Le Nouveau Front Populaire à l’épreuve de la décolonisation

Solidaire du Nouveau Front Populaire, l’AFASPA s’est adressée à ses composantes à propos des décolonisations dans lesquelles la France joue un rôle essentiel au titre de puissance coloniale en Kanaky-Nouvelle Calédonie et de partenaire majeur au Sahara occidental.

                Ces derniers mois le Président de la République a pris des décisions qui ont illustré l’esprit colonialiste qui perdure à l’Elysée 60 ans après le processus des indépendances, en entravant le droit à l’autodétermination des peuples colonisés de Kanaky-Nouvelle Calédonie et du Sahara occidental.

Ces deux territoires non autonomes sont à l’agenda du Comité de l’ONU en charge de la décolonisation en application de la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies « sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux » du 14 décembre 1960.

                La Kanaky-Nouvelle Calédonie.

Fin 2021 Emmanuel Macron a réitéré le « mauvais coup » du référendum de septembre 1987 auquel les Kanaks avaient refusé de participer du fait que les ressortissants français ayant 3 ans de résidence, étaient appelés à s’exprimer. Les votants ont opté à 98% pour l’intégration dans la république française. La variante 2021 a conduit au résultat semblable. L’État colonial s’en est saisi en mai 2024 dégeler le corps électoral restreint de Nouvelle Calédonie, avec la vieille recette du blanchiment, chère à Pierre Mesmer, démantelant ainsi un fondement de l’Accord de Nouméa. La population kanake s’est opposée à ce coup de force et la répression s’est abattue sur les indépendantistes et leurs militants, dont 7 ont été déportés en France. Les négociations sont rompues entre les organisations indépendantistes et le gouvernement.

Le FLNKS, par le cabinet d’avocats G. Devers, a sollicité l’avis de Marcelo G. Kohen, membre titulaire de l’Institut de droit international à Genève (rompu aux arbitrages internationaux et procédures devant la Cour Internationale de Justice) sur « la conformité du projet de “dégel” unilatéral du corps électoral restreint avec les obligations internationales de la France (…) et les conséquences juridiques en cas d’adoption unilatérale sur la seule base du droit français, de ce projet de loi, contre la volonté du FLNKS».

 Dans sa réponse le juriste indique : « La Nouvelle-Calédonie est un territoire non autonome régi par le droit international. La France en est la Puissance administrante et assume les obligations découlant de ce statut. Ces obligations relèvent exclusivement du droit international, indépendamment de toute considération d’ordre constitutionnel, ou autre, tirée de son droit interne. » (…) «Suite à l’Accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, la France a mis son droit interne en conformité avec le droit international en incluant dans sa Constitution un chapitre spécifique relatif à la Nouvelle-Calédonie qui prend en considération l’obligation de décoloniser. Ce chapitre distingue clairement entre statut, organisation et compétences propres à la Nouvelle-Calédonie et statut, organisation et compétences des divisions territoriales de la France (DOM-TOM, régions, etc…). Toute modification constitutionnelle qui serait contraire aux obligations internationales en la matière engendrerait pour la France une violation du droit international. » (…) « les relations qu’entretient la Nouvelle-Calédonie avec la France sont donc soumises aux règles de droit international »

 Le juriste précise que c’est l’Assemblée générale de l’ONU qui fixe les modalités de décolonisation des différents territoires non autonomes, son Comité de décolonisation en supervise le processus. La troisième consultation n’ayant pas été organisée de manière consensuelle, la résolution de l’Assemblée générale estime « que le processus de décolonisation n’a pas été mené à terme par ce troisième référendum et continue de considérer la Nouvelle-Calédonie comme un territoire non autonome dont son peuple doit encore exercer son droit à l’autodétermination. »

 Dans un communiqué de presse paru le 20 août sur le site de l’ONU, le Conseil des Droits de l’homme fait état de l’alerte de ses quatre rapporteurs spéciaux. Les « experts s’alarment sur la situation du Peuple Autochtone Kanak dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie ». Ils accusent la France de « porter atteinte à l’intégrité de l’ensemble du processus de décolonisation » en tentant depuis 2021 de « démanteler les fondements de l’Accord de Nouméa signé en 1998 (…) et ses acquis majeurs liés à la reconnaissance de l’identité Autochtone Kanak, des diverses institutions coutumières Kanakes, ainsi que du droit coutumier, et des droits fonciers » (…) « Le gouvernement français n’a pas respecté les droits fondamentaux à la participation, à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé des Peuples Autochtones Kanaks et de ses institutions, y compris le Sénat coutumier »

A propos de la répression le communiqué poursuit : « Des dizaines de milliers de manifestants Kanaks se sont mobilisés pacifiquement depuis février pour dénoncer ces réformes. En l’absence de dialogue, un violent conflit fait rage depuis mai 2024. Le gouvernement français a déployé des moyens militaires et un usage excessif de la force ce qui aurait conduit parmi les Kanaks à plusieurs morts, 169 blessés, 2235 arrestations et détentions arbitraires et des disparitions forcées. » Les experts sont « particulièrement préoccupés par les allégations concernant l’existence de milices lourdement armées de colons opposés à l’indépendance le fait qu’aucune mesure n’ait été prise par les autorités pour démanteler et poursuivre ces milices soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’état de droit« .

