L’article Luis Portillo est essentiel pour celles et ceux qui connaissent mal la genèse du conflit de décolonisation du Sahara occidental et les dispositions prises par l’Assemblée générale de l’ONU pour appliquer sa résolution de décembre 1960 sur le droit à l’indépendance des peuples colonisés. Le Comité créé pour ce faire a réglé 58 situations coloniales depuis sa création en 1945. Il en reste 17 dont les deux principales sont le Sahara occidental et La Nouvelle Calédonie. Il démontre qu’il n’y a aucun obstacle juridique au règlement de la décolonisation du Sahara occidental, que l’Assemblée générale a qualifié de longue date « d’occupation » la présence du Maroc, qu’aucun arrêt de la justice internationale ne reconnaît une quelconque souveraineté du Maroc sur ce territoire enfin que l’Espagne devrait honorer ses responsabilités dont elle s’est désengagée. Les propos d’Antonio Gutteres, Secrétaire général de l’ONU à l’ouverture de la séance de février 2020 du Comité de décolonisation de l’ONU sont un encouragement à ses membres de poursuivre leur tâche dans l’intérêt des peuples qui subissent encore la colonisation étrangère, 75 ans après que cette instance onusienne soit créée.
Il est plus que temps de décoloniser le Sahara occidental
Luis Portillo Pasqual del Riquelme (*)
Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé à l’éradication du colonialisme « une fois pour toutes » » Dans son discours à l’occasion de l’ouverture de la session 2020 du Comité spécial de l’ONU sur la décolonisation le 21 février, António Guterres a rappelé que 17 territoires non autonomes (TNA), c’est-à-dire « des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes », tels que définis au chapitre XI de la Charte de l’ONU (Déclaration sur les territoires non autonomes), sont toujours en attente de décolonisation.
Dans le cadre du nouvel ordre mondial établi après la Seconde Guerre mondiale, l’Assemblée générale des Nations unies, dans sa résolution 66 (I) du 14 décembre 1946, a inclus une liste de 74 territoires auxquels s’appliquait le chapitre XI de la Charte; en 1960, elle a adopté la « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » (résolution 1514 (XV)) ; et en 1961, elle a créé un comité spécial de 17 membres – élargi à 24 en 1962 – chargé d’examiner l’application de la Déclaration sur la décolonisation susmentionnée et de faire des recommandations à ce sujet. Le nom complet de cet organe est « Comité spécial sur la situation concernant l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » (communément appelé Comité des 24, C-24, ou Comité spécial sur la décolonisation). En 1963, le Comité susmentionné a ajouté le Sahara occidental à la liste des TNA (A/5446/Rev.1, annexe I). À la suite du processus de décolonisation, la plupart de ces territoires – pays désormais indépendants ou ayant changé de statut – ont été retirés de la liste. À ce jour, le Comité spécial continue de maintenir les 17 TNA susmentionnées au programme de décolonisation.
Le Comité se réunit chaque année pour examiner et mettre à jour la liste des territoires non autonomes visés par la résolution 1514 (XV) citée ; il entend les déclarations des représentants nommés et élus des TNA, ainsi que des pétitionnaires ; il envoie des missions de visite dans ces territoires ; il organise des séminaires sur la situation politique, sociale, économique et éducative dans ces territoires ; il fait des recommandations concernant la diffusion d’informations pour mobiliser l’opinion publique en faveur du processus de décolonisation ; et il célèbre la Semaine internationale de solidarité avec les peuples des territoires non autonomes (résolution 54/91 du 24 janvier 2000).
Le Sahara occidental est le seul TNA sur la liste ayant été inclus en 1963 (les 16 autres l’ont été en 1946) ; il est également le premier sur la liste et le seul en attente de décolonisation en Afrique ; et il est aussi de loin le plus grand et le plus peuplé de tous.
Après la signature des accords de Madrid (14 novembre 1975) et l’abandon définitif du territoire, le représentant permanent de l’Espagne auprès des Nations unies a informé le secrétaire général le 26 février 1976 qu’à cette date, le gouvernement espagnol a mis définitivement fin à sa présence sur le territoire du Sahara et a estimé nécessaire de notifier que l’Espagne se considère désormais dégagée de toute responsabilité de caractère international en ce qui concerne l’administration de ce territoire, en cessant de participer à l’administration temporaire qui lui a été attribuée (A/31/56-5/11997) sur la base des accords précités. De cette manière, l’Espagne s’est dissociée unilatéralement de ses obligations envers la communauté internationale et le peuple sahraoui, théoriquement sous sa protection (Joaquín Portillo, “Los saharauis y el Sáhara Occidental. De los orígenes al 2018” [Les Sahraouis et le Sahara occidental. Des origines à 2018], ed. Círculo Rojo, 2019).
