On peut examiner au cas par cas, au jour le jour, les événements qui bouleversent le continent, mais on peut aussi élargir le prisme et rechercher leurs points communs, leurs connexions et leurs cohérences. La stratégie impérialiste pour l’Afrique entre dans une nouvelle phase, selon le schéma libyen, l’intervention directe de l’OTAN en moins.
Il y a un an, en mars 2011, l’AFASPA dénonçait le danger d’une intervention militaire franco-britannique en Libye, « dont les populations libyennes (seraient) les premières victimes ». En septembre 2012, nous écrivions : « En Libye a été ouvert un nouveau chantier d’aventurisme et d’expérimentation militaire : il s’avèrera rapidement incontrôlable. Cette ingérence impérialiste dans une guerre civile avec fourniture d’armes à des groupements divers et variés aura sans nul doute de lourdes et durables conséquences ».
Alors que certains membres du CNT, censé diriger la Libye, restent encore dans l’ombre de l’anonymat, le pays est en proie à des conflits dont on ne voit pas comment ils peuvent se régler. La dissémination des armes et la « disponibilité » de certaines troupes du Guide libyen a permis à tous ceux qui parlent les armes à la main (groupes islamistes, séparatistes touaregs et autres bandes organisées au service d’intérêts mafieux) de renforcer leurs potentiels militaires dans le Sahel.
Et le pyromane cria : « Au feu ! »
Sans rougir, la France a saisi le Conseil de Sécurité sur la situation au Mali, son Ministre des Affaires étrangères aurait-il à cette occasion, levé le voile sur le contenu des entretiens que ses émissaires ont eus en début d’année avec des représentants du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad)à Paris ? A-t-il évoqué le compromis que l’on prête à Mohamed Ag Najem (chef d’état-major de la rébellion touarègue) passé avec l’Otan et la France, d’avoir abandonné Kadhafi et quitté le Sud de la Libye sous promesse d’une aide dans ses revendications au Nord du Mali ? Ce que confirmerait la cécité des engins volants équipés de caméra infrarouge qui n’ont pas repéré les convois de plusieurs centaines de véhicules d’Ag Najem traversant le désert du Niger en direction du Mali. Le refus opposé à la France d’implanter une base à Tessalit pour « lutter contre le terrorisme » serait-il pour quelque chose dans cet épisode ?
Libéralisme, islamisme et trafiquants unis contre le développement
Les choix économiques du gouvernement d’Amadou Toumani Touré ont affaibli le pays. Tout comme ses voisins, il a cédé aux injonctions du FMI et de la Banque mondiale, livré le patrimoine national aux appétits des banques et multinationales pilleuses des richesses du sous-sol et du sol (dont le coton), multiplié les privatisations, avec pour décors la corruption et le clientélisme. Il accepté l’accaparement des terres fertiles dont les effets dévastateurs ne sont pas seulement immédiats. Il ne s’est pas engagé sur un programme sérieux pour le développement du pays en général, et du Nord en particulier où les projets dont la réalisation furent confiés aux responsables Touaregs n’ont pas été réalisés, les crédits s’étant évaporés. Enfin, les mesures nécessaires n’ont pas été prises pour faire face aux velléités sécessionnistes du MNLA, ce qui a conduit aux lourdes pertes humaines d’hommes de l’armée malienne.
Tous ces malaises et mécontentements généralisés de la population ont renforcé une rébellion qui entend exploiter la manne pétrolière à son seul profit et celui de ses alliés. Et le sous-sol n’a pas encore révélé tous ses trésors : une firme australienne fait des recherches dans la zone à la recherche d’uranium.
Dans le même temps le fondamentalisme s’est renforcé par la mainmise du religieux sur la sphère privée et publique, favorisé par l’appauvrissement. Le dernier et très parlant exemple fut le vote d’un code de la famille en décembre 2011, instituant de nouvelles discriminations et en légitimant d’autres à l’égard de celles qui représentent 51% de la population. Aucun pays ne peut atteindre un développement durable en marginalisant la moitié de sa population. Les islamistes de tous horizons sont très attachés aux règles du marché capitaliste des marchandises, capitaux et salariés comme l’ont prouvé les déclarations des tout nouveaux dirigeants tunisiens et marocains « rassurant les investisseurs ».