Ils ont demandé l’abrogation du projet de loi modifiant la composition du corps électoral suspendu depuis les élections législatives. Ils ont exhorté le gouvernement français à garantir l’État de droit et à continuer à travailler avec le Comité spécial de la décolonisation et les autorités coutumières Kanakes pour faire respecter le principe d’irréversibilité de l’Accord de Nouméa.

Les hommes et les femmes, prisonniers et disparus doivent être libérés, les sept militants et la cinquantaine de jeunes exilés en France doivent être rapatriés chez eux et la libre expression doit être respectée, afin que les négociations reprennent pour fixer, sous l’égide de l’ONU, les modalités du troisième référendum d’autodétermination.

 Le Sahara occidental

L’ONU a inscrit en 1963 le Sahara occidental sur la liste des territoires non autonomes dont il est le plus vaste.

Dans son avis précité, Marcelo G. Kohen indique que « le territoire non autonome possède, en vertu de la Charte de l’ONU, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’État qui l’administre, qui existe aussi longtemps que le peuple du territoire non autonome n’exerce pas son droit à disposer de lui-même ». L’Espagne, malgré le leg de sa colonie au Maroc et à la Mauritanie en 1975, reste de fait la puissance administrante du Sahara occidental. Le Maroc, malgré ses cris d’orfraie, en est depuis 1979 la seule puissance occupante.

Après 18 années de guerre et 21 années de cessez-le-feu, les combats ont repris en 2020 de part et d’autre du mur de 2700 km, construit par le Maroc entre 1980 et 1987 avec l’aide d’experts israéliens, de conseillers français et américains et au financement de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe. Un mur qui permet depuis 48 ans au Maroc d’exploiter illégalement les richesses naturelles du Sahara occidental.

Marcelo G. Kohen souligne la compétence de l’Assemblée générale de l’ONU quant à savoir comment un territoire doit être décolonisé et si la décolonisation a été menée à terme ou non. C’est pourquoi les prises de positions de chefs d’Etat sur le plan d’autonomie du Maroc ne modifient en rien le statut du Sahara occidental au regard du droit international car « c’est l’Assemblée générale de l’ONU qui détermine si un territoire non autonome a cessé de revêtir cette qualité » précise le juriste.

 Laissant à Donald Trump le soin de mentir en affirmant la « marocanité » du Sahara occidental, Emmanuel Macron a affirmé dans un courrier à Mohamed 6, le soutien de la France « clair et constant » au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007. Un soutien concrétisé de longue date entre autres, par son opposition au Conseil de sécurité de l’ONU à chaque fois qu’il a été question d’inclure à la feuille de route de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l’organisation du Référendum au Sahara Occidental) un volet de surveillance des droits de l’homme. Cette mission onusienne est la seule en situation de conflit armé à n’en pas disposer.

Les médias relaient la prise de position de Macron sans décliner le contenu de cette autonomie, faisant l’impasse sur la proposition du Front Polisario qui a accepté que la proposition marocaine soit incluse dans les questions à poser au référendum : l’intégration au royaume marocain et l’indépendance du pays. Il a indiqué être prêt à accorder des garanties à la population marocaine résidant au Sahara occidental pendant 10 ans, ainsi qu’au Royaume du Maroc sur le plan politique, économique et sécuritaire en cas de victoire de l’indépendance.

Souvent associée aux Droits de l’homme, notre pays ne doit plus cautionner les atteintes graves aux droits individuels et collectifs que subit la population sahraouie qui revendique le droit à l’autodétermination et dénonce les arrestations, tortures et procès inéquitables perpétrés par les autorités marocaines. On est toujours sans information sur le sort de plus de 500 disparus sahraouis des années de plomb, auxquels s’ajoutent une quinzaine de jeunes sous le règne de Mohamed 6. Actuellement 33 prisonniers politiques croupissent dans les prisons marocaines, condamnés dans des parodies de justice, à des peines de 3 ans à 30 ans et à la perpétuité pour 9 d’entre eux.

Ce territoire non autonome n’a été accessible aux observateurs étrangers indépendants que durant douze années (2001/2013). Il est aujourd’hui le seul pays au monde où on ne peut venir observer la vie sociale et politique hors de la conduite de l’autorité occupante.

L’AFASPA et la Ligue de Protection des Prisonniers Politiques Sahraouis, tienne à jour la liste nominative des 296 personnes de 21 nationalités, venues de 4 continents, qui ont été expulsées du Sahara occidental par le Maroc depuis janvier 2014.

Le droit à l’autodétermination des peuples colonisés étant inaliénable et imprescriptible, un gouvernement issu du Nouveau Front Populaire se doit de rompre avec la « solidarité coloniale » de la France au Sahara occidental depuis le soutien à l’Espagne puis au Maroc et à la Mauritanie, allant jusqu’à prendre part aux combats en 1912, 1958 et 1976.

En politique étrangère tout comme dans les autres domaines, il est essentiel que le Nouveau Front Populaire imprime ses idéaux de liberté, de dignité et de fraternité en rupture avec la politique néocoloniale, érigée en système par les gouvernements qui se sont succédés. Ces deux dossiers de décolonisation qui font l’actualité, doivent être l’occasion pour la France de cesser d’enfreindre les règles de la Charte des Nations unies, ce qui lui a valu d’être condamnée à plusieurs reprises par l’Assemblée générale de l’ONU pour infraction à l’article 6 de la résolution 1514, à propos du hold-up sur le résultat du référendum d’autodétermination des Comores de décembre 1974.

Bagnolet le 20 août 2024

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