France Weyl a participé avec 10 autres Français à l’observation du procès des 24 militants sahraouis devant le Tribunal militaire de Rabat. Ces civils, dont plusieurs défenseurs des droits de l’homme, accusés de constitution de bande armée, de meurtre et de profanation de cadavres ont enfin pu s’exprimer en public au cours d’un procès reporté à deux reprises en janvier et octobre 2012.
Le Tribunal Militaire de Rabat a dans la nuit du 16 au 17 février 2013 prononcé les
condamnations suivantes :
Condamnation à perpétuité : SIDAHMED LEMJAYED – ABDELJALIL LEMGHAIMAD -ISMAILI
BRAHIM – MOHAMED ELBACHIR BOUTENGUISA – ABDELAHI LEKHFAWNI
ABDELAHI ABHAH – AHMED SBAI – MOHAMED BANI –
HASSANA ALEYA par contumace
30 ans : NAAMA ASFARI – CHAIKH BANGA – MOHAMED BOURIAL – DAH HASSAN
25 ans : DAICH DAFI – MOHAMED LAMIN HADDI – MOHAMED EMBAREK LEFKIR –
MOHAMEDJUNA BABAIT – ELBAKAY LARABI
HOSSEIN ZAOUI – ABDELAHI TAOUBALI
20 ans : MOHAMED LAYOUBI – BACHIR KHADDA – MOHAMED TAHLIL
Deux ans, correspondant à la détention préventive accomplie : SIDI ABDERRAHMAN ZAYOU –
TAKI ELMACHDOUFI
Ce n’est malheureusement pas une surprise au regard des conditions dans lesquelles le procès s’est
déroulé, et les campagnes de presse qui ont été menées pendant ces 15 jours au Maroc. Leur culpabilité
était clamée par tous les médias marocains qui ont cru trouver un soutien dans les propos tenus par
certains observateurs, et par certaines associations de Droits de l’Homme.
Ce jugement montre que la tentative de normaliser le procès, de lui donner une apparence de légalité
n’avait pas d’autre objectif que de masquer sa réalité, qui se caractérise comme un acte de terrorisme
d’Etat, et participe de l’agression et de l’état de guerre qui se perpétue contre le peuple sahraoui.
La bataille continue donc de plus fort pour la libération des accusés en montrant l’illégalité du jugement
en vertu duquel ils sont maintenant détenus.
C’est pourquoi il importe, sans attendre les rapports détaillés qui vont être établis par les nombreux
observateurs présents tout au long de ces journées d’audience, ou qui s’y sont relayés, de rappeler un
certain nombre de vérités indiscutables et de principes intangibles :
Ce n’est pas parce qu’un procès s’est déroulé sur 10 jours devant des observateurs nationaux et
internationaux, que les accusés ont pu s’exprimer, que leurs avocats ont pu développer leurs arguments
qu’il doit être considéré et déclaré que les 24 ont bénéficié d’un procès équitable :
On sait que le procès s’est ouvert plus de 27 mois après les faits dont ils sont accusés, et plus de 15 mois
après la clôture de l’instruction sur la base de laquelle les 24 accusés sont traduits devant le Tribunal.
On sait aussi que le seul fait que ce soit devant un Tribunal Militaire excluait que soient garantis les
droits de civils à un procès juste qui suppose un Tribunal indépendant.
Mais à cela s’ajoute que l’instruction à l’audience s’est limitée aux seules auditions des accusés et sans
autre charge que leurs aveux dont ils ont déclaré dès l’instruction qu’ils avaient été faits sous la torture.
Or il est notoire que l’un des principaux progrès d’une culture judiciaire démocratique est, précisément
parce que tout peut concourir à en altérer la sincérité, d’exclure les aveux comme seule base de preuve,
et à plus forte raison quand il est argué de ce qu’ils ont été arrachés sous la torture.
