LETTRE AUX CANDIDATS A L’ELECTION PRESIDENTIELLE

Madame, Monsieur,

Vous avez présenté votre candidature à la présidence de la République Française. La désignation à la plus haute fonction nationale doit être, selon nous, animée par un profond débat démocratique au sein duquel vous affirmerez vos principes et vos idées. Ce débat marquera la place de la France sur la scène internationale. Des propositions, des stratégies nouvelles pourraient émerger et marquer durablement l’avenir de notre pays et de ses relations avec le monde.

Les Français n’ignorent plus que leur vie quotidienne dépend des évolutions internationales, la coupure que notre tradition politique présente entre intérieur et extérieur est de moins en moins franche. Ainsi nous pensons qu’ils mesurent l’importance du scrutin qui désignera la personne qui va incarner la France à l’étranger, mais aussi sera nommée chef des armées.


L’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA) fut créée en 1972 en soutien aux luttes d’indépendance dans les dernières colonies du continent. Elle a participé au mouvement anti-apartheid et poursuit son action pour dénoncer le soutien aux régimes qui portent atteinte aux droits de l’Homme. Elle contribue à la connaissance de l’Histoire de la traite négrière, de l’esclavage et de la colonisation et alerte l’opinion publique sur les questions d’actualité.

Elle milite aussi pour que des politiques nouvelles se mettent en œuvre afin de permettre le développement humain sur l’ensemble du continent. Notre vision multilatérale du monde implique que pour réussir, soit généré un ensemble cohérent de politiques : celles d’abord décidées souverainement par chaque peuple des nations africaines, celles aussi des institutions internationales et tout autant celles de l’Union Européenne et de la France.

L’Afrique souffre :

– de ne pas profiter de ses richesses naturelles qui sont l’objet de convoitises et de pillages à l’origine de l’essentiel des guerres et de la misère.

– d’un mécanisme d’endettement néfaste au développement

– de plans d’ajustement structurels (PAS) qui suppriment des services publics vitaux et obèrent le développement industriel

– d’être dépossédée du choix réel de ses dirigeants

Mais l’Afrique ne se résigne pas :

– l’actualité récente met en lumière les mouvements sociaux qui se développent sur le continent

– la société civile fait la preuve des capacités et des potentialités susceptibles de construire et de faire fonctionner les infrastructures

– les populations s’organisent pour le respect des droits humains

– les femmes, qui ont récemment conquit des droits nouveaux, constituent un formidable potentiel d’expertise des besoins et de cadres responsables.

Pour permettre à nos adhérents et amis de prendre connaissance de vos appréciations et de vos propositions, nous vous soumettons l’ensemble suivant de questions relatives aux rapports de la France avec l’Afrique et ses peuples :

– Comptez-vous supprimer la cellule « Afrique » de l’Elysée et les réseaux qui échappent au contrôle parlementaire?

– Quels moyens donnerez-vous à la représentation nationale pour intervenir sur l’ensemble des relations de notre pays avec l’Afrique ?

– Comptez-vous supprimer les bases militaires françaises en Afrique? Quelle sera votre attitude à l’égard des ventes d’armes françaises en Afrique (elles représentent 22,4% des ventes officielles) ?

– Quelles sont vos propositions concernant la dette des pays d’Afrique et ses mécanismes qui restent assujettissants pour les économies nationales ?

– L’aide publique française au développement est actuellement inférieure à 0,4%. A quel seuil comptez-vous la porter au cours de votre mandat ? Quelle sera la participation des pays africains pour la définition de son affectation ? Quel contrôle public comptez-vous mettre en place sur son utilisation? Comptez-vous associer aux discussions bilatérales les éléments des sociétés civiles africaines et françaises et sous quelles formes ?

– Comment comptez-vous articuler politique française d’aide au développement et politique d’immigration ?

– Comment comptez-vous soutenir la formation de cadres scientifiques et techniques qui permettront aux pays africains de disposer des compétences nécessaires à leur développement?

– Les productions africaines, y compris agro-alimentaires, sont directement concurrencées par des productions occidentales subventionnées. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour sauver ces pans de l’économie africaine, déjà en grande difficulté, qui sont dans cette configuration menacés d’effondrement ?

– Comptez-vous mettre un terme à l’intervention française dans l’avènement et le soutien de dictatures africaines : Cameroun, Burkina Faso, Congo Brazzaville, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée Conakry, Maroc, Tchad, Togo, Tunisie…?

Concernant certains dossiers d’actualité :

– Comptez-vous soutenir l’application des résolutions de l’ONU concernant le droit inaliénable du peuple du Sahara Occidental à l’autodétermination pour lequel l’ONU a décidé d’un référendum initialement prévu en 1992 et auquel le Maroc s’oppose depuis lors ?

– Comptez-vous appliquer à l’île de Mayotte les principes déterminés par la charte de l’ONU sur le processus de décolonisation, qui n’ont pas été respectés à l’issue du référendum d’autodétermination de l’archipel des Comores?

– Quelles mesures comptez-vous prendre pour donner à la justice française les moyens réels de recherche de la vérité dans l’assassinat le 19 octobre 1995 du magistrat Bernard Borel en poste de coopération à Djibouti. Et plus précisément ferez-vous lever le « secret défense » sur les documents du Ministère de la Défense concernant cette affaire ?

– Comptez-vous participer à la recherche de la vérité sur les responsabilités de la France dans le soutien que son corps expéditionnaire a apporté dans l’organisation des forces armées rwandaises au printemps 1994 ? Comptez-vous soutenir la recherche des responsables du génocide qui ont trouvé refuge en France afin qu’ils soient traduits devant la justice ?

– Comptez-vous promouvoir le travail des historiens sur le rôle de la colonisation en Afrique et la reconnaissance officielle de notre pays à propos du traumatisme qu’elle a engendré pour les peuples et les pays colonisés ?

Nous vous remercions de l’attention que vous apporterez à ces questions. Nous ne manquerons pas de faire connaître la suite que vous leur donnerez.

Recevez, Madame, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.

Le Président

Jean Paul ESCOFFIER