Le 16 septembre 2015, un putsch, qualifié depuis de « plus bête du monde », renverse le gouvernement de la transition mis en place après l’insurrection de fin octobre 2014. Ce procès, très attendu, constitue un test quant à la crédibilité de la justice burkinabèe, particulièrement décriée pendant les années Compaoré.
Un procès très attendu
Le putsch du 16 septembre 2015 a fait 14 victimes mortelles et 251 blessés.
Le Burkina est malade de sa justice. Depuis l’insurrection, durant la transition se sont tenus les Etats généraux de la justice. Si des progrès en sont sortis quant à l’indépendance de la justice, on entend souvent dire au Burkina que ces Etats généraux auraient surtout servi à satisfaire les revendications des syndicats de magistrats, notamment en termes de rémunérations.
Il faut dire que les dignitaires de l’ancien régime n’ont toujours pas été jugés. Nous avons signalé sur ce blog des témoignages de torture accusant notamment Jean Pierre Palm, ancien chef de la gendarmerie, et Boureima Kéré Chef de corps du RSP. Valère Somé, un des dirigeants de la Révolution, avait même accusé Salif Diallo, dirigeant du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès) actuellement au pouvoir après avoir été longtemps proche de Blaise Compaoré, d’y avoir assisté. Tous les deux sont décédés depuis.
Quant aux affaires de corruption, l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) voilà ce que déclarait son directeur en mars 2017 : « Nous avons fait tous les rapports, que nous avons envoyés à qui de droit. Nous avons saisi les tribunaux et avons remis un exemplaire au président du Faso. Il appartient maintenant à la justice de trancher. » (voir http://netafrique.net/luc-marius-ibriga-patron-de-lasce-lc-pour-lutter-contre-la-corruption-il-faut-beaucoup-dargent/ ). Mais aucun procès ne semble en vue pour l’instant. D’où de forts soupçons contre le gouvernement et l’appareil judiciaire de connivence avec les dirigeants de l’ancien régime
De plus, le procès dit de l’insurrection populaire, qui a fait plus de 30 morts et plusieurs centaines de blessés est sans cesse reporté.
Le procès du putsch de septembre 2015 qui commence est donc le premier véritable procès de dignitaires de l’ancien régime. Les partis politiques et de nombreuses associations ont salué son ouverture. 84 accusés parmi lesquels 66 militaires et 18 civils doivent être jugés, 8 sont en fuite dont la femme de Gilbert Diendéré, le principal accusé. Les charges sont lourdes « attentat à la sûreté de l’État, meurtre, coups et blessures volontaires, dégradation volontaire de biens appartenant à autrui, trahison, incitation à commettre des actes contraires au règlement et à la discipline militaire, violence et voies de fait sur autrui ». Des charges dont ils devront répondre en tant que responsables directs ou en tant que complices. L’instruction a été confiée au juge François Yaméogo, le même qui instruit le dossier sur l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons.
Le putsch s’est soldé par 14 morts et 251 blessés. 307 personnes ou association ce sont portés partie civil, c’est dire combien de personnes sont en attente de connaitre les responsables et d’obtenir justice et réparation. Le musicien Smockey, un des leaders du Balai citoyen, dont le studio a été détruit au lance-roquette en fait partie. Maitre Guy Hervé Kam, autre leader du Balai citoyen fait partie des avocats des victimes.
Selon le président du MBDHP (Mouvement des droits de l’homme et des peuples) Chrysogone Zougmoré, « Il s’agit d’un test grandeur nature de crédibilité de notre système judiciaire, de ses acteurs impliqués dans ce procès et de sa capacité à rendre justice » qui se dit aussi être « convaincu que l’édification d’un Etat de droit véritable est incompatible avec l’impunité ambiante qui règne dans notre pays et que la justice ne saurait être sacrifiée sur l’autel d’une quelconque réconciliation ».
Manuvres dès son ouverture
Une très grande salle est prévue pour accueillir ce procès, où une foule nombreuse s’est rendue le matin du 27 février, acceptant calmement les fouilles de sécurité, pendant que les journalistes se plaignaient de ne pouvoir entrer avec leurs caméras.
Mais il n’a pu réellement commencer. Premier problème. La cour doit être composée de 5 juges, deux magistrats professionnels et trois juges assesseurs qui doivent être militaires, mais surtout plus gradés que les accusés les généraux Gilbert Diendéré et Gilbert Bassolé. Or ils sont presque tous cités comme témoins par Gilbert Diendéré, sauf un.
Mais surtout les avocats de la défense contestent la légalité du Tribunal et décident de se retirer après 4 heures de procès. Celui-ci est donc suspendu.
Pour maitre Guy Hervé Kam, interrogé par France 24, « C’est la stratégie de la rupture qui consiste lorsqu’un prévenu est accusé et poursuivi devant les juges de mettre en doute, de contester la légitimité de ce juge » mais ajoute rassurant : « Nous sommes optimistes parce que nous savons de toute façon que… l’oiseau a beau voler il se posera toujours sur son arbre. Ça prendra peut-être du temps mais ça aura lieu ».
