COMPRENDRE ET SOUTENIR LA REVOLUTION TUNISIENNE

Le 24 janvier 2011 à Paris sous la coupole de la Place du Colonel Fabien le Parti Communiste Français a organisé une rencontre avec des militants tunisiens du Comité de solidarité avec les luttes des habitants de Sidi Bouzid : Mouhieddine Cherbib du Comité pour le Respect des Libertés en Tunisie, Adel Thabet représentant en France du Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie et Souhayr Belhassen Présidente de la FIDH.

Voici rassemblées les idées développées dans les interventions et les réponses aux questions des militant(e)s tunisiens, français, algériens, iraniens, irakiens, libanais, syriens, marocains…


Lecture d’un poème de Aboukacem El Chebi par la chorégraphe et actrice tunisienne Nesrine Chaabouni

Ô tyran oppresseur…

Ô tyran oppresseur…

Ami de la nuit, ennemi de la vie…

Tu t’es moqué d’un peuple impuissant

Ta main est teinte de son sang

Tu abîmes la magie de l’Univers

Et tu sèmes les épines du malheur dans ses éminences

Doucement ! Que ne te trompent pas le printemps,

La clarté de l’air et la lumière du jour

Dans l’horizon vaste, il y a l’horreur de la nuit

Le grondement du tonnerre et les rafales du vent

Attention ! Sous la cendre, il y a les flammes

Celui qui plante les épines récolte les blessures

Regarde là-bas où tu as moissonné

Les fleurs de l’espoir

Le torrent du sang va t’arracher

Et l’orage brûlant va te dévorer.****

Si tout a été révolutionné en 2 semaines, les germes de cette Révolution étaient là dans la Tunisie profonde depuis des années dans le sud tunisien. Dans le bassin minier de Gafsa, laboratoire de traditions subversives où en 2008 un mouvement revendicatif de 6 mois eut lieu, soutenu par toute une population. Une région qui souffrait particulièrement du régime, du népotisme et de la corruption institutionnalisée. Ce grand mouvement social a été durement réprimé dans la rue par la police et dans les tribunaux par la justice qui a condamné des syndicalistes à de lourdes peines de prison ainsi qu’un journaliste qui avait fait son métier en couvrant l’événement.

Quand en octobre Ben Ali a été « sollicité » pour briguer un nouveau mandat en 2014, et durer jusqu’en 2019. Ce fut une ultime provocation aux frustrations accumulées de façon insupportable par tous : les jeunes qui aspirent au bien-être, les pauvres mais aussi les classes moyennes que le régime a rendues dépendantes des crédits à la consommation. Ce qui a fait déborder le vase, le geste de Mohamed Bouazizi, auquel la population locale s’est identifiée, tant elle vivait la même douleur, la même souffrance que le jeune homme. Dix mois plus tôt, un cas identique s’était produit à Monastir, un jeune diplômé chômeur qui vendait lui aussi des fruits. Il s’est suicidé dans cette région, vitrine pour touristes, sans qu’il y eut une telle réaction dans son environnement. Ce ne fut pas le cas dans la région délaissée de Sidi Bouzid où la pauvreté est le lot commun : en août des paysans y avaient été chassés de leurs terres pour n’avoir pas réussi à payer les traites de la banque.

Dans la ville de Kasserine les manifestations de protestation ont été réprimées dans le sang. Le décompte des morts n’est pas fini mais on avance le chiffre de 65 à 80 morts. Parti de l’intérieur du pays, le mouvement de solidarité avec les luttes de Sidi Bouzid a gagné Tunis et les villes côtières pour s’étendre à tout le pays. Dans ce mouvement marqué par une mobilisation de la jeunesse, se retrouvent tout à la fois les diplômés chômeurs ou non, les plus pauvres, les travailleurs, les avocats, les enseignants… toutes les catégories sociales.

Ce qui s’est passé est irréversible, l’expérience est immuable, il n’y aura pas de retour sur la prise de parole du peuple. Son slogan « Dégage ! » est clair, il résonne du Nord au Sud de la petite Tunisie, il a été repris en Egypte, « mère du monde ». Alors que les premières revendications étaient d’ordre social, le mouvement populaire a exigé une rupture totale avec la politique économique néolibérale qui le maintient dans la misère pour le plus grand nombre, le prive d’une économie diversifiée et le maintient dans la dépendance des choix de l’Impérialisme.

