L’accaparement des terres au cœur de la crise La répression des manifestations pacifiques de ces

La répression des manifestations pacifiques de ces derniers jours a fait près de cent morts. En cause : les conflits fonciers et les griefs politiques à l’égard des Tigréens qui s’emparent du pouvoir.


La politique d’instrumentalisation des appartenances ¬ethniques par le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens, qui monopolise le pouvoir depuis 1991, est-elle en train de lui revenir en boomerang ? Ces derniers jours, le régime a réprimé dans le sang les manifestations qui secouent les régions d’Oromia et d’Amhara, faisant près de 100 morts et des centaines de blessés, selon un bilan établi par Amnesty international. La capitale, Addis-Abeba, n’est pas épargnée : samedi, les protestataires réunis à Meskel Square ont été brutalement dispersés et la police a procédé à des dizaines d’arrestations. Pour tenter d’éviter toute contagion, les autorités bloquent, depuis vendredi, l’accès aux réseaux sociaux. Sans succès, puisque le mouvement de contestation connaît une ampleur inédite. « C’est un mouvement de masse de désobéissance civile qui n’est pas organisé par les partis politiques, les gens en ont assez de ce régime et expriment leur colère partout », a expliqué à l’AFP Merera Gudina, figure de l’opposition et président du Congrès du peuple oromo.

150 000 paysans chassés de leurs terres

L’Éthiopie est depuis novembre 2015 le théâtre d’un mouvement de contestation et d’une répression féroce, qui a fait des centaines de morts. C’est, au départ, un projet d’expansion urbaine d’Addis-Abeba qui a mis le feu aux poudres. Ce plan d’urbanisme controversé, abandonné depuis, menaçait d’empiéter sur les terres ancestrales des Oromo. Ces dix dernières années, déjà, 150 000 paysans oromo ont été chassés de leurs terres par l’explosion démographique de la capitale ou par la location à long terme de terres cultivables à des capitalistes étrangers. Une politique délibérée, puisque, en vertu du droit éthiopien, la terre est propriété de l’État, ses occupants bénéficiant de droits coutumiers. Or, depuis 2010, le gouvernement éthiopien fait des ponts d’or aux multinationales de l’agrobusiness, auxquelles il a octroyé 3 millions d’hectares de terres sous forme de crédit-bail (leasing). Au détriment des éleveurs et cultivateurs locaux déjà durement affectés par de sévères et récurrentes sécheresses. Dans la région d’Amhara, où la contestation est plus récente, c’est la décision du gouvernement central de rattacher un district à la région voisine du Tigré qui alimente la colère.

L’échec d’un fédéralisme ethnique de façade

Ces conflits fonciers se conjuguent avec un ressentiment grandissant à l’égard des Tigréens, accusés d’accaparer les postes clés au sein du gouvernement et des forces de sécurité. L’actuel pouvoir puise en effet ses racines dans le Front de libération du peuple du Tigré, dont les forces se sont substituées à l’armée nationale après avoir chassé du pouvoir le colonel Mengistu Haile Mariam en 1991. « Tous les partis d’opposition accusent (…) le Front révolutionnaire et démocratique des peuples éthiopiens de favoriser la domination et de maintenir les privilèges d’un seul groupe ethnique, celui du Tigré (…) et de dresser systématiquement les groupes ethniques les uns contre les autres pour parvenir à ses fins hégémoniques », écrit Berouk Mesfin, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Addis-Abeba. Les récentes manifestations témoignent de l’échec de ce fédéralisme ethnique de façade, désormais lourd de risques de balkanisation dans un pays qui compte 80 groupes ethniques. Le premier ministre Haile Mariam Dessalegn, qui pourrait tenir lieu de fusible dans cette grave crise, a beau jeu, désormais, de dénoncer les menaces planant sur l’« unité du pays ».