Selon Burkina24, média d’importance au Burkina, l’avocat de la défense Me Rodrigue Bayala, aurait déclaré : «Je suis un insurgé donc, je défends de façon insurrectionnelle ce dossier » !
Rappel sur le putsch
Après l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, une transition s’est organisée de façon consensuelle, mettant en place différents institutions pour gouverner le pays en attendant de pouvoir organiser des élections. Mais cette transition, s’est rapidement trouvée confrontée au RSP (Régiment de sécurité présidentiel), le bras armé du pouvoir de Blaise Compaoré. Cette unité d’élite particulièrement bien entrainée et bien armée, mais aussi instrument de répression, n’a cessé de faire pression sur le gouvernement pour ne pas être démantelée. Le Premier ministre d’alors, Issac Zida, pourtant issu de ce régiment dont il était le numéro 2, était devenu l’homme à abattre du RSP, après avoir montré quelques velléités de réformer le RSP, sans succès. Le conflit était latent, et plusieurs fois des hommes du RSP étaient venus perturbés des conseils de ministres.
Par ailleurs le Conseil National de la Transition, qui faisait office de parlement du pays avait interdit aux hommes politiques qui avaient activement soutenus la volonté de changer la constitution pour pouvoir se représenter de Blaise Compaoré, de se présenter aux élections prévues alors pour le 11 octobre 2015.
Sans doute inquiets, à l’approche des élections et sans avoir pu se débarrasser d’Issac Zida, qu’ils considéraient comme les ayant trahis, les hommes du RSP passent à l’action le mercredi 16 septembre 2015, jour du Conseil des ministres (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/180915/burkina-le-regiment-de-securite-presidentielle-rappelle-aux-yeux-du-monde-son-caractere-putschiste). Ils prennent en otage le Président de la Transition Michel Kafando, le premier ministre Issac Zida et les autres ministres présents. Les putschistes portent à leur tête le général Diendéré, ancien chef du RSP, véritable numéro deux du régime de Blaise Compaoré et annoncent la mise en place d’un Conseil national de la démocratie dont la première mesure serait d’organiser des élections « inclusives ».
Les négociations s’ouvrent rapidement entre les putschistes et les émissaires de la CEDEAO (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest), les présidents Macky Sall du Sénégal et Yayi Boni du Bénin. Les ambassadeurs des États-Unis et de la France, il s’agissait à l’époque de Gilles Thibaud, y ont pris une part active. Sans doute est-ce la raison pour laquelle ils sont cités comme témoins. Un projet d’accord est rapidement élaboré sur lequel nous avions écrit qu’il reprenait « l’essentiel des revendications des putschistes et des partisans de Blaise Compaoré » (voir à https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/210915/burkina-le-projet-de-sortie-de-crise-de-la-cedeao-reprend-les-revendications-des-putschistes).
Michel Kafando refuse de le signer ce projet d’accord. Pendant ce temps la population entre en résistance. Dans toutes les villes de province elle occupe les places publiques la nuit bravant le couvre-feu. Et à Ouagadougou dans tous les quartiers des comités dressent des barrages, tentant quelques manifestations vite réprimées (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/260915/comment-ce-magnifique-peuple-du-burkina-mis-en-echec-le-coup-d-etat-1-0) . Les syndicats appellent à la grève générale. Si des partis politiques proches de l’ancien régime soutiennent le coup d’Etat, les putschistes se sentent vite isolés. Le Président du conseil national de la transition Cherif Sy, entré en clandestinité appelle le reste de l’armée à s’opposer aux putschistes. Après quelques jours de tergiversations au sein de l’armée, des troupes venues de différentes garnisons, sous l’impulsion d’ officiers intermédiaires encerclent la capitale et lancent un ultimatum au RSP.
Gilbert Diendéré comprend que la partie est perdue. Il engage des négociations et le RSP accepte finalement de rendre les armes. Il publia une déclaration regrettant son action, ce qui contribua à que ce coup d’Etat soit qualifié de « coup d’Etat le plus bête du monde ». Il faudra encore quelques jours pour que tout rentre dans l’ordre. Mais le premier résultat fut la dissolution du RSP qu’il avait été impossible d’obtenir jusqu’ici.
Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé, proches de Blaise Compaoré, principaux accusés
Parmi les 84 inculpés, on trouve les généraux Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé, d’autres anciens officiers de l’ex RSP dont le tortionnaire Boureima Kéré, Chef de corps, mais aussi des journalistes, des dirigeants du CDP et d’autres partis présidentiels.
On s’étonnera que des putschistes ne soient pas déchus de l’armée et puissent encore se revendiquer de leur grade de militaire et porter leurs uniformes. Signe sans doute que l’armée n’a peut-être pas encore tourné la page des années Compaoré.