Qu’il y ait un débat entre les progressistes tunisiens sur la démarche à suivre aujourd’hui à propos de la participation ou non à ce gouvernement est légitime, l’essentiel est que le but à atteindre soit le même : la rupture totale avec le système ce qui implique le départ des ministres qui ont trempé dans le régime Ben Ali, y compris le premier ministre qui accompagne le dictateur depuis 1999. La vigilance populaire est grande sur le fait qu’il n’y a pas de « tournant à négocier » avec un RCD honni ou ses ex-membres, que la Constitution basée sur le pouvoir absolu doit être abrogée de même que la loi électorale qui fut remaniée à chaque élection pour assurer le résultat au RCD.

Il faut apprécier les mesures déjà été obtenues au fur et à mesure que le mouvement s’amplifiait : L’amnistie générale, la reconnaissance des partis d’opposition et des associations, le retour d’exilés, les commissions mises en place pour effectuer des enquêtes sur : la corruption, les violations des droits de l’homme durant tout le règne de Ben Ali et qui doivent aussi remonter à l’Indépendance pour qu’il n’y ait plus d’impunité de ces crimes, la réforme institutionnelle qui pose aussi la question de savoir qui publiera ces dispositions.

Les moyens de garantir les acquis de la Révolution et de la pousser jusqu’au bout : un Conseil d’encadrement de la Révolution devrait être mis en place, il faudra aussi une Assemblée Constituante afin de définir les règles d’élections libres et sans contrainte.

Les atouts de la Révolution :

Le degré de conscience élevé du peuple, riche de l’expérience de décennies de luttes. Il est rappelé que la première Constitution du Monde arabe a été élaborée en Tunisie en 1864, de même que le premier syndicat ouvrier de cette région en 1924. Le Parti Communiste y a été créé en 1919, le premier Statut de la personne en 1956. C’est la rue qui a fait la Révolution. Les politiques n’y ont été pour rien, les manifestations sont spontanées, parfois encadrées par l’UGTT et les partis.

Les nouvelles formes d’organisation structurées qui se mettent en place.

Un mouvement responsable, qui s’est organisé partout en comité d’autodéfense des quartiers alors que les hommes de main du régime tentaient durant deux jours de semer le trouble dans les esprits en saccageant et attaquant les habitations et en assassinant les manifestants. Aucun bâtiment public n’a été mis à sac depuis le départ de Ben Ali.

Les manifestations qui s’amplifient encore ces derniers jours (Plus de 50 000 personnes à Sfax, la deuxième ville du pays pour exiger le départ du premier ministre).

Suite à une question relative au PCOT et à son influence. Il est rappelé que le Parti, créé en janvier 1986, a travaillé durant la plupart de l’ère Ben Ali dans la clandestinité et que ses dirigeants ont été souvent incarcérés ou contraints à la clandestinité, dont son porte parole Hamma Hammami. Cependant ses prises de positions ont été utiles au positionnement de la classe politique et sont reprises dans les orientations du mouvement actuel. Il recueille actuellement de nombreuses adhésions.

À propos des risques de confiscation de la Révolution

Par l’armée : Il est rappelé qu’elle n’a jamais tiré sur les révoltes populaires. Bourguiba s’en méfiait déjà, raison pour laquelle elle est moins importante et moins bien armée que la police. Ses trois corps (terre, marine et air) comptent au total environ56 000 hommes quand la police en dispose de 120 000 et la garde nationale de 12 000.

Par les islamistes : Ils n’ont été pour rien dans le mouvement, aucun mot d’ordre n’est apparu de leur part dans les manifestations, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne vont pas tenter de revenir sur la scène politique, mais ce sera dans le cadre d’un débat démocratique, libre, qui évitera de les présenter comme LA menace derrière laquelle la répression du pouvoir s’abritait. Il est difficile d’apprécier leur impact dans la population. Après avoir recueilli 19% aux élections de 1989, ils ont été laminés par le pouvoir qui s’octroyait des scores de 94% …

Par l’Impérialisme : La détermination populaire est très forte et les Tunisiens comptent sur la solidarité des démocrates dans le monde qui ont été d’un apport important dans leurs luttes antérieures et dans ce processus révolutionnaire. Mais prudence ! car bien que Washington affirme que « le peuple tunisien doit décider seul de son propre sort pour construire un pays libre et préparer des élections transparentes » on a envoyé d’urgence au Caire le 24 janvier, Jeffrey Feldman sous-secrétaire d’Etat américain pour le Proche Orient. Après deux jours de réunion, le gouvernement était remanié…

En France ils remercient particulièrement l’action solidaire du Parti Communiste Français et de l’Humanité qui a toujours rendu compte des luttes et de citer celles du bassin minier de Gafsa et Redeyef.

Aller à en Tunisie pour se rendre compte de la réalité, rencontrer les acteurs du mouvement social, tout en passant ses vacances, c’est une invitation qui nous fut faite. Il n’y a pas que les grands groupes des multinationales du tourisme qui peuvent accueillir une autre forme de tourisme.