Profitant du terrain et de la situation, depuis des années le transit des drogues, débarquées sur les côtes ouest de l’Afrique et destinées à Europe, a « plombé » la région. Quel projet de coopération entre les pays d’Afrique de l’Ouest, du Maghreb et de l’Europe pour lutter contre ces autres « seigneurs » qui corrompent les uns ou liquident qui se mêle de leur juteux commerce ?
Le putsch militaire n’était pas porteur de solution
Au Mali comme ailleurs, décider sans l’intervention de la population réelle mène à l’impasse. Les événements qui se sont succédé confirment que l’appropriation du pouvoir par un groupe de militaires ne constituait pas un projet politique en réponse à une situation critique et aux enjeux auxquels le pouvoir en place ne répondait pas. Comme ceux qu’ils ont chassés, les militaires se sont affranchis de faire appel au poids que le peuple et les acteurs de la société civile peuvent exprimer.
Les velléités sécessionnistes et celles des islamistes réunies pour l’occasion se sont engouffrées dans la brèche pour aboutir à une prise en main des populations des villes du Nord allant jusqu’à Gao. Mais l’ambition des islamistes va au-delà de la moitié du pays, et leur idéologie peut compter sur de solides bases dans le pays.
Un fruit mûr à cueillir ?
Le 2 avril, soit 4 jours avant la proclamation de l’indépendance de l’Azawad par le MNLA, les chefs d’Etats de la CEDEAO réunis à Dakar ont décidé un embargo total sur le Mali qui n’a fait qu’appauvrir les populations en souffrance. Etait-ce une mesure pour « l’issue à la crise » ? Que le Ministre des Affaires Etrangères de la France et des représentants des Etats Unis se soient invités à cette réunion illustre la souveraineté relative des pays africains, 50 ans après leur indépendance. Que des hauts gradés américains et français participent, le 5 avril, au comité des chefs d’état-major de la CEDEAO à Abidjan, garantit que les réserves en or noir et en toute autre matière stratégique, objet de tant de convoitises, ne tomberont pas dans n’importe quelles mains ! Mais dans leurs préoccupations, la CEDEAO et ses « conseillers » n’ont pas évoqué de s’opposer au risque double : que sont la partition du Mali et l’intrusion islamiste. Le risque est grand que la force militaire mise en place avec « l’appui logistique de la France », ne serve que d’interposition pour que des négociations s’engagent sur le devenir de la moitié du territoire malien.
Seule la résistance organisée des populations peut contrarier la perspective odieuse d’une nouvelle confiscation de leurs richesses naturelles et de leurs patrimoines, et s’opposer à une redite de l’histoire récente.
L’AFASPA tient à affirmer sa solidarité aux progressistes maliens attachés à mettre en uvre les idéaux de la révolution populaire malienne de 1991 qui renversa la dictature militaire et inscrivit dans la constitution du pays les libertés individuelles, politiques, syndicales, d’opinion et de presse, la séparation de la religion et de l’état, l’élection au suffrage universel des dirigeants nationaux et locaux.
Le scénario des conflits armés qui sévit dans la riche région en minerais des Grands Lacs au profit de l’affairisme de l’impérialisme néocolonial doit être évité en Afrique de l’Ouest. Les pays africains ont besoin d’une démocratie politique et sociale, d’un développement économique, de l’unité du pays et de la souveraineté nationale. La corruption, l’inégalité sociale, exigent d’être combattues par des luttes populaires sociales et politiques. Il n’y a pas de solution à ces maux en supprimant les libertés des citoyens et en retournant à la dictature militaire ou à une démocratie seulement formelle.
Bagnolet le 10 avril 2012