S O M M A I R E du n°141 (de septembre 2016)
01. Le Billet. Ainsi va (mal) la France d’aujourd’hui (Francis Arzalier)
03. Intervention d’Acheikh Ibn-Oumar
04. La nation algérienne aux prises avec son histoire (Francis Arzalier)
06. Hommage à Fernand Iveton et ses camarades (Bernard Deschamps)
07. « Iveton évolue hors des clous » (El Watan)
10. Bienvenue à l’AFASPA Amadou Seydou Traoré (AFASPA)
12. Témoignage du syndicaliste Gilbert Julis (AFASPA)
14. Bamako. Instantanés d’un quotidien de plus en plus dur (Muriel Steinmetz, L’Humanité)
16. Evolution politique et économique récente de la Tunisie. Perspectives d’avenir (Robert Lavaud)
20. Madagascar. Deux Lettres de l’AKFM
22. Libye. Le grand partage (Manilo Dinucci, il manifesto)
24. Forum social mondial 2016. Bref compte-rendu (Jean-Claude Rabeherifara)
24. Les forums sociaux mondiaux à la croisée des chemins (Gus Massiah)
26. Compte-rendu de lecture. Chocolat, la véritable histoire d’un homme sans nom, de Gérard Noiriel (Elisabeth Logié)
29. Notes de lecture (Jean-Claude Rabeherifara) * Une nuit à Majunga de François de Negroni, * « Françafricophonie ». La « décolonisation » par la recolonisation perpétuelle de Paul Heutching
30. Flashes d’actualités africaines (Robert Lavaud)
33. Hommage à Silas Coutinho Cerqueira (Arzalier)
Le Billet
Ainsi va ( mal ) la France d’aujourd’hui
Francis Arzalier
Notre peuple porte les stigmates de ses cinq siècles d’histoire coloniale. Les mentalités impériales, la croyance consciente ou non en la supériorité del’homme blanc, de culture chrétienne, sur le Noir ou Bronzé venu d’ailleurs avec ses religions et ses mentalités, la xénophobie en un mot, est profondément implantée dans l’inconscient collectif des Francais. Même si parallèlement notre peuple est aussi celui de 1789 et 1871, des Droits de l’Homme citoyen, et des luttes de classes émancipatrices:
Deux Frances antagonistes coexistent en notre pays, celle des nostalgiques de l’OAS, et celle des minorités anticolonialistes dont nous sommes les héritiers.
Le problème est qu’à l’occasion de chaque crise sociale ou politique, le côté sombre xénophobe prend le dessus dans notre nation, tord son visage en un rictus haineux qui le rend méconnaissable au reste du monde et à nous mêmes. Aujourd’hui l’Afrique s’honore de s’être des le départ opposée à la vague raciste, anti-musulmane, anti-immigrés, de l’année passée, ce dernier avatar des mentalités coloniales. De multiples indices révèlent qu’elle enfle encore : À la fin du printemps, un lamentable salopard, né dans les Yvelines, massacre un couple de jeunes policiers transplanté en Île de France depuis son Languedoc natal. Les fanatiques moyen-orientaux de Daesh, en difficulté militaire sur le terrain, revendiquent ce crime méprisable aussitôt. Il n’en faut pas plus pour déclencher en France un déferlement médiatique effarant, à consonance anti-musulmane évidente. A la télévision nationale, on voit défiler des « experts », qui viennent illustrer les propos péremptoires de Monsieur Valls, en « annonçant » d’autres attentats islamistes: l’un d’eux n’hésite pas à asséner comme une évidence: « …d’autant que nous entrons dans le Ramadan… » Comme si le mois de jeûne et la foi musulmane étaient responsables du crime !
Le 14 juillet à Nice, un petit délinquant dont on ne sait toujours pas les mobiles ( n’en déplaise aux intégristes de Daesh prêts à revendiquer n’importe quelle action ), se transforme subitement en camionneur assassin, en tuant près de cent spectateurs réunis pour admirer un feu d’artifice. Dix jours plus tard, deux jeunes fous furieux expriment leur haine du monde en égorgeant dans une petite église de la banlieue de Rouen un vieux curé de 85 ans, sans autre raison qu’un délire barbare: La France n’a plus rien à envier aux tueurs fous des États Unis d’Amérique, qui tirent dans le tas pour noyer dans le sang d’innocents leurs frustrations et leur absence de repères moraux. Il est vrai que nos sociétés en crise se ressemblent de plus en plus…
L’écraseur sanglant étant Tunisien,son imitateur de Saint-Étienne du Rouvray « arabe », cela suffit à déclencher la meute médiatique, contre l’Islam (« radicalisé » bien sûr, mais l’Islam tout de même) et les Musulmans, comme si la religion ou la culture maghrébines suffisaient à expliquer l’assassinat de masse. Au premier rang des manipulateurs de l’opinion, se bousculant dans la surenchère répressive, des politiciens socialistes, de la Droite classique et de l’Extrême Droite, qui votent ensemble la perpétuation de l’état d’urgence, comme si jusque là il avait arrêté les tueurs. Mieux, Collard, député du FN, admirateur avoué des égorgeurs de l’OAS, joue les aboyeurs haineux à
l’Assemblée contre l’immigration. Des politiciens UMP aussi « sérieux » que Ciotti, ou Sarkozy, proposent de rassembler en « centres de rétentions », sur simple décision policière, tous ceux « soupçonnés de radicalisation » : Appelons les choses par leur nom, « centre de rétention » est l’euphémisme qui désignait les camps de concentration, où les autorités françaises regroupèrent des milliers de suspects sans autre preuve que les fichiers de police, entre 1939 et 45, et durant la Guerre d’Algérie.