De plus, lors de l’audience alors que le contexte a toujours une importance, il n’y a eu aucun examen
des faits qui ont précédé l’intervention du 8 novembre 2010 par les forces de police et de sécurité, et
même s’il n’a pas pu les empêcher de parler, le président s’est refusé à entendre et débattre et prendre en
considération quoi que ce soit à cet égard, portant ainsi un coup évident aux droits de la défense.
Il faut également souligner que les scellés constitués des pièces à conviction dont l’accusation a déclaré
qu’elles avaient été saisies dans le démantèlement de Gdeim Izik (téléphones portables, couteaux et
autres armes blanches) n’ont fait l’objet d’aucun débat devant le Tribunal Militaire, pas plus que durant
l’instruction, et n’ont notamment pas été expertisés.
Enfin il n’y a eu aucune autopsie et même reconnaissance des victimes.
De même il s’est refusé à entendre et prendre en considération les faits qui ont suivi le 8 novembre
quant aux conditions d’arrestation, de détention-rétention dans les locaux de police, les conditions de
transfert au tribunal militaire, les conditions d’auditions et de recueil des aveux.
Il s’est refusé à entendre et prendre en considération les dénonciations précises et circonstanciées des
tortures dont les accusés ont déclaré avoir été les victimes. Il a à cet égard rejeté les demandes
d’expertise médicales dont il était saisi.
Ainsi, les débats ont-ils été entachés d’un refus global et systématique d’instruire à charge et à décharge
comme c’est la condition d’un procès équitable.
C’est dans cette logique qu’a été visionné lors de l’audience du jeudi 14 février 2013 un film censé
constituer une preuve à charge alors que :
· aucun des accusés n’y est présent, reconnaissable
· les 2 faits visibles sont ceux de profanation de cadavre, sans que les acteurs puissent être
identifiés comme l’un des 24 accusés
· les images montrant des jeunes lançant des pierres sur les forces de sécurité non seulement
ne constituent pas la preuve des faits de meurtre imputés aux 24, mais également ne
permettent d’identifier aucun des 24 comme étant l’un de ces acteurs
· quant aux images tournées à Laayoune elles ne permettent pas d’avantage d’identifier des
faits, des actes ou des auteurs.
Cela obère le procès et le jugement d’une autre atteinte aux principes fondamentaux d’un procès
équitable, et violant cette règle essentielle qu’est le principe de personnalité des délits et des peines en
estimant suffisant de produire des preuves d’actes susceptibles d’impliquer des tiers non identifiés, et de
les en tenir coupables au nom d’une inacceptable notion de responsabilité collective.
Des débats qui se sont déroulés tout au long de ces 8 jours il ressort que les poursuites sont fondées sur
les engagements politiques des accusés dans la lutte légitime ( reconnue par les Nations Unies) du
peuple sahraouie pour la mise en oeuvre de son droit à l’autodétermination par la mise en oeuvre des
résolutions constantes des Nations Unies depuis le cessez le feu de 1991.
C’est ainsi que leur sont reprochés leurs contacts avec les responsables du Front Polisario et de la
République Arabe Sahraouie Démocratique notamment dans les campements de Tindouf, leur
participation à la Conférence Internationale d’Alger et d’une manière plus générale leur revendication à
l’indépendance du Sahara Occidental et la contestation de l’occupation marocaine. A cet égard il est
notoire que lors de l’audience du samedi ont été présentées comme preuve à charge des photographies
des accusés à coté de responsables du Front Polisario et de la RASD.
Outre la question de la légalité du tribunal militaire au regard de la norme marocaine et des normes
internationales, il faut souligner que ce jugement n’est susceptible d’aucun appel, le seul recours étant le
recours en cassation limité à la vérification du respect des règles de droit et de forme.
Pour tous ces motifs il doit être considéré que ce procès et le verdict d’une particulière gravité ne
présentent aucune des garanties d’un procès équitable, et que la détention des accusés demeure plus que
jamais une détention illégale comme équivalant à une détention sans procès.
Fait à Paris le 17 février 2013
France Weyl
Droit Solidarité
Association Internationale des Juristes Démocrates