La répression s’intensifie sur les opposant à la dictature de Paul Biya

Outre l’incarcération de dirigeants, de partisans de l’opposition et de centaines de manifestants, les forces de police utilisent gaz lacrymogène et canon à eau pour disperser les manifestations pacifiques qui s’exprimaient dans tous le pays le 22 septembre, ainsi que le relève Human Rights Watch.


« De nombreux manifestants pacifiques ont été battus et maltraités lors de leur arrestation et pendant leur détention. Les autorités camerounaises devraient immédiatement libérer toute les personnes détenues pour leurs opinions politiques ou pour avoir exercé leur droit de se réunir pacifiquement.
L’Union africaine (UA), la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) et les autres partenaire régionaux et internationaux du Cameroun devraient dénoncer publiquement la répression de l’opposition politique et des autres détracteurs. Ces organisations devraient faire pression sur le gouvernement camerounais pour qu’il demande des comptes à ceux qui se sont rendus responsables de violations de droits à se réunir, à la liberté et à la protection contre le traitements inhumains et dégradants.

Les organisations africaines et régionales devraient dénoncer la répression et le abus généralisés du gouvernement camerounais. »

Selon le parti d’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), plus de 500 personnes ont été arrêtées le 22 septembre, parmi lesquelles 155 seulement ont été libérées. Selon les avocats du parti, 21 personnes ont été présentées devant des juridictions civiles pour diverses infractions, notamment pour rébellion et participation à une manifestation illégale ; 107 personnes ont été traduites devant des juridictions militaires pour diverses infractions, notamment terrorisme et insurrection ; 63 personnes continuent à être détenues sans inculpation, alors que la situation des autres encore en détention n’est pas claire. Dans un communiqué du 14 octobre, le ministre camerounais de la Communication a déclaré que 294 personnes avaient été arrêtées le 22 septembre, et que 176 d’entre elles avaient été libérées.
Entre le 22 septembre et le 10 octobre, Human Rights Watch a interviewé dix dirigeants et membres du parti d’opposition MRC, cinq avocats, trois journalistes et quatre membres des familles d’hommes qui ont été arrêtés et battus par la police le 22 septembre. Human Rights Watch a également examiné des photographies et des vidéos des manifestations du 22 septembre et de la réaction des forces de sécurité.
Début septembre, les autorités camerounaises ont interdit les manifestations dans tout le pays après que le MRC a encouragé les gens à descendre dans la rue suite à la décision du gouvernement d’organiser des élections régionales en décembre. Le parti a déclaré qu’avant la tenue de ces élections, le gouvernement devrait réviser la loi électorale et résoudre la crise dans les régions anglophones, où des séparatistes cherchent à obtenir l’indépendance de ces régions minoritaires du pays et où la violence est vive depuis fin 2016.
Le ministre de l’Administration territoriale a alors annoncé que toute personne organisant ou dirigeant des manifestations serait arrêtée, en prétextant que les manifestations mettraient des vies en danger pendant la pandémie de Covid-19. Le 15 septembre, le ministre de la Communication a averti les partis politiques que les manifestations pourraient être considérées comme une « insurrection » et que les manifestations illégales seraient punies en vertu de la loi antiterroriste.
L’épouse d’un membre du MRC âgé de 32 ans et arrêté à Yaoundé, la capitale, le 22 septembre, a déclaré à Human Rights Watch : « Je me suis rendue au commissariat central où mon mari est détenu. Ses yeux étaient rouges et gonflés. Il m’a dit que les policiers l’avaient battu lors de son arrestation ». Un membre du parti qui a rendu visite à son ami de 36 ans au commissariat central de Yaoundé après son arrestation, a déclaré : « Les policiers l’ont sauvagement battu au point que son poignet est maintenant disloqué. Il est détenu dans une petite cellule insalubre avec 20 autres personnes, sans lumière, et avec des toilettes bouchées ».
Au moins huit journalistes figuraient parmi les personnes arrêtées le 22 septembre, et il semble qu’au moins certains d’entre eux aient été délibérément ciblés. Le correspondant de Radio France Internationale (RFI) à Yaoundé, Polycarpe Essomba, a déclaré à Human Rights Watch : « Je venais de finir de couvrir les manifestations et j’étais dans un salon de coiffure en train de préparer mon émission de radio lorsque six policiers sont entrés et m’ont pointé du doigt. L’un d’eux a dit : ‘C’est lui que nous recherchons. C’est lui qui gâte l’image du Cameroun à l’étranger.’ Ils m’ont embarqué dans leur camion et m’ont forcé à m’y allonger. Puis ils m’ont piétiné, et l’un d’eux m’a frappé avec une matraque ». Le journaliste a été conduit au commissariat central de Yaoundé et a été libéré trois heures plus tard. Les sept autres journalistes ont également été libérés plus tard dans la journée ou le jour suivant.
