L’hebdomadaire est coutumier à l’éloge des chefs d’états africains aux régimes musclés, quitte à se mordre la langue à la chute de dictateurs comme l’a fait son directeur, le tunisien Béchir Ben Yahmed, supporter en son temps de Ben Ali. Mais trop, c’est trop pour ces Djiboutiens qui ont lu dans ce numéro de mars 2011 l’article de François Soudan intitulé « Le vrai Guelleh ». Alors ils sont venus crier leur indignation ce samedi 2 avril sous les fenêtres de Jeune Afrique, installé dans les beaux quartiers de Paris, le 16ème arrondissement (pour qui aurait pensé qu’il siégeait du côté de Barbès ou du marché Château Rouge).
Etonnés et curieux, les voisins du 57 avenue d’Auteuil, peu habitués aux manifestations d’Africains en colère et aux slogans lancés au mégaphone : « Jeune Afrique se targue de porter la voix au-delà du continent, alors qu’il relaie la propagande de bas étage de ses dictatures» « Honte à Jeune Afrique » « Monsieur Ben Yamed vous faites honte à votre continent, à votre pays, la Tunisie dont vous faisiez l’éloge de Ben Ali» « Monsieur François Soudan vous faites honte au métier avec ce papier que vous avez rapporté qui fait mentir l’histoire de Djibouti, il présente Guelleh sous un jour qu’on ne lui connaît pas, il lui invente un passé glorieux, lui donne des qualités qu’il n’a pas, en un mot il fait pour lui une propagande éhontée» « Jeune Afrique complice des dictateurs ». « Aujourd’hui ce sont les Djiboutiens, mais demain ce seront d’autres Africains qui viendront jusqu’à ce que vous changiez de pratique ».
Sur leur chemin les passants s’arrêtent et discutent avec les manifestants qui leur remettent un document où ils découvrent un tout autre visage du Président de Djibouti, sa face cachée des médias. Certain(e)s de ces manifestant(e)s leur parlent des sinistres geôles de leur pays où ils ont été enfermés et torturés, des viols impunis de femmes Afars par des militaires djiboutiens. Toutes choses que l’hebdomadaire ne relève pas dans ses pages, et pour cause.
Pourtant l’article commence comme un roman à l’eau de rose pour midinette : « Ismaïl Omar Guelleh, 63 ans, est un homme fidèle… à Jeune Afrique. C’est à J. A qu’il a annoncé, au détour d’une interview, son souhait de ne pas se présenter à l’élection présidentielle du 8 avril 2011. C’est à J.A. en mai 2010, qu’il a expliqué les raisons pour lesquelles il avait en définitive changé d’avis et fait pour cela modifier la Constitution par le Parlement. Et c’est à J.A. que le candidat à sa propre succession assure, lors d’un entretien recueilli ce 9 mars dans sa résidence de Djibouti, que son prochain mandat de 5 ans sera le dernier ». C’est promis, juré, dans 5 ans il résistera aux « harcèlements » des Djiboutiens qui l’ont fait renoncer à sa décision. Et ils avaient des arguments : « Où est la relève ? Qui peut vous remplacer ? Qu’allons-nous faire des chantiers que vous avez initiés ? Vous n’avez pas le droit de nous laisser tomber ! » Là on redoute que l’histoire vire au psychodrame. Mais nous sommes rassurés quelques lignes après l’évocation des manifestations dans lesquelles IOG « a senti passer le vent de la contestation » et y a puisé « une motivation supplémentaire pour achever, au pouvoir, un ambitieux programme dont le but est d’extirper ce petit pays de 850 000 habitants de la gangue de la pauvreté. » et l’éditorialiste phare de l’hebdo nous décline tous les projets ambitieux de la propagande électorale. Ouf ! Sauvés les Djiboutiens ! On en a comme ça 5 pages illustrées de photos reportages plus touchantes les unes que les autres sur l’enfance et la jeunesse du monsieur et un « éclairage » (lire le CV), qui nous démontre un étalage de compétences et une fortune des plus ordinaires, on peut dire modeste « Biens immobiliers : Une résidence à Djibouti-ville, un appartement à Paris (acquis il y a douze ans sur crédit bancaire, en cours de remboursement) ». Qui prétendra qu’il s’est enrichi durant ses mandats?
Guelleh est fidèle à J. A nous dites-vous? mais il y a de quoi !
Et il n’est pas le seul : Mohamed VI après Hassan II, son dictateur sanguinaire de père, a régulièrement droit aux caresses de J. A. et à un soutien indéfectible sur le conflit de décolonisation du Sahara Occidental. Autre chef d’Etat accédant aux colonnes de J.A. quelques temps avant une réélection, le Centrafricain François Bozizé interviewé par F. Soudan en juillet 2010 qui lui consacre 5 pages plus une photo pleine page devant le drapeau national !
Il y a de quoi sourire en relisant les introductions des articles-propagande des dictateurs des articles de J.A. Exemple : N° 2596 octobre 2010 : « Tunisie : recherche opposition désespérément. » (quel titre !…) « Ben Ali bouclera son 5ème mandat de 5 ans. Et déjà, depuis quelques semaines, les cercles du pouvoir se sont mobilisés pour l’adjurer de briguer un 6ème mandat à l’élection présidentielle de 2014. »
Ces pauvres dictateurs seraient donc tous logés à la même enseigne, ils ne peuvent prendre leur retraite ?… on comprend mieux pourquoi leurs peuples se font un devoir de les y envoyer.