Compte tenu de leur nature, de leur contenu et de leurs objectifs, les « Accords tripartites de Madrid » constituent une violation flagrante d’un principe cardinal de la Charte des Nations unies : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’OUA de l’époque (aujourd’hui Union africaine, UA), en admettant la République arabe sahraouie démocratique (RASD) comme État membre en 1984, a nié la valeur juridique et politique de ces accords (Ahmed Boukhari, “Las dimensiones internacionales del conflicto del Sahara occidental y sus repercusiones para una alternativa marroquí”, Real Instituto Elcano, DT 19/04/2004).
En 1975, la Cour internationale de justice de La Haye avait déjà statué que ni le Maroc ni la Mauritanie n’avaient de titre de souveraineté sur le territoire du Sahara occidental (avis consultatif du 16 octobre 1975). Et l’Assemblée générale des Nations unies a réaffirmé que la question du Sahara occidental est un problème de décolonisation qui doit être résolu sur la base de l’exercice par le peuple du Sahara occidental de son droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance (Carlos Ruiz Miguel et al., ”Le Sahara Occidental. Abregé juridique. 15 Enoncés de base sur le conflit”, ed. Andavira, 2019). La résolution 3437 (1979) de l’Assemblée générale demande au Maroc de « mettre fin à son occupation militaire du Sahara occidental et de négocier avec le Front Polisario, en tant que représentant légitime du peuple sahraoui, les termes d’un cessez-le-feu et les modalités d’un référendum d’autodétermination ». Dans son rapport d’octobre 2004, le SG de l’ONU de l’époque, Kofi Annan, souligne que « l’option de l’indépendance avait déjà été acceptée par le Maroc dans le Plan de Règlement ».
Et dans un avis spécifique sur le Sahara occidental, remis par le secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et conseiller juridique de l’ONU, M. Hans Corell, au président du Conseil de sécurité en 2002, il l’a clairement indiqué :
« Les Accords de Madrid n’ont pas transféré la souveraineté du Sahara occidental et n’ont accordé à aucun des signataires le statut de puissance administrante, statut que l’Espagne ne peut pas transférer unilatéralement ». (Résolution S/2002/161 du Département juridique des Nations unies).
En octobre 2012, le rapport du Département d’État américain au Congrès a souligné que « le Maroc revendique la souveraineté sur le Sahara occidental, une position qui n’est pas acceptée par la communauté internationale ». Il allait même plus loin en affirmant que le Maroc « n’est pas considéré par l’ONU comme le pouvoir administratif de jure du territoire ». (En fait, l’Espagne l’est, même si ses dirigeants prétendent continuer à éluder cette vérité) (Boukhari Ahmed, « Sahara Occidental : dos propuestas de solución », El País, 26/10/2012).
Afin de ne pas ennuyer le lecteur, nous devrions simplement mentionner les arrêts de la Cour européenne de justice (CEJ) de 2016 et 2018, qui indiquent clairement que le Maroc et le Sahara occidental sont « deux territoires séparés et distincts ».
A l’ouverture de la session 2020 citée plus haut, le Secrétaire général de l’ONU a réitéré son engagement envers le Comité de décolonisation, rappelant qu’il était lui-même né au Portugal sous un régime dictatorial qui dénigrait publiquement ce Comité et opprimait le peuple portugais et ses colonies, « alors pour moi c’est très émouvant », a-t-il admis. António Guterres a souligné que la Révolution des illets a mis fin à la dictature en 1974, mais que cela n’a été possible que grâce à la lutte menée par les mouvements de libération dans les colonies – Angola, Guinée, Mozambique, Timor – qui ont fait comprendre aux militaires portugais que la guerre coloniale était une guerre insensée qu’il fallait arrêter, ce qui a été réalisé grâce à la Révolution des illets, « qui a conduit à la démocratie dans mon pays et à l’indépendance des anciennes colonies portugaises », a-t-il déclaré.