Le leader du MRC, Maurice Kamto, qui avait été arrêté en janvier 2019 après des manifestations pacifiques dans tout le pays, puis libéré suite à un décret présidentiel en octobre 2019, est détenu de facto en résidence surveillée depuis le 22 septembre. Des dizaines de policiers et de gendarmes encerclent sa résidence à Yaoundé et ne l’autorisent pas à sortir. Le 5 octobre, ses avocats ont déposé une requête devant le tribunal de première instance de Yaoundé pour obtenir sa libération, mais le tribunal l’a rejetée le lendemain « par manque d’urgence ». Le 11 octobre, les avocats de Maurice Kamto ont déposé plainte contre l’État camerounais, accusant les autorités de le maintenir illégalement en résidence surveillée. La première audience, prévue pour le 15 octobre devant le tribunal de première instance de Yaoundé, a été reportée au 29 octobre.
Deux autres dirigeants du MRC – son trésorier, Alain Fogue, et son porte-parole, Bibou Nissack – ont eux aussi été arrêtés, respectivement les 21 et 22 septembre. Ils sont détenus sans inculpation au Secrétariat d’État à la défense (SED). Si leurs avocats et les membres de leur famille peuvent leur rendre visite, leurs avocats affirment qu’ils ne peuvent pas parler en privé à leurs clients et que les visites ne sont autorisées que pour une durée inférieure à 10 minutes. Nissack est détenu à l’isolement et la lecture lui est interdite.
Le 1er octobre à Yaoundé, suite à l’annonce d’une manifestation, des policiers et des gendarmes ont encerclé le siège du Cameroon People’s Party (CPP), un autre parti d’opposition, ainsi que la résidence de sa présidente, Edith Kahbang Walla, connue sous le nom de Kah Walla. « La police m’a d’abord informée que j’étais assignée à résidence, mais elle a ensuite fait marche arrière lorsque j’ai exigé de voir le jugement du tribunal autorisant une telle arrestation », a déclaré Kah Walla dans un communiqué du 9 octobre.
Le droit de manifester pacifiquement est garanti par la constitution camerounaise et par le droit international des droits humains. Les arrestations arbitraires, les mauvais traitements en détention et le recours injustifié à la force pour disperser les manifestants violent ces garanties et les obligations internationales du Cameroun. Les autorités devraient plutôt protéger les manifestants.
Si les autorités se sont servies de la pandémie de Covid-19 comme prétexte pour interdire les manifestations, la détention de centaines de personnes dans des conditions de grande promiscuité pose de graves risques de santé publique et pourrait être considérée comme une violation du droit à la santé. Human Rights Watch a exhorté les gouvernements du monde entier, y compris celui du Cameroun, à réduire leur population carcérale au vu du risque accru de transmission du Covid-19 entre détenus et pour le personnel. Pour la même raison, les autorités ne devraient pas placer des personnes en garde à vue qu’en cas de stricte nécessité. Les personnes arrêtées lors des manifestations du 22 septembre n’étant pas impliquées dans des actes de violence et ne représentant aucune menace immédiate, rien ne justifiait de les placer en détention suite à leurs arrestations.
Les autorités camerounaises ont à de multiples reprises arrêté arbitrairement des opposants politiques et d’autres détracteurs du gouvernement, et les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive et aveugle pour réprimer d’autres manifestations menées par l’opposition. Fin janvier, Maurice Kamto, le leader du MRC, et certains de ses plus proches alliés ont été arrêtés en même temps que 200 autres membres et sympathisants du parti après avoir organisé des manifestations dans tout le pays.
En juin 2019, les forces de sécurité ont arrêté au moins 350 membres et sympathisants du MRC à travers tout le pays alors qu’ils tentaient d’organiser des manifestations. Certains, dont le vice-président du parti, Mamadou Mota, sont toujours détenus pour des motifs politiques.
« Nous avons le sentiment que la répression se normalise », a déclaré à Human Rights Watch Michelle Ndoki, une avocate camerounaise des droits humains. « La communauté internationale doit savoir que l’espace politique dont disposent les groupes d’opposition pour s’exprimer librement se réduit de jour en jour ».

Le 12 octobre, 14 experts indépendants des droits humains des Nations Unies ont appelé le Cameroun à libérer Maurice Kamto et les autres personnes arrêtées lors de manifestations pacifiques, et à mettre fin à l’intimidation des militants politiques. Le 14 octobre, le ministre de la Communication a déclaré que le communiqué des experts des Nations unies était « partial et biaisé » et qu’il s’appuyait sur « de fausses informations ».

« Alors que d’autres manifestations organisées par l’opposition sont attendues dans tout le Cameroun dans ces prochains mois, l’UA et la CEEAC devraient faire pression sur le président Biya pour qu’il mette fin à la campagne de répression et respecte les droits humains », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les organisations africaines et régionales ne devraient pas rester silencieuses face à l’escalade de la répression et devraient fédérer les soutiens au sein de leurs institutions pour exiger des autorités camerounaises qu’elles respectent leurs obligations en matière de droits humains, notamment en demandant l’inculpation ou la libération immédiate de tous les manifestants et opposants politiques qui ont été arrêtés ».

La page que Human Rights Watch consacre au Cameroun est disponible à l’adresse suivante :
https://www.hrw.org/fr/africa/cameroon