Décidément, il y a bien deux France, et la notre n’est pas celle des xénophobes, héritiers mal guéris des turpitudes coloniales. Nous supportons très douloureusement cette odeur nauséabonde qui émane de propos racistes ou guerriers, et peut se terminer,si on n’y met un terme, en déportations et « ratonnades ».
Avez vous remarqué que l’agressivité anti-musulmane actuelle entraîne déjà deux phénomènes négatifs qui se nourrissent l’un de l’autre ? :
– D’un côté,les phantasmes apeurés d’une partie des citoyens français, qui se croient menaces parce qu’ils ont la peau blanche et des ancêtres chrétiens : ainsi, en juin les rumeurs d’attentats islamistes contre les boîtes de nuit répandues en Corse et ailleurs, malgré les démentis des autorités de justice. À l’origine de cette peur,un jeune homme qui fréquente épisodiquement un Imam, lequel lui aurait conseillé, le perfide, de s’intéresser à la préparation du Baccalauréat plus qu’aux « lieux de débauche » de sa ville…
– De l’autre, un nombre de plus en plus grand dans nos rues de jeunes filles éprouvent fâcheusement le besoin d’affirmer une identité islamique contestée et leur soumission à la loi des mâles de leur famille, en se recouvrant de la tête aux pieds d’un vêtement et d’un capuchon noirs sortis du Moyen Âge. La controverse à propos du burkini cet étés ainsi atteint des sommets de bêtise réciproque…
Deux attitudes aussi irrationnelles l’une que l’autre, qui amplifient toutes deux le danger… Et durant ces quelques mois, le saviez vous, plus de 200 000 migrants sont arrivés en Europe par la Méditerranée, fuyant les guerres et le non-développement que les autorités de l’UE participent à y entretenir, et, selon l’ONU, près de 3 000 y sont morts noyés. Notre pays et ses voisins sont au bord du gouffre …
N’est il pas temps de stopper cette marche en arrière ?
Documents…
L’affaire Guy Bézier ou la défense de l’action directe
28 mai 1956, Saint-Nazaire (Loire-Inférieure). Suite à une manifestation, à l’initiative de la CGT et destinée à protester contre les rappels en Algérie d’appelés du contingent, Guy Bézier, jeune ouvrier caréneur des chantiers navals, est arrêté puis jugé par un tribunal militaire et condamné à 5 ans de prison ferme. Un comité pour sa libération se constituera alors et, finalement, le jeune homme sera libéré en avril 1957.
Le rappel massif de soldats du contingent, en 1956, aura eu comme conséquence des oppositions parfois violentes au départ de ces derniers pour l’Algérie dans un contexte d’intensification de la « pacification » sous le gouvernement Guy Mollet. A Saint-Nazaire, le 28 mai 1956, suite à une manifestation de masse, une micheline transportant des rappelés sur la ligne Le Croisic-Nantes fut bloquée et son départ, retardé.
Un jeune ouvrier des Chantiers de l’Atlantique, Guy Bézier, appartenant à une famille nombreuse et modeste, fut accusé d’avoir « saboté » (1) la motrice et, dans un contexte de répression renforcée, jugé et condamné par le tribunal militaire de Rennes (24 juillet 1956) à cinq longues années de prison ferme.
Bien que la CGT fut à l’origine de cette manifestation, elle ne se mobilisera guère localement, à l’exception peut-être du Secours populaire, pour agir en faveur de ce garçon, sans affiliation syndicale ou politique, car se désolidarisant d’un acte jugé individuel. Cependant, le jeune ouvrier verra se constituer un comité en sa faveur constitué de militants syndicaux et d’ajistes, afin d’obtenir l’invalidation du jugement prononcé par une cassation et, à défaut, une grâce en sa faveur, y compris par la collecte d’argent afin d’assurer sa défense. L’initiative en revint à Alexandre Hébert, secrétaire général de l’UD CGT-FO de Loire-Inférieure ainsi qu’à ses camarades ajistes, tous militants anarchistes par ailleurs. Fin 1956, Hébert publia un article dans L’Ouest syndicaliste intitulé « Cellule 433 », numéro de celle occupée à Fresnes par le jeune Guy, ses appels étant relayés par la presse trotskyste et anarchiste. L’action menée sera finalement payante, Guy étant libéré fin avril 1957.
Il faut se souvenir qu’outre l’habitude de Hébert de dénoncer les « staliniens » et leurs agissements, ce dernier prôna les vertus de l’action directe dans les luttes ouvrières, notamment en 1955, lors des grèves de Nantes et Saint-Nazaire.
Yvon Gourhand
Atelier de recherches historiques (Pr Rémi Fabre, dir.), UP de Nantes
Sources :
Fonds Ménard (MEN 1-7) et fonds Paul Malnoë (MAL 5-67), CHT de Nantes ;
Divers journaux (La Vérité, La Vérité des Travailleurs, La Commune, L’Ouest syndicaliste, Le Monde Libertaire) ;
Le syndicalisme et ses armes, revue Agone n°33, 2005 ;
Henri ROUTHIAU, Rappelés et appelés nantais en Algérie, 1956-1957, ARH, UP Nantes, 2015.
Iconographie :
Portrait de Guy Bézier, extrait de coupure de presse, fonds Ménard (MEN 1 – 7), CHT de Nantes.
(1) Les chefs d’accusation portés à l’encontre de Guy Bézier furent ceux d’entraves à la circulation de matériel utilisé pour la défense nationale ainsi que de détérioration de matériel de transport au service de l’armée, ceci en sectionnant les tuyaux de la motrice.