Excellence Monsieur le Président de la République du Cameroun,
La tristesse, la peur, la déception, et le désespoir traversent les communautés riveraines de la SOCAPALM et particulièrement celles du village Apouh à Ngog dans l’arrondissement d’Edéa 1er, département de la Sanaga Maritime.
Depuis le mois de mars 2021, nous les riverains de la SOCAPALM, sommes en pleurs, les cœurs meurtris et endoloris en raison des opérations de replanting du palmier à huile effectuées par cette entreprise jusqu’aux abords de nos cases, au mépris des négociations entamées sur ce sujet, entre cette entreprise et nous.
Notre père, nous, les femmes, filles d’Apouh à Ngog, venons très humblement auprès de votre très haute bienveillance, solliciter l’accès à un espace vital suffisant, pour prendre en compte la densité de la population actuelle et future, pour vivre dignement dans les terres de nos ancêtres.
Une vie de misère sur les terres de nos ancêtres
En effet, depuis plus de 40 ans, les palmiers à huile de la SOCAPALM côtoient nos cases et avec l’augmentation de la population, notre espace vital a complètement disparu. Cette situation déplorable entraine des tensions permanentes entre l’entreprise et les riverains qui ont empiré suite à l’arrivée des nouveaux actionnaires majoritaires de la SOCAPALM, SOCFIN/BOLLORE. Nous vivons depuis lors, un mal être constant, l’agro-industrie de palmiers à huile, cet important outil de développement censé nous être également bénéfique, étant devenu notre cauchemar. Ici à Apouh à Ngog, les femmes rurales que nous sommes n’ont plus de terres pour cultiver. Pire encore, l’accès à la palmeraie qui nous entoure nous est strictement interdit. L’entreprise s’est assurée de faire respecter cet interdit en recrutant des gardiens de plantation qui agissent comme des bruts et en creusant des tranchées qui sont de gros trous dangereux de 4m de profondeur et de largeur. Non seulement nous ne pouvons pas faire nos champs, mais aussi nous ne pouvons plus ramasser les escargots, les champignons, ni même cueillir les produits forestiers non ligneux pour nourrir nos familles. Les cours d’eau sont pollués et les maladies hydriques sont notre quotidien. L’accès au dispensaire de l’entreprise qui est le centre médical le plus proche nous est refusé. Nous sommes envahies par des grappes de mouches et moucherons parce que l’entreprise déverse ses déchets autour de nos habitations. Les forêts littéralement détruites et remplacées systématiquement par les palmiers à huile ont emporté toute notre pharmacopée, nos zones de chasse, nos sites sacrés, nos lieux culturels et cultuels. Nous sommes aujourd’hui gravement exposées aux effets négatifs des changements climatiques. Sans aucune compensation, paysannes sans terre, ni forêt, ni eau, nous avons perdu toutes nos ressources. Sur les riches terres de nos ancêtres, nous et nos familles vivons affamées dans cette prison verte. Aucun projet de développement viable et durable n’a été initié par l’entreprise en faveur des femmes.
La dignité de la riveraine perdue
Abandonnées à ce triste sort, nous devons pourtant continuer à jouer le rôle de mère nourricière pour nos familles et la palmeraie de SOCAPALM que nous côtoyons s’impose à nous comme le lieu idoine pour trouver ces moyens de survie. Malheureusement, la quête de ce minimum vital nous expose à toutes formes d’abus et de violences.
Nous sommes obligées d’y entrer frauduleusement, à nos risques et périls. Celles qui sont rattrapées par les gardes subissent de multiples violences. Certaines sont bastonnées, ce qui occasionne parfois des fausses couches ; d’autres sont trainées en justice. Nos sœurs et nos enfants qui n’ont pas trouvé des moyens financiers nécessaires pour corrompre le personnel de la justice sont emprisonnés à Edéa. Nous négocions l’entrée dans la plantation en cédant nos corps aux gardiens de la SOCAPALM, qui conditionnent par cet acte l’accès à la palmeraie. Voleuses à vie, esclaves sexuelles de générations en générations, nous avons perdu notre dignité de femme en perdant nos droits les plus fondamentaux. Nous sommes régulièrement victimes de nombreux autres abus et violences du fait de la présence de cette entreprise sur les terres de nos ancêtres.
Encore 40 années de misères insupportables
Insupportables, les riveraines de la SOCAPALM d’Edéa ne veulent plus vivre dans ces conditions pour les 40 années à venir. Nous avions confiance que l’espace vital nous sera rétrocédé après la coupe des vieux palmiers. Malheureusement, le replanting continue encore jusqu’aux confins de nos concessions. Nous sommes au bout de l’explosion. Les différentes tentatives de revendication de nos DROITS FONDAMENTAUX en lien avec notre statut de riverains auprès des administrations locales ont été fortement réprimées. La dernière en date s’est soldée par l’emprisonnement administratif de notre chef du village, sa Majesté DITOPE LINDOUME.