Pour ce qui est de Gilbert Diendéré, nous nous sommes déjà longuement étendus sur son passé (voir à https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/050215/burkina-faso-la-transition-entre-arrogance-du-regiment-de-securite-presidentielle-et-volonte-de-re) dans le chapitre intitulé Retour sur le passé de Gilbert Diendéré, chef de tortionnaires et ancien trafiquant d’armes au profit de chefs de guerre dans la région, Jonas Savimbi, Charles Taylor et Guillaume Soro : responsable comme chef de RSP, de la torture et de nombreux assassinats dont s’est rendu coupable ce régiment, trafic d’armes pour détourner l’embargo durant le guerre au Libéria et en Sierre Léone, détournement des soldes des soldats envoyés par le Burkina aux côté de Taylor, trafic de diamant, soutien aux rebelles de Côte d’Ivoire…
Rappelons que Gilbert Diendéré est un ami d’Emmanuel Beth, premier chef de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, directeur de la Coopération militaire et de la défense au Quai d’Orsay qui sera nommé Ambassadeur de la France au Burkina en 2010. Gilbert Diendéré était un ami de la France. Il a été décoré de la légion d’honneur en 2008, légion d’honneur qui lui a été retirée par François Hollande (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/251015/hollande-retire-la-legion-d-honneur-diendere-ca-ne-suffit-pas) après le putsch de septembre 2015. Mais il était aussi l’ami des américains, qui l’avaient invité à des manuvres militaires alors qu’il était censé ne plus avoir de fonction militaire durant l’insurrection. Selon un document du RSP les américains ont même déclaré « es américains auraient dit : « si vous n’en voulez plus, donnez-le nous… » !
Quand à Djibril Bassolé, après avoir été officier de gendarmerie, il devient ministre chargé de la sécurité en janvier 1999, au lendemain de l’assassinat de Norbert Zongo, puis rapidement ministre de la sécurité jusqu’en 2007 où il prend le poste de ministre des affaires étrangères et de la sécurité. Après avoir été missionné par Blaise Compaoré dans différentes mission de médiation lors de crises politiques au Niger, au Togo, en Côte d’Ivoire, en Guinée et en Centrafrique, il est nommé médiateur adjoint pour l’ONU et l’Union Africaine au Darfour en 2008. C’est dire qu’il a bénéficié de la confiance et de toutes les faveurs de Blaise Compaoré dont il a été un fidèle serviteur. Sans doute l’est-il encore…
Ses partisans voient en lui celui qui aurait évité un bain de sang lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, qui s’est tout de même soldé par plus de 30 morts. Il semble en tout cas probable qu’il ait participé aux tractations afin de faire en sorte que ce soit le numéro 2 du RSP, Isaac Zida, qui soit d’abord choisi comme Chef de l’Etat avant de devenir premier ministre durant toute la transition.
Pour éviter d’apparaitre trop lié au CDP (Convention pour la démocratie et le progrès) déconsidéré bien que toujours actif, dont il n’est d’ailleurs jamais apparu comme un militant sans doute pour préserver son avenir, il a créé son propre parti la NAFA (LA Nouvelle Alliance du Faso) sous la bannière de laquelle il a tenté de se présenter aux élections qui ont suivi l’insurrection sans succès. Son objectif reste de pouvoir se présenter aux prochaines présidentielles. Encore faut-il qu’il soit déclaré innocent. Et ce n’est pas gagné.
Ajoutons à ce tableau déjà bien fourni qu’il a été le grand maitre de Grande Loge des Francs-Maçons du Burkina Faso qui comptait en son sein Blaise Compaoré, jusqu’à son éviction après le putsch de septembre 2015. Ajoutons que les Francs-Maçons constituent en Afrique un réseau françafricain particulièrement efficace et étendu.
Ses avocats se sont démenés à l’internationale, notamment en France, où il a effectué de nombreuses formations, ou à l’ONU, pour obtenir des interventions en sa faveur. Il a pu ainsi sortir de prison le 10 octobre, pendant une journée, et mis une liberté provisoire transformée dès le lendemain en résidence surveillée.
De longues controverses ont défrayé la chronique à propos d’enregistrements de conversations avec Guillaume Soro, l’ex chef des rebelles ivoiriens, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale de Côte d’ivoire. ON entend clairement celuii-ci lui aurait prodigué des conseils sur la conduite à tenir. Le procès devrait nous éclairer là-dessus. D’autres personnalités du régime ivoirien sont aussi soupçonnées d’avoir été complices du putsch.
Le peuple du Burkina mérite justice.
Il est temps d’en finir avec l’impunité dans ce pays. Ce procès doit commencer à y mettre fin. Le peuple burkinabè s’est soulevé contre la dictature dans une insurrection extraordinaire. On comprend mieux ce qualificatif à la lumière des nombreuses manifestations populaires en Afrique francophones qui réclament le changement sans pouvoir aboutir jusqu’ici.
L’espoir suscité par l’insurrection doit perdurer. La déception se fait sentir au Burkina, tant la soif de changement était forte aux lendemains de l’insurrection. Les populations des autres pays admiraient le Burkina le citant en exemple. Cet espoir doit retrouver de la vigueur. Ce procès doit être la démonstration que l’impunité est terminée dans ce pays et qu’on peut aussi y mettre fin aussi dans les pays voisins.
Bruno Jaffré