À la suite de l’intervention du secrétaire général, la représentante permanente de la Grenade auprès des Nations unies, Keisha Aniya McGuire – qui a été réélue présidente pour la session actuelle du Comité – a convenu avec António Guterres que le programme de décolonisation n’est pas dans l’impasse mais qu’il progresse et que « notre mission et notre responsabilité consistent à réaliser des progrès significatifs de la manière la plus efficace et avec la collaboration de toutes les parties concernées ». En fait, en septembre prochain, un autre TNA, la Nouvelle-Calédonie, organisera son deuxième référendum sur l’indépendance, après un premier en 2018.
Il est clair que la décolonisation représente l’un des chapitres les plus pertinents des presque 75 ans d’existence de l’ONU, la commission de décolonisation susmentionnée ayant joué un rôle fondamental. Passer de 74 à 17 TNA est un accomplissement dont « nous pouvons tous être fiers », a déclaré António Guterres ; « cependant – a-t-il ajouté – nous ne devons pas oublier que les peuples de ces 17 territoires attendent toujours que la promesse d’autonomie se réalise », tout en rappelant que cette année 2020 marque la dernière année de la troisième décennie internationale pour l’éradication du colonialisme, une étape importante qui devrait servir à mettre fin à ces situations coloniales. Le Secrétaire général a conclu son allocution aux membres du Comité en les assurant : « Je resterai à vos côtés pendant que vous donnerez une nouvelle impulsion pour éradiquer le colonialisme une fois pour toutes ».
Dix-huit ans se sont écoulés depuis que l’ancien TNA du Timor-Oriental a achevé son processus de décolonisation en 2002 et est devenu un pays libre et indépendant. Le Timor Leste était un cas contemporain et très similaire à celui du Sahara occidental. Le territoire de l’actuelle République démocratique du Timor oriental a été colonisé par le Portugal au XVIe siècle (« Timor portugais »). Après la Révolution des illets, la colonie a déclaré son indépendance en décembre 1975, mais quelques jours plus tard – à l’instar du Maroc dans le Sahara espagnol de l’époque – elle a été envahie et occupée par des troupes de l’Indonésie voisine, qui a fait du territoire timorais sa 27e province. Cependant, la pression internationale et un puissant mouvement de la société civile ont réussi à impliquer sérieusement le gouvernement portugais et, avec la médiation de l’ONU, le référendum d’autodétermination a finalement eu lieu, dans lequel le peuple timorais a choisi l’indépendance.
Rien n’oblige l’Espagne démocratique actuelle, un État social et de droit, à assumer le lourd fardeau hérité du dernier gouvernement de la dictature franquiste, les ignobles Accords tripartites, qui sont illégaux et illégitimes, comme l’a reconnu Felipe Gonzalez lui-même – il était alors secrétaire général du PSOE – dans son discours dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf le 14 novembre 1976, premier anniversaire de la signature des Accords de Madrid.
La cause sahraouie, juste et légitime, est une question en suspens dans notre transition vers la démocratie, tout comme l’exhumation du dictateur Francisco Franco de la « Valle de los caídos » [Vallée de ceux qui sont tombés]. À ce jour, et après les paroles prononcées par le secrétaire général des Nations unies lui-même, nous ne pouvons pas continuer à faire la sourde oreille et à regarder ailleurs.
Il serait donc souhaitable que l’Espagne, comme l’a fait le Portugal dans le cas du Timor oriental, fasse de même dans le cas du Sahara occidental – notre ancienne « 53ème Province » – honorant ainsi ses responsabilités historiques et mettant fin à l’énorme injustice commise à l’encontre du peuple sahraoui. Il est maintenant temps de décoloniser, comme l’ont déclaré ceux qui ont la plus grande compétence pour le faire, le secrétaire général des Nations unies, comme l’ont fait, il y a belle lurette, Hans Corell, Frank Ruddy, Stephen Zunes, George McGovern, Toby Shelley, John Bolton, James Baker, Jacob Mundy, Thabo Mbeki, Thomas M. Franck et tant d’autres. Et, surtout, comme le demande, pacifiquement mais avec insistance, le peuple sahraoui qui souffre et qui a la légalité internationale de son côté.
(*) Docteur en sciences économiques et ex-professeur en Structure et institutions économiques à l’Université Autonome de Madrid. Il a été rédacteur en chef du Bulletin économique et responsable des études économiques et de la recherche de ICE (Información Comercial Española, Revista de Economía). Il est l’auteur de ¿Alimentos para la Paz? La “ayuda” de Estados Unidos (IEPALA, Madrid, 1987).
Traduit par Fausto Giudice (Tlaxcala-int.org)
http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=28643
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