Nous voulons la restauration de nos droits fonciers
Excellence Monsieur le Président, vous êtes l’autorité suprême, le père de tous les camerounais, notre père. Nous venons vous exprimer notre vœu le plus ardent de jouir aussi de nos différents droits et libertés de citoyennes camerounaises.
Nous revendiquons notre droit au foncier, un espace vital pour nous mêmes aujourd’hui et pour des générations futures. Nous voulons faire prévaloir notre droit à un niveau suffisant, comme les autres femmes rurales, cultiver la terre et développer des activités économiques pour être autonomes et faire vivre nos familles. Nous voulons que notre dignité soit restaurée. Nous voulons être libres de circuler sur nos terres où reposent les vestiges de nos ancêtres.
Excellence Monsieur le Président, vous avez par le passé résolu des cas encore plus complexes pour préserver la paix et le développement inclusifs, des idéaux qui vous sont chers autant qu’à la nation dont vous êtes le garant. Nous, vos filles, venons vous supplier de considérer nos doléances et d’instruire que soient restaurés nos droits fonciers. L’administration des domaines avait déjà esquissé un travail dans ce sens :
– Lors de la descente sur le terrain au mois de septembre 2022 de la mission des membres de l’équipe technique du Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières (MINDCAF) venue de Yaoundé (composée entre autres des Mr Oumarou Directeur au MINDCAF et Mme Biloa Régine de l’équipe technique du MINDCAF en charge du dossier SOCAPALM et M. Brandon), il a été formellement recommandée à la SOCAPALM représentée par M. CAPPELLETTI (Directeur des plantations d’Edéa) et Mr MOOH (CSAC d’Edéa), notamment de ne pas engager de replanting dans cette zone aux abords des habitations;
– L’argument soutenu par la SOCAPALM insinuant que les zones que nous revendiquons émanent du titre foncier n° 184, a été battu en brèche par les membres de la mission de l’équipe technique du MINDCAF venue de Yaoundé. Au demeurant, le titre foncier en question dont se prévaut la SOCAPALM se situe au village DEHANE et non derrière les habitations d’Apouh, village séculaire. Par ailleurs, ce titre foncier est prétendument établi en 1960 sur DEHANE alors qu’il est de notoriété publique qu’il n’y avait pas en ce temps-là un quelconque village en ces lieux portant un tel nom, mais plutôt un marché périodique sous les plantations d’hévéa dénommée marché de KONGUE ou BAKONGUE ;
De plus, quand nous considérons les dispositions légales pertinentes de l’article 6 alinéa h du bail emphytéotique dans son titre OBLIGATION DU REPRENEUR, il stipule qu’il ne faut pas replanter sur les parcelles d’une superficie de 250 ha situées autour des communautés villageoises sans qu’au préalable l’administration ait distrait toute parcelle répartie comme espace vital. La superficie exacte de chacune des parcelles concernées sera déterminée par l’administration et le repreneur. L’administration désignera dans chaque cas la communauté villageoise bénéficiaire.
Aussi, l’article 14 paragraphe 1 du décret n° 76/166 du 24/04 /1976 fixant les modalités de gestion du domaine national, dispose que la commission consultative propose à l’autorité préfectorale la répartition de l’espace rural en zone agricole et pastorale suivant les besoins des populations.
Excellence Monsieur le Président,
Comment rester insensibles, attentistes face à cette extrême privation des droits fondamentaux que sont le droit à la vie, le droit à la protection de son intégrité physique, la liberté d’aller et venir, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit au travail, le droit à l’éducation, et qui s’apparente à un accaparement inadmissible de nos terres, de notre histoire, de ce que nous avons de plus cher, une violation de nos droits fonciers. Nous ne réclamons rien d’autre que notre droit d’utiliser nos terres pour le bien-être de nos familles et surtout pour l’avenir de nos enfants. Nous exigeons simplement la justice pour nous, pour nos familles.
Nous attirons votre très haute attention sur le fait que la SOCAPALM est régulièrement en crise avec ses riverains de ses plantations. A Kribi, Dizangué, Dibombari/Fiko Bonalea, Edéa les communautés environnantes y compris les autochtones pygmées n’ont plus véritablement d’espace vital, où elles peuvent se déployer en toute liberté et sécurité.
Excellence Monsieur le Président,
Tout en gardant nos yeux en pleurs, bien que remplis d’espoir, nous sommes tournés vers votre très haute bienveillance, et nous vous remercions d’avance pour l’attention particulière que vous accorderez à nos revendications. Veillez accepter très humblement, Excellence Monsieur le Président de la République du Cameroun, l’expression de notre profond respect.