine ou la tristesse pisse-froid qu’on cultive plus au nord trop souvent ». (Extrait du n°81, de septembre 2001, d’Aujourd’hui l’Afrique)
Grâce à l’aide d’un ami burkinabé de l’AFASPA et sa revue, nous avons pu rencontrer en toute liberté des dirigeants politiques proches du Président Blaise Compaoré (le maire de la capitale, le ministre du travail), de l’opposition (collectif Norbert Zongo), et de la presse, fort active (Le Journal du Jeudi), et le numéro spécial a publié leurs interviews, fort instructives. À l’occasion, nous avons pu constater un paradoxe fondamental de ce jeune pays, riche déjà du passage éclair à sa tête d’un grand dirigeant progressiste africain, Thomas Sankara. Alors qu’en 2001 le pouvoir de Blaise Compaoré était né de l’assassinat de Sankara, la plupart de nos interlocuteurs ne manquaient pas de se référer à son héritage, quitte à pratiquer par ailleurs une politique d’ouverture au capital étranger, totalement contraire aux idéaux du bouillant capitaine. Ce mythe sankariste, et ses ambiguïtés hypocrites, a-t-il totalement disparu aujourd’hui à Ouagadougou ? L’actualité semble bien révéler que non.
La plus révélatrice des interviews réalisées est, en ce sens, significative des continuités de l’histoire du Burkina depuis quinze ans. Elle est de Roch Marc Christian Kaboré, qui était alors secrétaire général du parti au pouvoir, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès), et qui poursuivit sa carrière ensuite en dirigeant le gouvernement, sous la houlette de « Blaise », avant de s’en séparer, peu avant l’insurrection populaire qui le contraignit à l’exil. On connait la suite : ce politicien madré, familier du pouvoir et des revirements opportunistes depuis le début de ce siècle, a réussi à devenir par la grâce d’une élection financée par l’Occident, le nouveau président du Burkina. Témoignage pour l’histoire, son interview pour Aujourd’hui l’Afrique en 2001 révèle déjà ses choix opportunistes, en rupture avec les idéaux anti-impérialistes de Sankara. Nous la publions intégralement, elle le mérite.
Pour continuer la réflexion, il est programmé pour notre prochain numéro (le n°140, de juin 2016), un article sur le thème : « Burkina Faso, une révolution pour rien ? «